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À Cheyres, le début de l’année est placé sous le signe de l’agneau

À la tête d’un troupeau de 1200 bêtes, Siulene et Sébastien Bise vivent au rythme des nombreux agnelages qui marquent la saison. Ils racontent leur quotidien marathon, entre naissances, biberons et soins aux petits.

À Cheyres, le début de l’année est placé sous le signe de l’agneau

Un concert de bêlements nous accueille sitôt sortis de la voiture. Non loin des voies ferrées, sous un tunnel paillé, ce troupeau de moutons a repéré ses éleveurs. «Ils attendent leurs céréales de l’après-midi», lance Sébastien Bise, qui arrive avec Siulene, sa compagne. Les traits sont un peu tirés en ce milieu de journée. La faute à des nuits hachées depuis plusieurs semaines. À Cheyres (FR), dans cet élevage d’ovins qui compte parmi les plus importants de Suisse romande avec ses 1200 têtes, le début de l’année est rythmé par les nombreuses naissances d’agneaux. «Nous en avons jusqu’à une vingtaine par jour», explique Sébastien Bise en distribuant leurs rations aux bêtes.

Deux petits par brebis 

Une cadence qui nécessite une présence de tous les instants. Durant la saison des agnelages, qui s’étend de fin décembre à mai, le couple dort dans un conteneur situé juste à côté de la bergerie, pour être au plus près de son troupeau. «Nous nous levons toutes les deux heures pour surveiller les brebis qui mettent bas et veiller à ce que les petits prennent leur première tétée de colostrum», enchaîne Siulene. Arrivée du Paraguay il y a quatre ans, elle est aujourd’hui responsable de la bergerie. Un quotidien, dit-elle, encore plus exigeant que celui qu’elle a connu avec le bétail dans son pays natal. «Les moutons, c’est une préoccupation vingt-quatre heures sur vingt-quatre, surtout les premiers mois de l’année, lors du pic des agnelages.»

Secondée par Sébastien, Siulene assiste aux quelque 1400 naissances qui ont lieu chaque année sur le domaine familial. «La plupart du temps, les brebis s’en sortent très bien, mais il arrive que certains agneaux se présentent par le siège ou que deux petits s’engagent en même temps», poursuit la bergère. Après la naissance, il faut désinfecter le cordon ombilical de chaque nouveau-né, afin de prévenir les infections et maladies. Certaines mères n’ont pas assez de lait, d’autres rejettent parfois leur petit. Siulene doit alors les nourrir au biberon, puis leur apprendre à téter à la machine une fois qu’ils rejoignent la nursery. Il y a aussi l’administratif à gérer, les boutons auriculaires à fixer, puis l’enregistrement de chaque nouvelle bête dans la BDTA (Banque de données sur le trafic des animaux). «Ça n’a l’air de rien, mais quand vingt brebis mettent bas la même journée, avec deux petits en moyenne, cela fait une quarantaine de bébés à gérer», explique l’éleveuse.

Races prolifiques

Il est d’ailleurs temps de donner le biberon à l’un d’entre eux. Né la veille, il tient tout juste sur ses pattes. Siulene le sort de son box chauffé et l’installe sur ses genoux. «Sa mère l’a rejeté parce qu’elle n’avait pas assez de lait. Alors je joue les mamans de substitution. Les liens avec les agneaux sont spéciaux. Peut-être parce qu’ils sont si petits et vulnérables. C’est un autre rapport que celui que j’ai connu avec les vaches», dit-elle. L’immense majorité des nouveau-nés passent, eux, leurs premiers mois avec leur mère. D’abord dans des box individuels, puis en troupeaux. Mais les soins n’en demeurent pas moins exigeants. «Il faut veiller à avoir des litières bien propres et éviter les courants d’air, car les agneaux sont sensibles aux variations de température. Les soixante premiers jours sont cruciaux. La valeur laitière de la brebis détermine la croissance des petits», explique Sébastien. Il a d’ailleurs privilégié la noire du Velay et la romane, deux races particulièrement prolifiques à la reproduction et dont le lait pour les agneaux est d’excellente qualité. «Elles sont également très adaptées à l’alpage», complète l’éleveur. Car, une fois la saison des agnelages terminée, brebis et béliers s’en vont pâturer tout l’été en altitude, aux Rochers-de-Naye (VD) et dans l’Intyamon (FR).

Une filière payante

Siulene et Sébastien troquent alors leur conteneur pour une caravane. C’est là-haut qu’a lieu la reproduction, courant août, avant le retour en plaine fin septembre. Une année rythmée par le cycle du troupeau. Mais le couple ne changerait de vie pour rien au monde. «Lorsque nous avons repris le domaine, il y avait 800 moutons. Mon père a toujours exercé une activité salariée et s’occupait de ses bêtes en parallèle. Aujourd’hui, grâce à notre troupeau, nous vivons à 100% de notre métier d’agriculteur», soulignent Sébastien et Siulene, qui exploitent également 4 hectares de vigne. Les 80% de leur production d’agneau sont écoulés auprès de grossistes et marchands de viande, le reste est destiné à la vente directe dans leur petit magasin ainsi que chez les commerçants locaux. Et, à en croire l’éleveur, les affaires marchent plutôt bien. «C’est une filière de niche certes prenante, mais extrêmement intéressante pour nous, car elle est peu développée en Suisse. Le potentiel est immense.»

Texte(s): Aurélie Jacquet
Photo(s): François Wavre

Questions à Christian Gazzarin, ingénieur agronome à Agroscope

Notre pays produit-il suffisamment de viande d’agneau pour satisfaire la consommation suisse?

Non, le taux d’autosuffisance pour l’agneau n’est que de 40% environ. Cela signifie que le potentiel est beaucoup plus élevé que pour la viande bovine. Mais il y a une nuance à apporter: les consommateurs suisses achètent principalement des morceaux de premier choix, soit les filets, qui ne représentent que les 10% les plus fins de l’animal. Cette habitude explique en partie qu’il faille importer autant de viande d’agneau.

Comment se fait-il que la filière de l’agneau demeure si confidentielle?

Le secteur est quelque peu éclipsé par la longue tradition de l’élevage bovin en Suisse. Beaucoup d’agriculteurs perçoivent la réorientation vers les petits ruminants comme une dévaluation du métier d’éleveur. Or la gestion de grands troupeaux de moutons est beaucoup plus exigeante que celle de vaches allaitantes, par exemple. Actuellement, les trois quarts du cheptel ovin de notre pays se répartissent dans des troupeaux comptant moins de 35 brebis. En d’autres termes, le secteur est dominé par des éleveurs qui gardent des moutons comme hobby. Pourtant, lorsqu’elle est gérée de manière professionnelle, cette filière assure de très bons revenus.

Et dans le monde?

Avec 343 581 têtes en 2019, selon les chiffres publiés par Agristat, la filière du mouton en Suisse reste bien loin des effectifs bovins (1,52 million) et porcins (1,35 million) que compte notre pays. À l’échelle mondiale, c’est la Chine qui s’impose comme le plus grand pays producteur, avec près de 164 millions de moutons recensés en 2019, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle est suivie par l’Inde (plus de 74 millions), l’Australie (65 millions) et le Nigeria (47 millions).