Reportage
De retour dans leurs bergeries, les moutons passent à la tonte

Dans les étables, la récolte de la laine marque le début de l’hivernage des ovins. Un matériau qui peine à trouver des filières de valorisation chez nous. Reportage à Cheyres (FR) dans l’un des plus grands cheptels romands.

De retour dans leurs bergeries, les moutons passent à la tonte

Avec leurs 1200 bêtes élevées pour la viande, Siulene et Sébastien Bise gèrent à Cheyres (FR) l’un des plus grands cheptels de moutons de Suisse romande. Après un été passé à l’alpage entre les Rochers-de-Naye et l’Intyamon, le couple a ramené son troupeau en plaine en octobre dernier. Comme chaque année, le début de l’hivernage est marqué par la traditionnelle tonte des animaux.

À l’intérieur de l’étable, regroupés dans un compartiment délimité pour l’occasion, des dizaines d’ovins patientent dans un brouhaha de bêlements ininterrompu et observent du coin de l’œil leurs congénères qui passent l’un après l’autre entre les mains de Philippe Laurençon. Ce Valaisan d’adoption installé à Troistorrents officie chez la famille Bise depuis plus de vingt ans et figure parmi la dizaine de tondeurs actifs en Suisse. «Côté romand, nous ne sommes que trois: un à Château-d’Œx, un autre à Puidoux et moi, qui fais ça le samedi, à côté de ma profession de chauffagiste», explique l’homme de 50 ans. Ses gestes sont précis et chaque passage de la machine suit une systématique immuable. Calée entre ses jambes, cette brebis d’abord récalcitrante se laisse faire sans bouger une oreille. Encore deux coups de tondeuse et la voilà «déshabillée» de sa laine, prête à courir pour rejoindre le reste du groupe. «Si on tient l’animal correctement, il n’est pas censé bouger. Mais l’astuce, c’est surtout d’être rapide, afin qu’il n’ait pas le temps de s’impatienter», ajoute le Valaisan.

Deux kilos par animal
Certaines toisons sont plus simples à ôter que d’autres. «Chaque race a sa spécificité. Les sélections pour la viande se sont faites au détriment de la laine. Ici, ce sont des noires du Velay et des romanes, plutôt faciles à raser», raconte encore Philippe Laurençon. Cet ancien berger d’origine française s’est d’abord formé chez lui, en Auvergne, avant de se perfectionner dans les années 1990 en Australie et en Nouvelle-Zélande. «Dans ces régions, les exploitations sont immenses. Les employés travaillent par équipes et tondent 1500 moutons en une seule journée. Là-bas, j’ai appris une méthode mise au point par un Néo-Zélandais. C’est la plus efficace et la plus rapide, avec une moyenne de deux à trois minutes par bête. Et si tout est correctement exécuté, la toison s’enlève d’une seule pièce», détaille Philippe Laurençon.

À Cheyres, le quinquagénaire s’occupera de 600 ovins en trois jours. La moitié du cheptel des Bise, car seules les brebis âgées d’une année et plus sont concernées. Elles sont rasées à 5 millimètres. Il est donc important de les laisser à l’intérieur jusqu’à la repousse, afin d’éviter les risques de pneumonie. «Les semaines qui suivent, elles mangent beaucoup plus pour compenser cette perte de chaleur. D’autant que la lactation interrompt la pousse de la laine, car les brebis consacrent toute leur énergie à produire du lait destiné aux petits», raconte Sébastien Bise.

Valorisée comme isolant
Reste que dans les cheptels, la tonte est indispensable pour plusieurs raisons. «Cela permet de lutter contre les éventuels parasites, d’offrir au berger une meilleure observation des mamelles pendant la saison des agnelages et d’empêcher les moutons de transpirer l’hiver dans les bâtiments. Si les brebis ont trop chaud, elles ont tendance à moins bien s’alimenter et leur lactation diminue», poursuit l’éleveur fribourgeois. Enfin, cette laine en moins fait aussi gagner un espace considérable dans l’étable. «Cela représente 2 kilos et une vingtaine de centimètres d’envergure en moins par animal. Individuellement, c’est anecdotique, mais multiplié par le nombre, le gain de place est énorme.»

Les moutons de Siulene et Sébastien Bise donnent entre 800 kilos et 1 tonne de laine par année. Un sous-produit qui peine à être valorisé chez nous, même si quelques initiatives soutiennent cette production indigène, comme l’association Laines d’ici, à Cernier (NE) ou encore Swisswool, à Lucerne (lire l’encadré). Les toisons récoltées sont conditionnées dans de gros sacs stockés plusieurs mois chez la famille Bise. Leur ramassage, organisé par la Fédération des éleveurs suisses, aura lieu le 25 mai prochain. La laine sera ensuite bottelée en balles rondes et acheminée en Allemagne, pour être transformée en matériau d’isolation. «À l’époque, une entreprise suisse s’occupait de la nettoyer et de la transformer, mais les coûts étaient devenus trop chers.»

La famille Bise vend sa production 1 franc le kilo, pas même de quoi couvrir les frais de tonte, qui s’élèvent à 5 francs par bête. «Mais au moins, on ne jette plus la laine, comme c’était le cas il y a encore quelques années.»

+ d’infos www.vitagneau.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/Lundi 13

L’Australie, leader de la laine

Plus d’un milliard de moutons sont élevés à travers le monde. Assurant près de 25% de la production de laine, l’Australie est le leader de ce secteur. Il s’agit dans l’immense majorité d’ovins de la race mérinos, réputés pour leur toison de grande qualité très recherchée dans l’industrie textile. Suivent la Chine, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. Les premières utilisations de ce matériau remontent à 10 000 ans av. J.-C., en Asie Mineure. Avant l’invention des cisailles, la laine était arrachée à la main ou à l’aide de peignes en bronze.

Questions à...

Friedrich Baur, fondateur de Swisswool

Comment est née votre entreprise?
Elle a été fondée en 2010 après la suppression des subventions suisses pour la laine. À l’époque, notre société Baur Vliesstoffe approvisionnait déjà l’industrie helvétique du matelas en toisons. Nous nous sommes engagés à acquérir de la laine indigène et c’est à ce moment-là que nous avons fondé le label Swisswool. Aujourd’hui, nous en achetons environ 350 tonnes par an.

De quelle manière vous approvisionnez-vous?
En Suisse, l’élevage ovin est développé en priorité pour la production de viande et la protection du paysage, pas pour la qualité des toisons. Cela dit, chaque type de laine possède des propriétés intéressantes, c’est pourquoi nous achetons toutes les qualités qui nous sont apportées.

Que fabriquez-vous avec cette matière première?
La majorité est destinée à la création de produits de haute qualité, tels que des couvertures, des tapis, des rembourrages de veste et de matelas. Les matériaux isolants ne sont confectionnés qu’à partir d’une petite partie de la laine chinée.

+ d’infos www.swisswool.ch