Reportage
Des vaches à la fois laitières et allaitantes?

Dans l’Emmental (BE), Daniel et Maryline Siegenthaler produisent du truber, le fromage régional, avec un lait issu de leur élevage mères-veaux. Une approche encore rare en Suisse. Rencontre à l’alpage.

Des vaches à la fois laitières et allaitantes?

Des veaux qui gambadent dans un grand pâturage, d’autres qui tètent leur mère, alors qu’au loin s’étire dans un camaïeu de verts le paysage vallonné de l’Emmental. Le tableau paraît presque trop bucolique pour être vrai. Nous sommes à quelques encablures de Trub, chez Daniel et Maryline Siegenthaler. Deux producteurs laitiers un peu particuliers. Il y a quelques années, ce couple a choisi d’abandonner la filière conventionnelle pour se lancer dans l’élevage mères-veaux. «Nous ne trayons nos vaches que le matin. Le reste de la journée, les petits sont libres de téter comme bon leur semble», explique Daniel Siegenthaler en s’activant au-dessus du chaudron de la fromagerie artisanale installée à côté de leur ferme.

Instinct maternel
La démarche des Siegenthaler est née en 2015. Le couple et ses cinq enfants vivent alors l’été à l’alpage et le reste de l’année dans leur ferme au village. «Pendant quatre mois, nous nous en sortions bien avec notre fromage, tandis que les huit autres, nous perdions de l’argent en livrant notre lait à l’industrie pour un prix en dessous des 50 centimes, explique Maryline Siegenthaler. Nous ne trouvions plus de sens à tout cela.» D’autant que leur pâte dure connaît un succès tel que sa production estivale n’arrive pas à suivre la demande. Daniel et Maryline songent alors à fromager toute l’année. «Mais cela aurait représenté entre 10 et 12 tonnes de production. Un travail trop important pour mon mari et moi ainsi que notre apprenti.» C’est en cherchant à écouler

une partie de leur lait sans recourir à l’industrie que germe l’idée d’une reconversion des veaux sous la mère.

Le couple décide de se lancer, d’abord avec deux vaches. «L’une d’elles avait 7ans. Nous lui avions déjà retiré cinq ou six veaux et ignorions quelle serait sa réaction. Elle s’est tout de suite très bien occupée de son petit et a accepté ses tétées tout en se laissant traire en parallèle. Pour mon mari et moi, qui ne connaissions que la production laitière conventionnelle, c’était très émouvant à observer…»

Deux ans plus tard, forts de cette première expérience encourageante, les Siegenthaler prennent la décision d’étendre leur nouvelle approche à l’entier de leur cheptel. «Au départ, on nous a pris pour des fous», se souviennent Daniel et Maryline. Qui reconnaissent toutefois que les débuts ont été un peu chaotiques par moments. «Les vaches sont des animaux de routine. Changer d’un jour à

l’autre n’a pas été facile.» Les producteurs aussi ont dû s’habituer à cette nouvelle manière de faire. «Cette approche exige une grande connaissance de son troupeau, car nous devons nous adapter à la lactation de chacune de nos bêtes.»

Les mères et leurs petits sont séparés le soir, après une dernière tétée. La traite a lieu le matin. Puis chaque vache est mise au parc, suivie par son veau. «Nous ne trayons pas entièrement, de manière qu’il reste un peu de lait pour la première tétée de la matinée», précise Maryline. Les veaux et leur mère passent ensuite la journée ensemble au pâturage, avant d’être à nouveau séparés la nuit suivante. Quand les veaux partent à l’abattoir, vers l’âge de 4 ou 5 mois, d’autres petits qui n’ont plus assez de lait chez leur mère viennent alors se servir chez ces «nourrices».

Un autre lien avec leur troupeau
Depuis trois ans, l’exploitation fonctionne ainsi en circuit fermé: le bétail est nourri exclusivement avec le fourrage de leurs pâturages et le lait issu de la traite est directement transformé sur le domaine en truber, la pâte dure régionale, puis vendu par les Siegenthaler. Une partie est destinée aux différents points de vente de la région, une autre à la plateforme Cowpassion, qui promeut les produits issus des exploitations laissant le veau sous la mère (voir encadré).

«Notre fromage répond à une demande croissante des consommateurs, de plus en plus sensibles à l’éthique et au respect des animaux», glisse Maryline. Le couple précise toutefois que sa démarche est d’abord née d’une envie d’indépendance vis-à-vis de l’industrie. «Désormais, nous n’ouvrons plus le journal en découvrant catastrophés une énième baisse du prix du lait…» Aujourd’hui, Daniel et Maryline Siegenthaler l’assurent: ils ne pourraient jamais revenir en arrière. «Nous n’y avons pas seulement gagné financièrement. Pouvoir observer nos vaches et leurs veaux ensemble a changé nos liens avec notre troupeau.»

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Aurélie Jaquet

Un site pour promouvoir ces élevages

Fondée en 2019, Cowpassion (contraction des mots cow, «vache» en anglais, et «compassion») est une association bernoise qui promeut les élevages de veaux sous la mère dans la production laitière. Cette plateforme souhaite également informer les consommateurs, alors que «beaucoup de gens ignorent encore que les vaches doivent mettre au monde un veau chaque année pour continuer à produire du lait en suffisance et que ces petits leur sont retirés à la naissance», explique une adhérente. Cowpassion s’engage aussi pour un juste revenu des producteurs laitiers convertis à l’élevage mères-veaux en payant leurs produits à hauteur de 1fr.20 le litre. Sur son site, l’association (qui livre aussi en Romandie) vend en ligne différents fromages issus de ce mode de production et souhaite agrandir prochainement son offre avec du lait et des yaourts.

+ D’infos www.cowpassion.ch