Insolite
L’effet chou inattendu de la pandémie en 2020

L’an dernier, les ventes de choux blancs, choux rouges et choux frisés ont battu des records en Suisse. Surtout durant les périodes de semi-confinement, en dehors de la saison de consommation traditionnelle du légume.

L’effet chou inattendu de la pandémie en 2020

Que faisaient les Suisse l’an dernier, alors que les mesures prises par le Conseil fédéral pour lutter contre la pandémie les confinaient entre les quatre murs de leur logement? On le sait depuis le 19 février dernier: ils se goinfraient de choux. Plus précisément de chou blanc, rouge et frisé.

L’information est venue de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), avec pour l’étayer des chiffres étonnants: en 2020, la vente au détail de ces trois brassicacées a été supérieure de 28% à la moyenne des années précédentes. De plus, elle surpasse de 17% celle des autres légumes consommés l’an dernier (voir l’encadré ci-contre). Cette augmentation a notamment été sensible pendant les deuxième et quatrième semestres, correspondant au semi-confinement imposé par les autorités, relève l’OFAG. Au printemps, elle a même atteint 52% par rapport à 2016-2019 – alors que la consommation de chou tend ordinairement à baisser à ce moment de l’année. Pour satisfaire l’appétit des Helvètes, la Confédération a même dû réduire la période où les importations sont taxées.

Une tendance confirmée
Du côté des producteurs, il n’y a pas eu pour autant de quoi s’affoler. Pour remarquable qu’elle paraisse, cette hausse s’inscrit en effet dans une tendance qui a débuté il y a quelque temps déjà, relèvent-ils. Si l’OFAG désigne le chou blanc champion de sa catégorie, les maraîchers pointent quant à eux les beaux résultats du modèle frisé. «Sur les trois dernières années, on a vu une progression de 25 tonnes au total», remarque-t-on au service des achats de Spavetti, une des grandes coopératives maraîchères du Seeland. Idem chez Proveg, active dans le même secteur et la même région: les deux entreprises n’ont toutefois pas pour autant modifié leurs plannings de production – et ne l’ont pas fait non plus pour 2021 à la suite du boom de l’an dernier.

«Nos programmes sont établis en fonction d’une moyenne de la demande des années précédentes et d’une projection pour la prochaine, indique Martin Tschannen, directeur de Proveg. On peut prendre quelques risques, mais pas celui de jeter de gros volumes invendus après trois mois.»«Les quantités sont fixées pour éviter les ruptures dans l’assortiment et le recours excessif aux importations, ajoute Marisa Fernandes chez Spavetti. Les variations de consommation ont donc peu d’impact à ce niveau de la filière.» En entraînant des importations palliatives, elles ont en revanche pesé sur les prix, inférieurs de 24% à ceux de 2019; l’OFAG pointe aussi un creux dans l’approvisionnement en choux bios aux mois d’avril-mai pour expliquer cette baisse du prix du chou.

Si la fermeture des frontières a eu un effet positif sur la consommation de denrées indigènes, celle des restaurants a d’abord brouillé le marché avant d’entraîner des conséquences similaires: «Les gens se sont mis à cuisiner. Ce qu’on a perdu en restauration, on l’a gagné sur le frais», résume Marisa Fernandes. «Les détaillants ont joué le jeu: on a pu vendre en grande distribution des légumes de gros calibre ordinairement dévolus à la restauration», précise Martin Tschannen.

Des vertus attractives
Il n’empêche: pourquoi le chou? Certes, avec leur sympathique bouille colorée, les trois vainqueurs font bonne figure sur les étals. Le grand blanc et son frère rouge, en outre, sont associés dans la symbolique alimentaire à des qualités de bonne humeur, de vaillance et d’assurance dont on a grand besoin en ces temps de morne inquiétude sanitaire. Et, depuis l’Antiquité, le chou est réputé pour ses qualités médicinales: contre l’ivresse, les verrues, les migraines, la goutte, la jaunisse ou la nervosité, il y a tout dans le chou. Une piste à creuser? «La publicité et les médias créent des tendances, surtout dans le registre manger pour être en bonne santé, confirme Marisa Fernandes. Et il suffit qu’un chef populaire crée un menu mettant un légume en valeur pour qu’on perçoive un effet sur la demande.» «Le chou frisé a nettement bénéficié du trend lancé avec le chou kale», acquiesce Martin Tschannen.

C’est peut-être un mécanisme de ce genre qui a propulsé le chou sur le podium des légumes les plus appréciés en 2020: en septembre, rappelle Yvan Schneider, passionné d’histoire de l’alimentation et membre de SlowFood Vaud, un article du magazine Femme actuelle mettait précisément en vedette les potentielles vertus contre le coronavirus de notre héros, via la quercétine, une molécule susceptible d’inhiber la réplication du virus dans l’organisme hôte. Les consommateurs et consommatrices ont-ils vu dans le chou un allié dans leur lutte contre la Covid-19?

Pas d’effets collatéraux
Il serait intéressant (quoique…) de corréler la choumania avec une éventuelle augmentation de la consommation de compléments alimentaires contenant de la quercétine. En tout les cas, cet engouement n’a pas débordé sur un des plus nobles produits dérivés du chou, la saucisse vaudoise IGP, nous confirme Didier Blanc, gérant du label. «On n’a rien remarqué, et je n’ai pas non plus entendu de commentaires de la part des fabricants sur une hypothétique pénurie de chou ou des difficultés à s’approvisionner! Les ventes sont restées stables depuis les progrès induits par l’introduction de l’IGP, avec une dynamique positive pour les produits artisanaux.» Il est vrai qu’en dépit de ses grandes qualités, la saucisse aux choux a encore du chemin à faire avant de passer pour un antiviral. Peut-être lors de la troisième vague?

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): DR

Les légumes de garde plébiscités

En 2020, le chou n’a de loin pas été le seul légume à bénéficier de l’engouement des consommateurs. «Dans le commerce, cette hausse de la demande s’est surtout traduite par de gros achats et des commandes impulsives, remarque Marcel Jampen. Les gens se sont soudain mis à acheter beaucoup plus de choux, mais aussi de légumes de garde, de carottes et de fruits à pépins. Et les petits fruits et les tomates ont aussi été concernés par cette tendance.» Selon le responsable du secteur Légumes à Swisscofel (l’Association suisse du commerce des fruits, légumes et pommes de terre), une telle situation était totalement inédite pour la branche. «Quant à savoir comment ça va se passer cette année, il est difficile d’établir des prévisions, précise-t-il. Ce qu’on remarque, c’est que la demande pour les produits suisses de garde demeure aujourd’hui élevée.» Beaucoup de légumes produits l’an dernier sont encore disponibles dans les stocks, comme les choux ou les céleris-pommes, note quant à lui Martin Tschannen, directeur de la coopérative Proveg. «Et certains produits plantés l’an dernier sont encore en terre, notamment les poireaux. Pour ces derniers, comme pour les légumes que les maraîchers sont actuellement en train de planter, il faudra attendre leur maturation pour juger de l’état de la demande en 2021.»

En chiffres

Le marché en 2019 et 2020

  • En 2020, il s’est vendu en Suisse 4666 tonnes de choux, dont:
  • 2432 tonnes de choux blancs;
  • 1223 tonnes de choux rouges;
  • 1012 tonnes de choux frisés.
  • En 2019, les ventes se sont élevées à:
  • 1708 tonnes de choux blancs;
  • 958 tonnes de choux rouges;
  • 908 tonnes de choux frisés.

+ D’infos blw.admin.ofag.ch, Observation du marché