Rencontre
Une présidente rassembleuse et créative pour diriger la «Fédé»

Élue à la tête de la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes en janvier, Lucie Theurillat, 25 ans, est également architecte et illustratrice. Elle souhaite lutter contre le clivage villes-villages.

Une présidente rassembleuse et créative pour diriger la «Fédé»

Au téléphone déjà, alors que nous l’appelions pour fixer le rendez-vous, la voix enjouée de Lucie Theurillat laissait deviner une personnalité chaleureuse. Impression confirmée sitôt qu’elle nous ouvre sa porte, quelques jours plus tard. Ses cheveux blonds relevés font ressortir deux yeux bleus pétillants sous des lunettes rondes, et un sourire généreux. «Désolée, c’est un peu le bazar, j’ai complètement oublié de prévenir mes parents que vous veniez», lâche-t-elle, un rien confuse. Si la jeune femme a préféré nous recevoir ici plutôt que dans l’appartement qu’elle partage en colocation avec deux copines dans un village voisin, c’est que la maison familiale de Champagne (VD) abrite son atelier d’illustratrice. Sur le mur, une esquisse architecturale qu’elle a réalisée en linogravure côtoie un poster de Nina Simone. «Ici, c’est ma bulle, je passe des heures à créer en écoutant de la musique. Du rap français, de la pop, de la soul. De Billie Eilish à Drake ou Aretha Franklin, j’aime à peu près tout. J’ai découvert plein d’artistes grâce à une de mes copines collectionneuses de vinyles.»

 

Illustratrice indépendante

À 25 ans, Lucie Theurillat est une femme fort occupée. Élue en janvier présidente de la «Fédé» (la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes), elle vient aussi de quitter son emploi d’architecte pour se lancer comme illustratrice indépendante. «J’ai commencé avec quelques petits mandats il y a trois ans, parallèlement à mes études, et aujourd’hui ça fonctionne plutôt bien. J’ai envie de tenter ma chance! En ce moment, je bosse à fond pour terminer les visuels des épreuves cantonales d’allemand de l’État de Vaud.» Titulaire d’un CFC de dessinatrice en bâtiment suivi d’une formation d’architecte HES à Fribourg, elle est en revanche complètement autodidacte dans son activité actuelle. «J’ai toujours aimé dessiner. Ma mère raconte souvent qu’enfant, au resto, je passais la soirée entière à gribouiller sur la nappe en papier.»

Grande consommatrice de BD, elle se dit fan absolue de Margaux Motin, pour la finesse de ses détails, et surtout de Pénélope Bagieu, dont elle adore le sens de l’humour et de l’autodérision. Des qualités dont Lucie Theurillat ne manque pas non plus. Aussi, lorsqu’on lui demande ce qui lui a valu son élection à la présidence de la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes, elle répond en se marrant: «J’étais la seule candidate, les votants n’avaient donc pas vraiment d’autre choix. Plus sérieusement, je crois que mon expérience a été un atout. J’ai œuvré plusieurs années comme vice-présidente du comité central et je me suis impliquée très tôt dans la Jeunesse de Champagne.»

 

Une vision souvent caricaturale

Fille d’une mère jurassienne tenancière de bistrot et d’un père sanitaire-chauffagiste, elle a intégré sa société villageoise à l’âge de 15 ans. Une expérience qui l’a fait grandir. «Je me suis très vite retrouvée à devoir organiser des manifestations et à prendre des décisions. Il faut trouver des sponsors, contacter des entreprises, gérer des budgets. Moi qui étais plus intello que manuelle, ça m’a appris la débrouillardise.» Dix ans plus tard, la voilà donc à la tête d’une association qui compte 8000 membres. En plus d’un siècle d’existence, c’est la deuxième femme seulement à occuper ce poste. «La Fédération a été fondée en 1919 à l’initiative d’un groupe d’hommes qui souhaitaient combattre l’exode rural», rappelle Lucie Theurillat.

Aujourd’hui, la «Fédé» compte 203 jeunesses dans tout le canton de Vaud. Seule celle de Morges résiste en milieu urbain, toutes les autres sont implantées dans des villages. Un clivage qui débouche parfois sur certaines incompréhensions entre les deux mondes. La dernière en date fut la fameuse «Soirée meules» organisée par la Jeunesse de Molondin en octobre 2021, qui promettait une entrée gratuite à la fête aux détentrices de fortes poitrines. Lucie Theurillat esquisse un sourire. La question revient à chaque interview. Si la Vaudoise reconnaît que l’organisation a fait preuve de maladresse, elle appelle à un peu plus de second degré. «Ce soir-là, des hommes sont arrivés avec des soutiens-gorge rembourrés. C’était une blague», nuance-t-elle. La présidente regrette surtout la vision caricaturale qui colle encore trop souvent au monde des jeunesses. Nous ne sommes souvent réduits qu’à ce type d’affaires et aux soirées alcoolisées, c’est dommage. Et puis je crois qu’il y a d’autres problèmes qui méritent une vraie attention.»

 

Espaces de prévention

Avec des collègues, elle a d’ailleurs lancé durant l’été 2020 l’émission de podcasts Fédébat pour aborder divers thèmes sociétaux. «Nous discutons de sujets comme le sexisme, l’homophobie ou le racisme.» Cet été, la nouvelle présidente souhaite aussi mettre l’accent sur la prévention du suicide chez les jeunes, un fléau accentué par la crise du Covid. «Nous avons perdu un copain du village en décembre. Cette mission me tient donc particulièrement à cœur. Pour beaucoup de gens, les sociétés de jeunesse sont des lieux de soutien et viennent parfois remplacer une famille», rappelle Lucie Theurillat. Car au-delà des fêtes et des soirées joyeusement arrosées, la «Fédé» a surtout pour mission de créer du lien entre les jeunes dans les campagnes.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/Lundi13