Rencontre
Dans l’univers enchanteur et enfantin de l’artiste Marcel Béguelin

Depuis près de cinquante ans, ce Vaudois d’adoption s’amuse à façonner des jouets en bois sortis de son imaginaire. Il nous a ouvert les portes de son atelier à Baulmes (VD), où prennent vie ses créations uniques.

Dans l’univers enchanteur et enfantin de l’artiste Marcel Béguelin

À Baulmes, c’est un peu le Père Noël du village. D’abord parce qu’il règne dans l’atelier de Marcel Béguelin, niché sous les toits de sa maison, un froid polaire en ce mois de décembre. Mais surtout car les lieux débordent de centaines de jouets éparpillés du sol au plafond. Des voitures rétrofuturistes, des locomotives d’un autre temps, de gros chats dodelinant sur des roulettes, des montgolfières multicolores suspendues aux poutres, des avions historiques décorés du drapeau suisse. «Celui-ci, par exemple, c’est un Pilatus que j’avais fabriqué pour mon fils lorsqu’il était petit. Il a eu un tel succès que j’en ai fait trois ou quatre autres pour ses copains», raconte Marcel Béguelin.

Allez savoir si cela tient à son univers créatif ou à son regard rieur, mais on perçoit immédiatement chez cet homme de 77 ans des airs de grand enfant aux cheveux blancs. À côté de lui, derrière son établi, une réplique en bois du Breitling Orbiter 3 de Bertrand Piccard attire l’œil. «Les proportions entre le ballon et la capsule sont fidèles à l’original», s’enorgueillit l’artiste.

 

Donner une nouvelle vie aux objets

Ces créations inspirées du réel ne sauraient pourtant représenter l’entier de l’œuvre de Marcel Béguelin, qu’il qualifie lui-même d’instinctive. «Je ne fais jamais de croquis avant de me lancer. J’ai pour habitude de partir du bois et de façonner mes objets au fur et à mesure de ce que j’y perçois.» Car la matière première qu’il utilise provient exclusivement de récupération. Dans un coin de son atelier, des pièces inertes attendent de reprendre vie entre ses mains: un fût de chêne hors d’usage, des tiroirs de cuisine, des branches d’un figuier de son verger, de vieux piquets d’alpage et même des structures en frêne issues d’anciens skis et snowboards Authier, récupérés lors de la fermeture de l’usine vaudoise il y a plus de vingt ans. Les seuls éléments que Marcel Béguelin achète sont les baguettes qui lui servent à fabriquer les essieux de ses véhicules.

Au-delà de l’aspect durable de sa démarche, l’artiste apprécie surtout l’idée de travailler des matériaux qui ont vécu. «J’aime les nœuds, les surfaces patinées ou rugueuses, les imperfections, le fait que chaque morceau de bois raconte une histoire différente», dit-il.

 

Une carrière éclectique

Ses réalisations sont d’ailleurs volontairement minimalistes. Un paradoxe pour celui qui fit pourtant carrière dans le dessin technique. Né dans le canton de Zurich, près des chutes du Rhin, Marcel Béguelin, qui doit son patronyme aux origines jurassiennes de son grand-père
paternel, a commencé en tant que dessinateur de machines au département wagon de l’usine SIG, avant de poursuivre son parcours professionnel en Suisse romande. Le Vaudois d’adoption dessine alors des pièces de caméra pour l’entreprise Bolex, travaille deux ans comme aide-jardinier à la Ville de Vevey, participe à la remise en valeur de la voie antique entre Vuiteboeuf et Sainte-Croix, connaît quelques années de chômage, s’essaie un temps à la vie d’homme au foyer, puis termine sa carrière à l’Office fédéral de la statistique, à Neuchâtel.

En Suisse romande, il rencontre Anne-Lise, sa compagne, alors enseignante de langues. Le couple a deux enfants, Natascha et Johann. C’est pour eux que Marcel Béguelin créa ses premiers jouets. «Ma fille s’amusait à dessiner un animal, je le découpais dans le bois et elle le peignait. Je lui fabriquais aussi des minipuzzles qui tenaient dans des boîtes d’allumettes. Aujourd’hui, je n’y arriverais plus, j’ai moins de mobilité dans les doigts, je ne façonne plus que de gros objets. D’autant que j’accomplis tout à la main. Je n’utilise qu’une perceuse et une scie sauteuse, c’est tout.»

 

Des réalisations inestimables

À Baulmes, où il est connu comme le loup blanc, il n’est pas rare qu’un habitant lui passe commande pour un cadeau de naissance ou un jouet personnalisé. Artiste généreux mais piètre commerçant, il rit lorsqu’on lui demande le prix de ses œuvres. «Je n’ai jamais été fichu de savoir combien elles valaient. Franchement, c’est inestimable», lâche-t-il en haussant les épaules.
La plupart sont d’ailleurs des cadeaux qu’il offre à son entourage ou aux enfants du village qui viennent lui rendre visite.

Depuis 1985, il conçoit aussi chaque année des calendriers de l’avent artisanaux, qu’il réalise de A à Z, du dessin à la découpe des cases une à une. «Contrairement aux autres, le mien démarre le 6 décembre, jour de la Saint-Nicolas. C’est une fête qui était très importante dans mon enfance. Je me rappelle d’ailleurs comme si c’était hier les Pères Fouettards qui traversaient le village!» On lui demande alors si ses inventions sont une manière de garder intacts ses souvenirs. La mine enjouée s’efface un instant. «Au contraire, je fabrique les jouets que j’aurais aimé recevoir lorsque j’étais petit. J’ai grandi comme fils unique dans un milieu modeste, avec des parents ouvriers d’usine qui travaillaient dur», esquisse-t-il. Au-delà du résultat matériel, c’est le fait même de bricoler qu’il vit comme un cadeau aujourd’hui. «Cela participe à mon bonheur depuis un demi-siècle. Si je ne monte pas dans mon atelier un jour ou deux seulement, je le ressens sur mon moral. Créer est devenu vital.»

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/Lundi13