Interview
«Il faut impliquer les citoyens dans les débats autour de l’alimentation»

Ce jeudi, la première Assemblée citoyenne du pays présente ses recommandations lors du Sommet sur le système alimentaire, à Berne. Une démarche démocratique prometteuse, selon son coordinateur Gabriel Pelloquin.

«Il faut impliquer les citoyens dans les débats autour de l’alimentation»
Est-il possible de produire de la nourriture de manière durable et équitable? Si oui, comment? Telles sont les questions auxquelles a répondu la première Assemblée citoyenne nationale, dans le cadre du projet «Avenir Alimentaire Suisse», lancé par la Fondation Biovision, l’association Agriculture du futur et le Sustainable Development Solutions Network (SDSN Suisse). De juin à novembre, 80 habitants choisis au hasard ont réfléchi à des pistes d’action et formulé des recommandations concrètes en lien avec le gaspillage, la rémunération des agriculteurs ou encore la protection de la biodiversité. Celles-ci sont présentées ce jeudi lors du Sommet suisse sur le système alimentaire, à Berne, en présence du conseiller fédéral Guy Parmelin. Interview du coordinateur du projet Gabriel Pelloquin.Pourquoi cette période était-elle propice au lancement de cette initiative?
➤ Parce que les réformes dans ce domaine sont au point mort. En 2021, l’examen de la PA22+ – soit les mesures en lien avec la politique agricole – a été suspendu et ne reprendra qu’au printemps 2023, pour une entrée en vigueur en 2025. Les processus politiques sont très lents. Tous les acteurs sont conscients qu’il faut changer notre manière de faire, mais personne n’arrive à se mettre d’accord. Nous avions envie que le débat autour de l’alimentation, qui nous concerne tous, avance. Une nouvelle impulsion était nécessaire.Comment l’Assemblée a-t-elle concrètement pris forme?
➤ Une fois le tirage au sort effectué, les panélistes se sont réunis onze fois, à Olten, Lausanne et Zurich, ainsi qu’en vidéoconférence. Ils étaient répartis en cinq groupes, traitant de la santé, de l’environnement, de la production, de l’économie et du social. En plus de la présence de modérateurs et d’un conseil scientifique qui assuraient la qualité et l’indépendance du processus, de nombreux acteurs ont pu exprimer leur point de vue, tels que l’Union suisse des paysans, la Fédération romande des consommateurs ou la Fédération des industries alimentaires suisses. L’été, des sorties étaient organisées, par exemple dans des fermes ou des restaurants qui ne proposent que des produits helvétiques. Il a fallu un certain temps pour que les participants se sentent à l’aise et mettent à jour leurs connaissances. Mais finalement, les échanges ont été très riches.

Quels sont les avantages de cette démarche?
➤ La sélection d’un échantillon le plus représentatif possible permet de rassembler des personnes de sexe, âge, origine, éducation et opinion politique variés, qui ne se seraient sûrement jamais côtoyées autrement. Grâce à des discussions en petits groupes, elles sont amenées à donner leur avis, ce qui favorise les échanges approfondis, une meilleure compréhension de l’autre, voire des changements d’opinion. Ces citoyens n’ont ni parti politique officiel ni mandat à renouveler. Leurs décisions s’orientent davantage vers le bien commun à long terme. Enfin, l’implication de différents groupes d’intérêt aide à adopter un point de vue d’ensemble et à trouver des solutions pérennes. La société et les médias ont tendance à opposer agriculteurs et consommateurs, comme en 2022 lors de l’initiative sur l’élevage intensif. Nous devons dépasser ces clivages pour atteindre un système alimentaire sain et vertueux.

Au terme du processus, 126 recommandations ont été adoptées. Lesquelles concernent l’agriculture?
➤ Il y a notamment la transparence dans la fixation des prix d’achat et de vente des marchandises, la garantie d’un revenu pour une production régionale et saisonnière, ainsi que la promotion de nouvelles formes d’exploitations telles que les coopératives agricoles. De manière générale, les leviers d’actions sont la mise en place de filières plus respectueuses de l’environnement, l’amélioration de la situation économique des paysans et la création de paiements directs compatibles avec le développement durable. En ce qui concerne l’élevage, l’assemblée propose, entre autres, la réduction du nombre d’animaux dans une ferme en fonction de la surface disponible, la mise en place d’une prime pour la production de viande sans fourrage importé, la limitation de l’usage des pesticides de synthèse ou encore le développement de produits de substitution végétaux locaux.

Et dans les autres domaines?
➤ On peut citer, en vrac, la réduction de 20% du sucre dans tous les aliments d’ici à 2035, l’interdiction de faire la publicité de denrées nocives pour la santé, la mise en place de cours consacrés à l’alimentation équilibrée à l’école obligatoire, la présence accrue de marchandise hors norme, comme les légumes abîmés ou trop petits, dans les rayons des supermarchés, ou encore un système d’allocation concernant les produits durables et sains pour les personnes en situation de précarité. En parallèle, une trentaine de chercheurs spécialisés ont élaboré des pistes d’action au regard des connaissances scientifiques actuelles.

Aujourd’hui, ces résultats sont présentés, discutés et remis aux politiques. Qu’adviendra-t-il ensuite?
➤ Nous espérons que les parlementaires les prendront en compte dans les débats et qu’ils serviront de feuille de route dans l’agenda politique. Notre idéal serait d’avoir un retour officiel à propos de chaque recommandation et de savoir, le cas échéant, pour quelles raisons certaines sont rejetées. Nous nous engageons à faire un véritable travail de suivi, afin que les réformes avancent et que les choses bougent. Ce n’est que le début!

Les assemblées citoyennes ont-elles de l’avenir en Suisse?
➤ Je l’espère. En tout cas, on en recense de plus en plus à l’échelle locale, comme à Genève ou dans la commune de Prilly (VD). La Suisse reste malgré tout en retard par rapport à ses voisins européens, tels que la France, l’Allemagne ou l’Autriche, où ces initiatives se multiplient depuis une dizaine d’années. Je suis convaincu que ce modèle peut jouer un grand rôle démocratique dans notre pays, en complément d’autres mécanismes politiques déjà en place, telle l’initiative populaire. Cette démarche doit être prise au sérieux.

+ d’infos La liste des recommandations est disponible sur www.buergerinnenrat.ch

Texte(s): Propos recueillis par Lila Erard
Photo(s): Désirée Good

Bio express

Gabriel Pelloquin

Après une formation en philosophie et histoire, ainsi qu’une activité professionnelle dans le domaine du développement durable, le Franco-Bâlois a été engagé à Biovision l’an dernier. Établie depuis 1998 outre-Sarine et depuis trois ans en Romandie, cette fondation a pour objectif de trouver des solutions et de promouvoir des conditions politiques favorables à la mise en place d’un système alimentaire durable, conforme à l’Agenda 2030 de l’ONU. Concerné par les démarches participatives, le trentenaire a déjà organisé d’autres assemblées citoyennes à l’étranger, notamment sur les questions de politique climatique.