Décryptage
Comment notre pays s’est approprié les chalets pour en faire un emblème

Une exposition de la Bibliothèque nationale décortique le mythe entourant ces constructions en bois. Si elles sont aujourd’hui le symbole d’une Suisse authentique et poétique, il n’en a pas toujours été ainsi.

Comment notre pays s’est approprié les chalets pour en faire un emblème

Que serait la Suisse sans ses verts pâturages, ses montagnes, ses vaches et ses chalets? Cette image idyllique a forgé l’identité du pays. En réalité, elle a surtout été créée de toutes pièces, nous apprend la dernière exposition de la Bibliothèque nationale consacrée à ces constructions en madriers imbriqués. «Elles sont devenues les emblèmes nationaux alors qu’elles existent dans tout l’arc alpin, de l’Autriche en passant par l’Allemagne. À l’origine, elles n’ont rien d’helvétique, note Hannes Mangold, commissaire de l’exposition. Elles étaient si courantes au Moyen Âge que les Suisses ne s’y intéressaient pas. Ils préféraient bâtir des édifices en pierre, plus prestigieux.»

Regard extérieur éclairant
La cote de ces maisonnettes n’a augmenté qu’à partir du XVIIIe siècle, grâce à l’essor du tourisme. Les voyageurs, anglais notamment, sont immédiatement tombés sous leur charme. Ils ont vu en elles le symbole d’une vie authentique, menée loin de l’industrialisation galopante et de la pollution qui touchait alors une bonne partie de l’Europe.

La dimension poétique des chalets a aussi séduit les écrivains, à l’image de Jean-Jacques Rousseau qui décrit ce type d’habitation comme un nid romantique dans son œuvre Julie ou la Nouvelle Héloïse. Dans les chaumières, on se prend à rêver. Johanna Spyri s’empare de ce décor bucolique et en fait le terrain de jeux de la plus célèbre des montagnardes, Heidi. Il n’en fallait pas davantage pour déclencher un engouement international sans précédent en faveur des montagnes suisses et de leurs pittoresques cabanes, ornées de géraniums, dont les origines sont également loin d’être helvétiques (lire l’encadré).

L’élite européenne vient ainsi admirer ces logements, quand elle ne les fait pas carrément venir à elle. «Les chalets deviennent alors les «folies» des aristocrates. Ils les trouvaient aussi exotiques que les minka japonaises! Ils en voulaient pour orner le jardin de leur résidence, poursuit Hannes Mangold. On trouve d’ailleurs de nombreux swiss cottages encore aujourd’hui en Angleterre.» Sentant le bon filon, des entreprises helvétiques proposent alors à la vente ce type d’habitation en kit, de taille réelle, à personnaliser à sa guise sur catalogue, et livrées sur tout le continent. Pour l’historienne de l’architecture Marion Sauter, le chalet incarnera pendant des décennies «une culture du bâti des plus innovantes».

Campagne marketing efficace
La Suisse a rapidement tiré parti de ce cliché. Le chalet devient un objet marketing visant à promouvoir le pays et ses valeurs. Les autorités le choisissent d’ailleurs afin d’en faire une carte de visite lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1889. Un village entier de ces maisons traditionnelles est ainsi érigé au pied de la tour Eiffel, qui est l’attraction phare de la manifestation. Cette expérience fait un tabac. «L’image représentée par ces chalets a de tout temps été forte. Elle est très émotionnelle, ajoute Hannes Mangold. Au XXe siècle cependant, ces constructions deviennent plus folkloriques, notamment avec l’usage généralisé du béton et du ciment.» L’apparition de ces nouveaux matériaux ne signe pas leur glas pour autant. Les cabanes ne disparaissent pas du paysage, elles s’y fondent. Des peintres sont même mandatés par l’armée afin de camoufler les fortifications et les bunkers en leur donnant l’apparence d’innocents chalets. Un astucieux stratagème pour les rendre invisibles aux yeux des ennemis.

Le bois de nouveau tendance
En ville également, ils sont partout, colonisant les magasins de souvenirs. Ils se déclinent tant en boule de Noël qu’en porte-clés ou en maquette. «Là aussi, il n’y a pas beaucoup de créations réellement suisses, l’essentiel de ces produits provenant désormais de Chine», souligne Hannes Mangold.

On ne peut cependant imaginer ce que serait le pays sans eux. Dans les régions alpines, même si les maisons récentes ne sont plus bâties de manière traditionnelle, elles conservent la même fonction qu’un chalet, à savoir celle d’un lieu de retraite paisible où se retirer le week-end, ou, plus récemment, fuir la pandémie. «Depuis trente ans, le bois est de nouveau à la mode. Il inspire nos architectes en recherche d’un matériau écologique et durable, conclut Hannes Mangold. On s’en sert aujourd’hui pour ériger des bâtiments de plusieurs étages, en tirant parfois parti d’un savoir faire séculaire. Ces nouvelles constructions sont en quelque sorte la version moderne de nos chalets, qui marqueront à jamais nos paysages.»

+ d’infos L’exposition Chalet. Nostalgie, kitsch et culture du bâti est visible gratuitement à la Bibliothèque nationale suisse jusqu’au 30 juin; www.nb.admin.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Adobe Stock

Le géranium, autre élément du décor

Les chalets ne sont pas les premiers emblèmes du pays à être au cœur d’une exposition. En 2016, le Musée alpin suisse avait consacré ses salles à un végétal ornant aussi bien les fenêtres que les balcons, le géranium. Ou devrait-on plutôt dire, le pélargonium, rappelait l’institution, qui avait alors souligné que cette plante n’est pas qu’un symbole helvétique. Car c’est en Afrique du Sud que la première fleur sauvage de cette espèce a été cueillie par un médecin allemand, en 1672, dans les montagnes du Cap. Robuste, ce plant de Geranium africanum a survécu à une traversée des océans qui a duré des mois, dans la cale d’un navire hollandais. Cette nouveauté botanique a ensuite rapidement colonisé les carrés des universités, avant de se faire une place dans les jardins d’érudits, puis sur les balcons des familles bourgeoises d’Europe et de Suisse, au cours du XVIIIe siècle. Des entreprises d’horticulture ont alors commencé à décliner cette fleur en plusieurs variétés, à jouer sur les couleurs, la rendant encore plus populaire. Dès 1900, elle s’est répandue dans l’ensemble du pays, devenant à son tour une icône nationale.