Portrait
L’heure du départ a sonné pour le guet de la cathédrale

Chaque nuit depuis 2002, Renato Häusler gravit les 153 marches menant jusqu’au beffroi de l’édifice lausannois afin de crier l’heure aux habitants de la ville. Il partage ses souvenirs à quelques jours de la retraite.

L’heure du départ a sonné pour le guet de la cathédrale
Il est 21h45 au cœur du quartier de la Cité quand Renato Häusler surgit dans la nuit sur son vélo. «Bonsoir!» lance-t-il à la hâte en ouvrant la porte de la cathédrale. L’homme parque son deux-roues contre le mur de molasse et nous fait signe de le suivre dans l’ascension des 153 marches qui mènent jusqu’au clocher du beffroi. La montée s’effectue dans le silence et s’achève par un escalier en colimaçon raide et exigu. Une fois au sommet, la ville se dévoile dans un scintillement de lumières. C’est ici, juché à 40 mètres de hauteur, que Renato Häusler passe l’essentiel de ses nuits depuis plus de vingt ans, lui l’emblématique guet de la cathédrale du chef-lieu vaudois. Au fil du temps, il a scrupuleusement noté chacun de ses passages d’un trait de crayon dans le placard de sa loge. Un décompte qui s’arrêtera bientôt, car à 65 ans, l’employé de la Ville prendra sa retraite le 31  décembre prochain. «Cette fonction rythme ma vie depuis tant d’années qu’il m’a fallu un peu de temps pour me faire à l’idée. Mais aujourd’hui, je me sens prêt à partir. Ce sera un départ en douceur, puisque je reviendrai encore ponctuellement comme remplaçant», confie-t-il.Il est 22 h. La cloche des heures de l’édifice gothique se lance en rythme dans un brouhaha assourdissant. Renato Häusler revêt son chapeau en feutre, allume sa lanterne et, joignant ses mains en porte-voix, se met à crier: «C’est le guet, il a sonné dix, il a sonné dix!»
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Veiller sur la ville
Personnage au parcours éclectique, ce natif de Lausanne formé à l’École de commerce, qui a œuvré pendant une vingtaine d’années dans un foyer pour personnes handicapées, a débuté à la cathédrale comme auxiliaire en 1987 par l’entremise d’un ami. Il en devient le guet titulaire en 2002, succédant à l’époque au dessinateur Philippe Becquelin, alias Mix&Remix, qui officia comme crieur durant dix ans. Un emploi que Renato Häusler assure cinq soirs par semaine de 22 h à 2 h du matin, secondé pendant ses absences par une équipe de six remplaçants, dont la Lausannoise Cassandre Berdoz, qui devint en 2021 la première femme guette de l’histoire. «Mon rôle est de perpétuer une tradition vivante vieille de plus de 600 ans. Je n’ai jamais eu l’impression de travailler», relève le sexagénaire. Une coutume ininterrompue depuis 1405, année durant laquelle Lausanne engagea son premier crieur pour veiller sur la ville jour et nuit. «À l’époque, sa fonction consistait avant tout à alerter la population du feu. Au Moyen Âge, il se propageait très rapidement. D’une part, car les habitations étaient faites en bois et en chaume, mais aussi parce qu’elles étaient collées les unes aux autres. L’arrivée progressive des constructions en pierre a permis de diminuer les risques d’incendie. À tel point qu’en 1880, le Conseil communal décide d’interrompre les rondes de surveillance à la cathédrale. La mission du guet se limite alors à annoncer les heures à la population et à remonter le mécanisme des cloches entre 21 h et 6 h du matin», raconte Renato Häusler. Leur automatisation dans le courant du XXe siècle menace une nouvelle fois l’utilité du crieur. «Mais en 1960, lorsqu’il est question de supprimer cette fonction, les lettres de lecteurs déferlent dans la presse régionale durant plus d’un mois, soulignant l’attachement des citoyens à leur veilleur symbolique», explique la Ville. Aujourd’hui, l’Europe ne compte plus que sept guets en activité, et la cathédrale de Lausanne est la seule de Suisse à avoir maintenu cette tradition. Une spécificité qui séduit: fin août, plus de 130 postulants ont répondu à l’annonce publiée afin de trouver le successeur de Renato Häusler. C’est finalement Alexandre Schmid qui assurera la fonction dès le 1er janvier.
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La voix du métro
Construite en 1948 dans le clocher du beffroi, la petite loge en bois du guet abrite un lit et un bureau. Au mur, le veilleur a accroché quelques photos personnelles, une vue de la capitale vaudoise, des gravures anciennes, un portrait de Beethoven, son compositeur favori, qui accompagne souvent ses nuits. Entre deux criées, ce féru d’histoire contemporaine et d’astronomie occupe son temps avec des lectures, des parties de scrabble en ligne et la réalisation des nombreux projets de Kalalumen. Cette structure, qu’il a fondée en 2005, crée des illuminations à la bougie dans différents lieux culturels. Une idée qui lui est venue en déambulant une nuit dans la nef de la cathédrale. «La lumière de ma lanterne projetée sur la pierre était si belle que cela m’a donné envie d’en allumer des milliers», raconte celui que les Lausannois connaissent aussi pour avoir prêté sa voix aux annonces d’arrêts diffusées dans le métro M2.Père de deux filles aujourd’hui adultes, Renato Häusler possède des origines suisses alémaniques par son père. «Il me racontait son village quand j’étais petit, les souvenirs de son enfance passée à Unterägeri, dans le canton de Zoug. J’aimerais profiter de ma retraite pour y retourner. J’ai prévu de m’y rendre à pied, de partir sac au dos et de dormir à la belle étoile, au plus près de la nature. Entre huit et dix jours de marche sont nécessaires», lâche le veilleur en remettant son chapeau. Cela sera pour bientôt. Il va sonner 23 h, le devoir l’appelle.

+ d’infos Les illuminations de Renato Häusler sont visibles sur son compte Instagram @kalalumen. Programme des événements: www.kalalumen.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Un livre
«Les piliers de la Terre», de Ken Follett. «Un ouvrage remarquable pour comprendre la construction des cathédrales au Moyen Âge.»

Une musique
La symphonie no3 de Beethoven. «L’œuvre qui dépasse toutes les autres, le génie à l’état pur.»

Un plat
La polenta. «J’ai toujours aimé ça.»

Un lieu
Rivaz (VD). «Un village magnifique avec sa vue sur le Léman.»