Reportage
Célèbre plante de nos haies, l’invasive laurelle sera bientôt bannie du pays

Répandue dans les zones résidentielles, cette espèce exotique envahissante menace la biodiversité locale. Le Canton de Vaud vient d’interdire sa vente et sa plantation. Le Conseil fédéral devrait lui emboîter le pas en 2024.

Célèbre plante de nos haies, l’invasive laurelle sera bientôt bannie du pays

Durant plus de cinquante ans, son feuillage dense et verdoyant a protégé la maison de Line et Rémy Chatelain des yeux du voisinage et du bruit des automobilistes, offrant une tranquillité appréciée à ces habitants de Lavigny (VD). Pourtant, leur haie de laurelle de deux mètres sur quatre disparaîtra d’ici à quelques jours, laissant place à des ifs, houx, troènes et chênes verts. La raison? Ce végétal très répandu sous nos latitudes est une espèce exotique envahissante, inscrite sur la Liste noire depuis plusieurs années. Si une révision de la loi fédérale sur la protection de l’environnement interdisant sa mise en
circulation pourrait entrer en vigueur en septembre 2024, des subventions sont actuellement allouées par le Canton de Vaud pour encourager son arrachage dans les espaces publics et privés.

Le couple de retraités a justement pris part à ce programme, à la suite de la distribution d’un tout-ménage dans la commune. «Nous avons été très étonnés d’apprendre qu’il s’agit d’une plante néfaste, car on la trouve partout dans les rues et les jardineries. Comme notre haie était déjà vieille, nous avons décidé de la remplacer par des arbustes indigènes. Il n’y aura pas davantage d’entretien à faire et elle restera verte toute l’année, ça vaut le coup!» lancent Line et Rémy Chatelain. Une fois effectués, les travaux seront remboursés à hauteur de 60 francs par mètre linéaire. En quatre ans, une quarantaine de communes vaudoises ont bénéficié de ces aides et environ 3,6 kilomètres de laurelle ont été arrachés.

Également à Genève et Fribourg
Mais que reproche-t-on exactement à Prunus laurocerasus? Appelée aussi laurier-cerise, cette plante originaire d’Asie, importée en Europe à la Renaissance, n’a qu’un intérêt limité pour la faune, en raison de la toxicité de ses fruits. Si certains oiseaux comme les merles en raffolent, ces animaux les disséminent dans les forêts, ce qui forme des peuplements très denses supplantant la biodiversité locale. Afin de stopper au plus vite cette colonisation massive, les autorités cantonales s’activent, en attendant la décision du Conseil fédéral. Déjà engagé dans cette lutte, l’État de Vaud vient d’interdire la vente et la plantation d’organismes exotiques envahissants, dans le cadre de la loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager, entrée en vigueur au 1er janvier.
La laurelle fait partie de la liste des espèces concernées, au même titre que la renouée du Japon ou la berce du Caucase. «En plus des subventions proposées, des arrachages de prévention pourraient être imposés en cas de menace directe pour la faune et la flore indigène, et ce à la charge du propriétaire», précise Najla Naceur, cheffe de section Nature dans l’espace bâti et paysage.

Des démarches similaires sont menées du côté de Fribourg et de Genève. Seule différence: au bout du lac, l’accent est mis sur l’interdiction de planter, et non de vendre. «Il s’agit de ne pas péjorer l’économie cantonale dans notre contexte transfrontalier. Cela renvoie la responsabilité à l’acheteur, où qu’il se soit fourni. Mais à terme, la loi fédérale inclura un contrôle aux douanes», informe Emmanuelle Favre, biologiste à l’État de Genève.

Saule, aubier ou prunelier
Ailleurs en Suisse, certaines communes ont déjà promulgué cette interdiction, à l’exemple de Prilly (VD) qui autorise uniquement les essences indigènes. Lavigny (VD), Trélex (VD) et Grimisuat (VS) pourraient faire de même. À Nyon (VD), le Service de l’environnement a récemment déposé une demande crédit de 750’000 francs au Conseil communal pour arracher les laurelles des lieux publics, ainsi que les thuyas (lire l’encadré). Ces espèces représentent 26% des haies des terrains entretenus par la Ville. «On les retrouve aussi dans des massifs sauvages ou plantés, vers la plage ou le château, expose Pierre Wahlen, municipal chargé de ce dicastère. En revanche, il n’y a pas d’inventaire précis chez les privés. C’est l’une de nos priorités, car la majorité du territoire leur appartient.»

Une partie du crédit pourrait leur être allouée, pour les inciter à remplacer ces invasives par des indigènes. Mais quelles essences privilégier? «Celles qui favorisent la biodiversité et résistent si possible au dérèglement climatique, notamment à la sécheresse», affirme le chef de service Pascal Bodin. Parmi elles, le sureau, l’argousier, le cornouiller mâle, le prunelier, l’aubépine ou le saule argenté, idéalement plantés côte à côte pour obtenir une haie vivante et diversifiée. «Cela ne coûte pas forcément plus cher. Certains arbustes gardent leurs feuilles toute l’année, offrant des baies comestibles, et de nombreux oiseaux et petits animaux viennent nicher et s’y nourrir. Ce qui permet de se reconnecter aux saisons», estime-t-il. Pour Pierre Wahlen, les haies de laurelle sont un symbole de notre rapport à l’environnement: «Ce n’est pas pour rien que cette plante, souvent impeccablement taillée, est surnommée mur ou béton vert. Cela témoigne du désir de l’humain de maîtriser le vivant. Nous devons ramener la nature en ville.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Mathieu Rod

Les paysagistes ont un rôle à jouer

Robustes, denses et faciles d’entretien, les laurelles sont la norme dans les zones résidentielles depuis de nombreuses années. En Suisse, les paysagistes font face à une importante demande de la part des propriétaires. Pour la faitière JardinSuisse, qui représente les intérêts de la branche, l’accent doit être mis sur l’incitation plutôt que l’interdiction. «Nous devons leur proposer des alternatives enthousiasmantes sans les forcer, car finalement, ce sont eux qui devront assumer le coût des travaux. Le chemin vers davantage de biodiversité ne doit pas se transformer en croisade contre les villas. Nous devons tous travailler main dans la main», estime Olivier Mark, président de JardinSuisse, qui ajoute que l’association s’engage à former en continu les professionnels sur cette thématique. Président de JardinSuisse Vaud et gérant de l’entreprise Jardins Naturels, à Charvonay (VD), Luca Menotti n’a, quant à lui, plus planté de haies de laurelles et de thuyas chez ses clients depuis plusieurs années. «On continue de nous le demander, car les gens y sont habitués et ne savent pas forcément qu’il s’agit d’une plante invasive, mais nous faisons un grand travail de sensibilisation. Il s’agit de convaincre les particuliers des bienfaits des arbustes indigènes pour la nature. Ce changement de mentalité va prendre du temps, mais c’est en bonne voie.»

Et les thuyas?

Appelé également cèdre du Canada, ce conifère d’ornement résistant, isolant et dense est très répandu dans les haies. Toutefois, il ne figure pas sur la Liste noire des plantes exotiques envahissantes du pays. Cet arbre n’est pas non plus concerné par la nouvelle loi vaudoise,
le thuya ne présentant pas de danger en matière de dissémination et d’altération de l’environnement. Il reste toutefois déconseillé dans les jardins, car il n’offre aucune nourriture et abri pour la faune.

+ d’infos Une liste d’espèces indigènes favorables à la plantation d’une haie vivante est disponible sur www.lausanne.ch