Elevage
Ruedi Zweifel: «Le poulet n’est pas près d’être remis en question dans notre alimentation»

Bien-être animal, ovosexage, recours aux antibiotiques: les défis ne manquent pas pour le secteur avicole, alors que les Suisses consomment toujours plus de volaille. Ruedi Zweifel, directeur d’Aviforum, fait le point.

Ruedi Zweifel: «Le poulet n’est pas près d’être remis en question dans notre alimentation»

Selon l’Office fédéral de la statistique, la part du fourrage indigène avicole est passée de 56% en 2000 à 29% en 2018. Comment réduire la dépendance du secteur aux importations?

➤ J’estime l’autoapprovisionnement plutôt entre 50 et 55%, dont une part de blé importé, mais transformé en Suisse – l’affouragement avicole recourant en grande partie à la valorisation de sous-produits céréaliers et alimentaires. Cela dit, on a voulu à plusieurs reprises accroître cette part en augmentant la surface d’assolement dévolue aux céréales fourragères. On s’est heurté à chaque fois à une absence de volonté de la politique agricole, et au fait que l’importation, depuis la France ou l’Allemagne, se révèle plus avantageuse que la production intérieure.

La viande de volaille est prisée, notamment en raison de son prix bas. La hausse attendue des coûts du fourrage liée au cours des céréales va-t-elle entraîner une diminution de la consommation et mettre les producteurs en difficulté?

➤ Le prix n’intervient qu’en quatrième place dans la décision du consommateur d’acheter de la volaille suisse, après la provenance, les conditions d’élevage et la présentation en rayon. Même en présence d’un produit étranger similaire à côté, 80% des acheteurs optent pour le poulet suisse! Bien sûr, l’augmentation du prix des aliments préoccupe beaucoup la branche, mais le système contractuel de production avicole donne un avantage aux éleveurs dans la négociation; la pression du marché y est moindre que sur la filière porcine.

Le secteur avicole a récemment été pointé du doigt pour un recours massif aux antibiotiques (8 millions de poulets de chair traités par an selon l’OSAV), notamment à la fluoroquinolone, un antibiotique dit critique ou de dernier recours (5,2 millions de poussins traités). Que répondez-vous à ce reproche?

➤ D’abord, que les chiffres présentés sont à remettre en perspective. On parle de doses administrées à des animaux de un à deux kilos – celles calculées pour des bovins de 600 kilos sont bien plus importantes. En réalité, l’aviculture ne représente qu’un pourcent du volume des antibiotiques, d’autant qu’on a diminué de 50% leur usage en suivant un protocole strict et des mesures d’hygiène rigoureuses – par exemple en agissant très tôt lorsqu’il y a lieu, ce qui permet généralement de s’en tenir à une seule intervention. Ensuite, il faut préciser que la liste des substances autorisées par Swissmedic ne comprend que ces antibiotiques dits critiques. Mais sur l’insistance des vétérinaires spécialisés, une dérogation est désormais possible pour importer des antibiotiques d’autres catégories.

L’OSAV fait tout de même état de hauts niveaux de résistance dans les élevages. Ne faut-il pas agir, pour éviter un problème de santé publique?

➤ Cette résistance, innée dans les poussins parentaux, fait aujourd’hui partie des critères examinés à chaque génération par les sélectionneurs, avec lesquels nous collaborons efficacement. Par ailleurs, seule une faible partie des germes résistants franchit la barrière spécifique, et tous sont éliminés par la cuisson à 70°C.

Le broyage des poussins mâles est désormais interdit dans l’Union européenne, et la mise à mort par gazage et étourdissement, pratiquée en Suisse, devient de moins en moins acceptable pour le consommateur. L’ovosexage va-t-il s’imposer comme alternative?

➤ Je le pense, du moins dans les élevages conventionnels. GalloSuisse travaille pour disposer à l’horizon 2023 d’une solution d’ovosexage jusqu’au onzième jour d’incubation. Les deux couvoirs conventionnels suisses ont décidé d’investir dans cette méthode, et le marché est vraisemblablement prêt à adopter ce procédé. À condition qu’il soit jugé éthiquement acceptable par le consommateur. Les exploitations bios, elles, privilégient l’élevage des «frères coqs» pour résoudre le problème, mais se heurtent à la question des ressources et de la rentabilité: un frère coq consomme quatre fois plus d’aliments, a besoin d’une surface plus élevée, et la viande qui en est issue, plus chère, est destinée à la fabrication de produits transformés. Ce modèle n’est pas transposable à la filière conventionnelle. Mais les trois options vont sans doute être offertes aux consommateurs.

La politique agricole veut réduire l’empreinte environnementale et améliorer la durabilité de la production de protéines en développant la culture de protéagineux destinés aux hommes. Cela pourrait-il jouer contre l’aviculture, qui peine à se profiler sur cette thématique?

➤ Je ne suis pas d’accord: avec une moyenne de 1,6 à 1,8 kilo d’aliment pour obtenir 1 kilo de poulet poids vif, la volaille représente la transformation de protéine végétale en protéine animale la plus efficiente après le poisson. Ce critère ne peut être ignoré! De toute façon, la Suisse ne dispose pas de la surface nécessaire pour développer la production de protéines végétales au point de se substituer
à la viande. Et le poulet ne serait pas le premier à être remis en question dans nos habitudes de consommation au vu de sa progression annuelle de 2 à 3% sur le marché. Les changements de modèles alimentaires à venir ne vont pas se traduire par une concurrence entre les secteurs agricoles! Je pense que l’équilibre le plus complexe à obtenir sera entre production indigène et production extérieure.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Bio Express

Ruedi Zweifel est titulaire d’un diplôme d’ingénieur agronome de l’EPFZ et également ingénieur en économie UTS. Entré à la fondation Aviforum en 2002, il dirige l’établissement dédié à la recherche et à la formation avicoles, où il enseigne et dispense une expertise notamment en matière d’alimentation des volailles et d’économie du secteur. Ruedi Zweifel est aussi membre du conseil de direction de l’Association suisse des producteurs de volaille (ASPV), avec voix consultative.

Un secteur en plein essor

Si les cheptels bovin et porcin sont stables depuis une vingtaine d’années, avec une tendance à la baisse, l’élevage de volailles a continuellement progressé, atteignant 11,9 millions d’animaux en 2019. Une hausse accompagnée d’une spécialisation de l’aviculture et d’une diminution du nombre d’exploitations pratiquant l’élevage – de 21000 en 2000 à 14000 en 2019. La part avicole de la production agricole suisse demeure modeste: 291 millions de francs pour les œufs, 353 millions pour la viande, sur un total de 11,4 milliards de francs.

+ d’infos www.agrarbericht.ch