Jardin
Il cohabite avec des milliers de plantes carnivores

Depuis quarante ans, Olivier Marthaler cultive des darlingtonia et des népenthès, de rares végétaux venus des États-Unis et d’Asie. À l’automne, ce Chaux-de-Fonnier récolte leurs graines pour les échanger.

Il cohabite avec des milliers de plantes carnivores

Dans le quartier, on le surnomme «celui qui habite l’appartement rose». Dès la fin d’après-midi jusqu’à 22 heures, une douce lumière s’échappe en effet des fenêtres d’Olivier Marthaler, attisant la curiosité du voisinage. «On pourrait croire que je cultive du cannabis, mais ce n’est pas le cas, même si j’utilise presque les mêmes équipements», rigole le propriétaire en nous faisant pénétrer dans son mystérieux antre, sur les hauteurs de La-Chaux-de-Fonds (NE). À l’intérieur, plusieurs milliers de plantes carnivores s’épanouissent grâce aux bons soins prodigués par ce sexagénaire à la main verte. «J’ai découvert ces végétaux à l’adolescence dans un catalogue de vente par correspondance. Leur étrangeté m’a fasciné. À l’époque, il existait très peu de littérature sur le sujet. D’ailleurs, ma première plante n’a tenu que trois mois…», raconte-t-il. Quarante ans de pratique et d’expérimentations plus tard, le Neuchâtelois possède  une collection particulièrement riche. Dans son appartement de sept pièces, trois sont entièrement dévolues à ce hobby, dans un joyeux bazar de pots, tuyaux et installations en tout genre.

Des pièges trompe-l’œil

Mais qu’est-ce qu’une plante carnivore? «C’est un végétal capable d’attirer, de capturer et de digérer ses proies pour subvenir à ses besoins, grâce à différents types de pièges. Il pousse la plupart du temps dans des sols pauvres en azote et en phosphore, comme les tourbières», détaille-t-il. S’il en existe plus de 700 espèces dans le monde, notre homme s’est spécialisé dans la culture de deux d’entre elles: les darlingtonia et les népenthès. Les premières, originaires du nord de la Californie, aux États-Unis, sont particulièrement adaptées aux nuits froides de la région. Dans la véranda au style art nouveau de notre hôte, plusieurs spécimens de tailles variées poussent les pieds dans l’eau. Aussi surnommée «lis cobra» en raison de sa forme de serpent, darlingtonia utilise ses appendices en forme de moustaches pour sécréter un nectar qui va attirer les insectes, principalement les mouches. «Une fois prisonnières, elles cherchent à s’échapper en se dirigeant vers la lumière qui passe à travers des taches blanches trompe-l’œil situées sur la partie haute. Au bout d’un moment, elles s’épuisent et tombent au fond de la fosse, où se trouve le système digestif. C’est un peu sadique!» concède le spécialiste en s’esclaffant, puis en sectionnant la tige pour montrer les restes d’animaux décomposés. Et d’ajouter: «Parfois, je vois vibrer certaines plantes quand des insectes se débattent. Mais seules quelques guêpes arrivent à s’enfuir.»

À la mode sur les réseaux sociaux

Quant aux népenthès, particulièrement décoratifs, ils piègent leurs proies dans des urnes emplies d’un liquide dans lequel elles se noient. Pour prendre soin de ces espèces adaptées au climat tropical de Malaisie et d’Indonésie, Olivier Marthaler les conserve dans de grands terrariums humides. «Comme les insectes vivants ne peuvent pas y pénétrer, je les nourris de vers séchés.» Si une soixantaine d’espèces étaient répertoriées il y a cinquante ans, ce nombre a plus que doublé aujourd’hui. «J’ai même eu la chance d’accompagner une équipe de biologistes qui en a découvert une nouvelle, aux Philippines. C’est un monde plein de surprises!» Sa préférée reste toutefois la bicalcarata de Bornéo, avec ses deux fourches semblables à des dents de vampire, «pour son côté sanguinaire».

Les sarracénies et leurs feuilles recourbées recouvertes d’une coiffe lui plaisent aussi tout particulièrement. Sans oublier l’iconique dionée – ou attrape-mouche –, qui se referme en un dixième de seconde si des insectes viennent à s’y poser. «Au XIXesiècle, on la surnommait la mangeuse d’hommes. Mais essayez d’y mettre votre doigt, elle l’enserrera, mais ne vous fera pas de mal!» lance-t-il en montrant l’exemple.

Si des plantes carnivores poussent également sous nos latitudes – comme le droséra ou la sarracénie pourpre –, Olivier Marthaler a un faible pour les exotiques. «Je préfère admirer les nôtres dans leur milieu naturel, comme dans les tourbières de l’arc jurassien», dit-il. Le reste du temps, cet enseignant passe une heure par jour en moyenne à s’occuper de ses petites protégées, entre l’arrosage, le rempotage et le remplissage des humidificateurs. «Partir en vacances est toujours une source d’inquiétude. Heureusement, une ancienne élève étudiante en biologie accepte de venir les arroser.»

À la fin de l’été, le Chaux-de-Fonnier récupère les graines pour effectuer des semis et multiplier ses végétaux. «Je fais aussi des échanges sur les réseaux sociaux. Les plantes carnivores sont à la mode depuis quelques années. Une véritable communauté s’est créée, avec de nombreux forums.» Certains spécimens rares se vendent même aux enchères, pour des prix exorbitants pouvant atteindre 700 à 1000 francs. Il faut toutefois veiller à les acheter chez des producteurs certifiés, car il existe un marché noir d’espèces protégées», met-il en garde. D’ailleurs, Olivier Marthaler compte bien, lui aussi, vendre certaines plantes de sa collection ces prochaines années… «Mais ce sera pour en acheter d’autres, évidemment!»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas de Nève

Le collectionneur

Enfant, ses parents l’emmenaient randonner avec son frère à la découverte de la nature et des végétaux, mais il ne s’y intéressait qu’à moitié. C’est durant son adolescence qu’Olivier Marthaler s’est véritablement pris de passion pour les plantes carnivores. Après ses études, celui qui exerce aujourd’hui le métier d’enseignant en anglais et en histoire a agrandi sa collection. Il est désormais reconnu dans son domaine. Ce père de deux enfants joue également du cor classique dans deux orchestres.