Point fort
Les apiculteurs sur le pied de guerre face au frelon asiatique

Craignant pour la survie des abeilles, qui pollinisent les cultures, les cantons romands passent à l’action: en Valais, 600 pièges ont été placés autour de Saint-Maurice. Genève et Neuchâtel testent aussi de tels dispositifs.

Les apiculteurs sur le pied de guerre face au frelon asiatique

Une opération commando s’est déroulée en toute discrétion à Vionnaz (VS), ce printemps. Sur le plan du village que tient Charly Bressoud, on aperçoit 42 petits points rouges, soit autant de pièges à frelons asiatiques accrochés dans les jardins et près des maisons. Le maillage de ces bouteilles équipées d’un embout spécial, remplies d’un attractif, est serré. «L’été dernier, on a repéré deux frelons asiatiques dans la commune, en plaine et à plus de 700 mètres d’altitude. On prend la menace au sérieux, souligne le chef de la task force dévolue à cet envahisseur ailé et soutenue par le Service de l’agriculture. Le frelon asiatique peut progresser de 70 kilomètres en un an et un nid entier dévorer l’équivalent de 13 kilos d’insectes. C’est énorme! On a décidé d’agir avant qu’il ne puisse s’établir durablement dans notre canton.»

Rempart provisoire
Ainsi, de Saint-Maurice à Martigny, 600 pièges ont été disséminés afin d’intercepter les jeunes femelles dès leur réveil, quand elles partent à la conquête de nouveaux territoires. «L’hiver, leurs nids sont vides. Seules les génitrices survivent, cachées dans des interstices du bois ou dans les cabanons de jardin, détaille l’apiculteur. Elles décollent dès qu’il fait 4°C le matin.» Cette année, le premier spécimen a été attrapé le 15 février dans la région de Grandvaux (VD).

Pour l’heure, aucune fondatrice n’a été interceptée en Valais, les températures glaciales ayant peut-être ralenti leurs ardeurs. L’opération aura duré quarante-cinq jours. «Rien ne sert de prolonger la capture, ce laps de temps est suffisant pour qu’une jeune reine aux pattes jaunes, qui ne se nourrit que de glucides, ponde jusqu’à une cinquantaine d’œufs dans un petit nid rond, poursuit Charly Bressoud. Ensuite, elle ne le quitte plus et poursuit sa vie incognito.»

Sa brigade, qui s’alimente de protéines animales et de fruits – ces insectes parviennent à percer la peau de ces derniers avec leurs mandibules – prendra son envol ce printemps pour créer un second nid, camouflé dans la canopée. Il devient alors difficile de le repérer et de le décrocher. «Le stress imposé par ces insectes sur les abeilles est énorme, constate Charly Bressoud, qui possède 45 ruches. Ils bloquent les sorties en vol stationnaire, engendrant la mort des colonies.» Cet excellent chasseur, qui a débarqué à Bordeaux (F) en 2004, représente donc une sérieuse menace pour les abeilles domestiques et sauvages. Sa piqûre est également plus douloureuse que celle d’une guêpe.

 

Système testé à large échelle
À Neuchâtel, des pièges sont aussi utilisés, mais leur réelle efficacité doit encore être déterminée. Parfois décriés pour leur non-sélectivité, ces dispositifs ont déjà permis de capturer une quinzaine de jeunes reines. «L’un de nos membres, Marco Ventrici, consacre son travail de brevet d’apiculture à l’analyse de trois modèles posés chez une dizaine de collègues, détaille Sébastien Aellen, président de la Fédération cantonale neuchâteloise d’apiculture. On ignore si cette méthode permettra d’enrayer la progression des insectes ou si ces dispositifs lèseront les autres espèces. Cette expérience, réalisée sous l’égide du CABI (ndlr: l’institut de recherches sur les espèces invasives), devrait nous fournir des pistes.» En terres vaudoises, où quatre nids ont été détruits en 2022 contre plus de 40 en 2023, la traque aux nids primaires s’intensifie également. Ce printemps, plus de 20 signalements ont été envoyés sur le site frelonasiatique.ch, créé pour surveiller la progression de l’insecte et faciliter les signalements sur le plan national.

Du côté de Genève, une campagne similaire a eu lieu en mars. Quelque 500 pièges sélectifs ont été installés sur le territoire, soit deux au kilomètre carré. Ils font partie d’un arsenal de mesures prises par le Canton, devenu l’épicentre de cette espèce envahissante depuis 2020. «Est-ce que cela aura un impact ou les frelons compenseront-ils la perte des fondatrices? On ignore l’effet réel des pièges. C’est pourquoi on les teste scientifiquement. On continue en même temps le repérage des nids primaires avec l’aide des habitants, et des nids secondaires grâce au suivi de frelons par des émetteurs radio. Puis on les détruit, précise Gottlieb Dändliker, inspecteur cantonal de la faune à Genève. Il faut que la population et les apiculteurs soient sensibilisés à cette problématique et observent les ruchers, les jardins ou les bords des fenêtres afin de détecter ces frelons à pattes jaunes.»

De l’avis des experts, cette lutte risque toutefois d’être perdue à moyen terme. «En 2023, on a neutralisé une centaine de nids à Genève, mais on estime qu’il y a un habitat potentiel pour plus de 1000 colonies dans le canton, conclut Gottlieb Dändliker. On devra développer la coexistence avec cet insecte, en protégeant mieux les ruches ou en sélectionnant des abeilles sachant faire face à leurs attaques.»

+ d’infos www.frelonasiatique.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Mathieu Rod

Protéger au mieux les ruches

Les experts se demandent comment adapter les ruchers aux attaques des frelons de manière à lutter contre cette espèce invasive, à la croissance exponentielle. Plusieurs solutions sont imaginées afin que les abeilles puissent butiner sans risquer de se faire décapiter en quittant leur colonie, bien que ces mesures demandent davantage de travail et d’organisation de la part des apiculteurs. Certains ruchers ont, par exemple, été équipés d’un tube permettant aux butineuses de sortir, en prenant les frelons par surprise. D’autres sont protégés avec des harpes électriques. Les abeilles parviennent à se faufiler sans prendre de secousse alors que les frelons, desservis par leur grande taille, se font électrocuter et tombent dans de l’eau savonneuse. Certains apiculteurs ont choisi de placer une petite tente au-dessus des ruches, de façon à piéger l’envahisseur, qui s’envole à la verticale après son attaque. Des tests ont également été réalisés avec des poules noires de Janzé. Placées autour des ruchers, elles sont capables de picorer le frelon lorsqu’il est en vol stationnaire.

Nouveau traceur

Une équipe de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud développe un système appelé «Smar Baits», capable de localiser en quelques jours le nid des frelons en calculant la durée de vol de leurs allers-retours entre les ruches et leur base. «Nous équipons les insectes avec une puce qui enregistre leurs données et les transfère a un serveur, détaille Pascal Coeudevez, responsable du groupe de recherche. Elles sont traitées par l’intelligence artificielle et devraient nous aider à localiser les nids à 5 ou 10 mètres près. Cette puce servira aussi à recueillir des informations sur le temps que les frelons passent dans les nids. Cela devrait permettre de mieux comprendre le comportement de l’espèce.» Des tests grandeur nature se dérouleront en juin.

+ d’infos heig-vd.ch