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Une productivité accrue, une surface réduite: un modèle devenu norme

Qu’entend-on par élevage intensif? Et dans quelle mesure ce système de production agricole, mis en cause par l’initiative soumise au peuple le 25 septembre, se pratique-t-il en Suisse? Le point avec l’agronome Pascal Python.

Une productivité accrue, une surface réduite: un modèle devenu norme

Au fond, qu’est-ce que l’élevage intensif?

➤ C’est un modèle d’élevage des animaux de rente (bovins, porcs et volailles) qui vise à produire plus de lait et de viande par unité de surface. Il implique la densification de la détention, mais aussi la sélection des bêtes en fonction de la productivité et du gain de croissance, ainsi que le recours à une alimentation plus intensive et spécifiquement adaptée. Les laitières donnent davantage de lait, les animaux sont plus rapidement prêts pour l’abattage: un poussin met ainsi 37 jours pour peser 2 kg de poids vif, et un porcelet de 26 kg atteint les 115 kg de poids vif en une centaine de jours alors qu’un porc élevé en bio et nourri au petit-lait aura besoin d’un mois supplémentaire. Pour la viande bovine, un taureau à l’engrais mettra 280 jours pour passer de 125 à 520 kg tandis qu’il faudra le double à une génisse ou à un bœuf en système extensif pour faire de même. Le ratio aliment/kg de viande est donc meilleur, le coût global est moins élevé et in fine, le consommateur paie moins cher.

Quels sont les inconvénients de ce système?

➤ Augmenter la densité des animaux sur une surface donnée entraîne inévitablement des problèmes sanitaires – et le cas échéant, on est contraint de traiter l’ensemble. La sélection génétique poussée, en outre, comporte des risques: une vache capable de fournir 12 000 kg de lait par an est certes ultraperformante, mais exige davantage de suivi de l’éleveur. Et la croissance rapide des poulets de chair hypersélectionnés conduit à des problèmes de pattes et de boiteries…
Il faut aussi citer les émissions d’odeurs et d’effluents, par exemple pour les porcheries, qui impactent le voisinage ou l’environnement. Enfin, on peut relever que l’alimentation des porcs et des volailles en modèle intensif, en Suisse, est importée à 50%. Ce n’est pas sans importance dans le débat sur l’autonomie alimentaire. La production porcine pourrait augmenter la part en sous-produits – petit-lait, déchets de meunerie, etc. – et réduire sa dépendance aux aliments importés.

Ces désavantages n’ont pas entravé le succès global de ce modèle…

➤ C’est durant les cent dernières années que les changements ont été les plus notables, avec l’augmentation de la population, la reconversion d’une industrie de guerre vers une industrie de paix et la production d’engrais et de pesticides de synthèse, les progrès de la mécanisation et de la sélection animale ainsi que l’apparition de l’insémination artificielle ou encore la révolution verte. «Produire plus et moins cher» est devenu le mot d’ordre des politiques agricoles.

En Suisse également?

➤ Oui, l’élevage intensif est une réalité chez nous comme ailleurs. Avec de grandes différences, les régions de montagne privilégiant l’élevage extensif. Contrairement aux porcs et volailles qui ont besoin d’une ration plus concentrée, les bovins se nourrissent principalement d’herbe, ce qui réduit l’intérêt général d’un système intensif, surtout en montagne – où l’herbe constitue la seule ressource alimentaire. Sur le plateau, en revanche, les conditions sont favorables aux cultures et à une intensification de la production fourragère. C’est là qu’on va principalement trouver les grandes fermes avicoles et porcines ainsi que les exploitations d’engraissement de bovins plus intensives. Les très grandes structures sont toutefois l’exception: dans la filière porcine, 4% seulement des détenteurs disposent d’effectifs supérieurs à 1000 porcs. Pour les poules pondeuses, il ne s’agit que de 2% des détenteurs avec plus de 4000 pondeuses. Et seuls quelques gros entrepreneurs avicoles sont à la limite légale de 18 000 pondeuses ou 27 0000 poulets de chair. Il y a également des disparités géographiques, car cette intensification animale se concentre sur le Plateau (surtout dans les cantons de Lucerne, Thurgovie, Saint-Gall) – avec les problèmes environnementaux que ça entraîne.

En matière d’élevage, notre pays fait-il mieux que les autres?

➤ On n’est en tout cas pas dans l’industrialisation extrême telle qu’elle est pratiquée à l’étranger. Dans les pays voisins, certaines vaches laitières ne sortent jamais de leurs bâtiments! Dès 1978 et la loi sur la protection des animaux, on a progressivement amélioré les conditions de détention du bétail; la pression des consommateurs a aussi conduit à la création de labels portés par les filières, avec des normes encore plus restrictives. Au niveau fédéral, il existe deux programmes visant à améliorer le bien-être animal: la SRPA (sorties régulières en plein air, qui garantit un accès à l’air libre) et la SST (système de stabulation libre, animaux gardés en groupes, sans être entravés), tous deux introduits avant les années 2000. Et l’usage des médicaments vétérinaires est plus strictement réglementé depuis 2016. Bref, des efforts conséquents ont été consentis, mais le modèle dominant reste intensif. Et les programmes évoqués ne touchent pas dans les mêmes proportions les différents animaux de rente: les dispositions SRPA, par exemple, concernent 85% des bovins, mais seulement 51% des porcs, et 43% de l’ensemble des volailles – dont un petit 8% des poulets de chair.

A-t-on raison d’opposer bio et intensif?

➤ D’une manière générale, la production bio limite la taille maximale par groupe et encourage une production à vie élevée plutôt que des records momentanés. Elle recourt aussi à des races moins sélectionnées, plus robustes et moins productives. La détention selon le cahier des charges 2018 de Bio Suisse fait d’ailleurs partie des exigences de l’initiative soumise au scrutin. En revanche, celle-ci ne demande pas que toutes les exploitations effectuent une reconversion formelle au label.

Texte(s): Propos recueillis par Blaise Guignard
Photo(s): Mathieu Rod

De quoi parle-t-on?

L’initiative «Non à l’élevage intensif» veut protéger dans la Constitution la dignité des animaux de rente tels que les bovins, la volaille ou les porcs. Elle entend aussi interdire l’élevage intensif, qui selon ses auteurs porte systématiquement atteinte au bien-être des bêtes. La Confédération devrait ainsi fixer des exigences minimales plus strictes pour un hébergement et des soins respectueux des animaux, l’accès à l’extérieur, l’abattage et la taille maximale des groupes par étable. Ces normes devraient correspondre au moins au cahier des charges 2018 de Bio Suisse et toutes les exploitations devraient les respecter pour ce qui est de l’élevage. Un délai de transition de 25 ans est prévu pour l’adaptation des structures existantes. Ces directives s’appliqueraient également à l’importation de bêtes, de produits animaux et de denrées alimentaires contenant des ingrédients d’origine animale.

Bio express

Pascal Python: Né en 1974 à Villars-sur-Glâne (FR) dans une famille d’agriculteurs, il est titulaire d’un doctorat en agronomie de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ). Spécialisé dans la production animale, il est responsable de la filière laitière au sein d’Agridea, l’association suisse pour le développement de l’agriculture et de l’espace rural, chargée de la vulgarisation à l’intention de la branche paysanne.