Reportage
Ces deux bergères ont guidé durant trois mois des agneaux dans la Broye

D’ici à une semaine, ces jeunes femmes clôtureront leur première transhumance hivernale à Vers-chez-Perrin (VD). Une expérience dont elles tirent un bilan positif, d’autant plus que leur troupeau a été épargné par le loup.

Ces deux bergères ont guidé durant trois mois des agneaux dans la Broye

Quelque part entre Cerniaz et Seigneux, aux alentours de Payerne (VD), 300 moutons paissent paisiblement dans un champ, dissimulés dans le brouillard matinal. Composé d’agneaux, d’agnelles et de brebis de plusieurs races, dont des moutons de Saas ou d’Engadine, le cheptel est discipliné et bien groupé. Un cri retentit soudain au milieu du chant des sonnailles: «Allez, viens! Allez, en avant!» Le bétail se met en marche, direction la forêt, guidé par quatre border collies et protégé par un berger des Abruzzes, sous l’œil attentif de deux jeunes femmes: Dounia Ravonel, une Genevoise de 24 ans, et Eliane Haldimann, une Jurassienne de 27 ans. Accompagnées d’une petite roulotte et d’une tente en guise de logis, ces bergères transhument depuis plus de trois mois à travers les plateaux fribourgeois et vaudois. L’intérêt d’une telle pratique est de terminer l’engraissement des agneaux avant qu’ils ne partent à l’abattoir. «Cela permet aux éleveurs de ne pas fourrager leurs bêtes à l’écurie», précise la Jurassienne. Partie de Payerne début décembre, la cohorte a pris la direction de Montagny, est passée par Bulle puis Romont (FR) et s’apprête à achever son périple, le 15 mars prochain, à Vers-chez-Perrin chez l’agriculteur Michael Baggenstos et son associé basé à Thoune (BE), deux des trois propriétaires du troupeau.

«Une bande d’adolescents»
Les deux jeunes femmes tirent un bilan positif de leur première expérience. Aucune attaque de loup, seulement deux individus morts pour cause de maladie, quelques boiteries et des problèmes oculaires qu’elles ont pu soigner elles-mêmes. «On a eu de la chance, le bétail était vraiment sain et indemne de piétin» se réjouit Dounia Ravonel, diplômée de la formation des bergères et bergers de moutons donnée par Agridea et l’École d’agriculture du Valais. Eliane Haldimann est, quant à elle, encore en cours d’apprentissage. Le duo a toutefois dû faire preuve de souplesse en adaptant le tracé, dans les zones prévues à cet effet, en fonction de la météo et de la disponibilité en fourrage. Lorsque le temps est sec, le troupeau peut rester quelques jours au même endroit sans faire de dégâts. «Mais s’il pleut toute la journée, on doit davantage se déplacer pour éviter de piétiner et d’abîmer les parcelles. Et quand il neige, il faut changer de route pour trouver de la nourriture» précise Eliane Haldimann, qui est paysagiste de formation.

C’est ce rôle de guide ainsi que la proximité avec les animaux qui ont motivé la Jurassienne à participer à la transhumance. Jusqu’à présent, elle n’avait travaillé qu’à l’alpage durant l’été. «La garde en plaine est plus intensive. On doit constamment faire attention au bétail et à ce qu’il ne broute pas dans les champs cultivés. On a une vraie utilité.» La Genevoise, clown de formation, poursuit avec humour: «C’est comme une bande d’adolescents qu’il faut surveiller, et ce, 24 h/24.» Indéniablement, des liens particuliers se sont créés entre les bêtes et elles. «Au-delà du fait que certains moutons nous aident à avancer avec le groupe, on a besoin de leur affection pour surmonter les épreuves du quotidien», témoigne Dounia Ravonel. Car, si l’expérience est enrichissante, elle n’en reste pas moins difficile, autant mentalement que physiquement puisqu’il s’agit de résister aux réveils à l’aube, au froid, à l’humidité, à l’extinction de voix et à la solitude.

Le patou comme protection
Avec le retour du grand prédateur dans la région, la présence d’un chien de protection, ainsi que celle de bergers, est redevenue d’actualité. «Même si le loup installé dans la Broye est solitaire, il reste un danger pour le bétail s’il n’est pas protégé», dit François Meyer, collaborateur à Agridea. Au coucher du soleil, les deux femmes s’attèlent donc à parquer les agneaux avec des clôtures électriques. Dounia Ravonel, elle, dort sous tente, pour être au plus proche des ovins en cas de problème, tandis que Sasso veille toute la nuit sur le troupeau. Pourtant, il en a fallu du temps aux jeunes bergères pour collaborer avec lui. Car, si en montagne les chiens de protection sont actifs sur un grand espace et œuvrent de manière autonome, en plaine, la tâche est plus complexe, puisque le territoire est réduit. «On a mis presque deux mois pour qu’il accepte de travailler avec nous et ne s’éloigne pas trop, parce qu’il n’avait pas l’habitude d’être encadré», raconte Dounia Ravonel. Ce quotidien ritualisé et proche de la terre, les jeunes femmes l’apprécient particulièrement. Toutes deux espèrent se retrouver l’hiver prochain pour la transhumance, après leur saison estivale chacune de leur côté à l’alpage. «On se libère de beaucoup de problèmes en faisant ce métier. On retourne à l’essentiel.»

Texte(s): Mathilde Jaccard
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Le loup dans le viseur d’une pétition

Fin février, un grand prédateur a fait une dizaine de victimes dans un élevage d’ovins à Avenches (VD), dont deux moutons entièrement dévorés. Les tests ADN réalisés par les gardes-faune de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud pour l’identifier sont en cours. Mais il est avéré qu’un loup, baptisé M212, s’est établi durablement dans la région depuis l’été 2021, notamment dans la forêt de Belmont (FR). C’est le premier en Suisse à s’installer en plaine. L’année passée déjà, il avait tué une vingtaine d’animaux de rente, pourtant protégés par des clôtures électrifiées. Une situation qui excède les éleveurs et résidents locaux, exigeant sa mise à mort.

Une pétition vient d’être lancée par une personne de la région qui souhaite rester anonyme. Repris par le coprésident de l’UDF fribourgeoise Ivan Thévoz, le dossier devrait être déposé à la Chancellerie du canton ce jeudi afin de prendre des mesures immédiates et ne pas attendre le quota de 15 bêtes fixé par le cadre légal fédéral pour autoriser le tir. Jusqu’à ce jour, la pétition a récolté environ 400 signatures dans le canton de Fribourg. «Des discussions sont en cours avec nos homologues vaudois pour éliminer le prédateur», précise le député. Selon des dires, de nombreux habitants auraient observé à de multiples reprises plusieurs loups, indiquant l’installation d’une meute. Ce constat n’est pas confirmé par les autorités.

La transhumance en Suisse

Environ 30 troupeaux se déplacent sur le territoire helvétique cette saison. «Un chiffre qui a augmenté au fil des années. Peut-être parce que les hivers sont plus doux et la végétation plus prospère, motivant les éleveurs de moutons à perpétuer cette tradition», explique Riccarda Lüthi, d’Agridea. En Romandie, ils sont environ cinq groupes à effectuer la transhumance, comme Dounia Ravonel et Eliane Haldimann. «Il y a quinze ans, c’étaient uniquement des hommes. De nos jours, davantage de femmes viennent se former pour guider des troupeaux en plaine», se réjouit Riccarda Lüthi, qui enseigne également des modules théoriques aux futurs bergers suisses.