Point fort
Fabriqués sans lait, les «faux-mages» font recette

Longtemps réservées aux épiceries bios, les alternatives au fromage investissent aujourd’hui la grande distribution. Un succès qui incite les groupes laitiers à se lancer. Décryptage d’un marché en plein essor.

Fabriqués sans lait, les «faux-mages» font recette

On les appelle «faux-mages» ou «vromages». Ils ont l’aspect et un goût proches de ceux d’une tomme ou d’un chèvre frais mais ne contiennent pas une seule goutte de lait. En Suisse, les alternatives végétales aux fromages ne cessent de se développer. Longtemps cantonnées aux épiceries spécialisées, on les trouve désormais en bonne place sur les rayons des grandes surfaces. Coop, Migros, Aldi ou Lidl ont compris cet engouement et proposent chacun leur assortiment. «Nos enseignes vendent du fromage végane depuis 2015 et la demande a augmenté de façon constante ces dernières années. La gamme a été continuellement élargie et contient actuellement plus de 20 fromages végétaux», confirme Patrick Häfliger, porte-parole de Coop.

Ventes doublées chaque année
Si beaucoup de ces fabrications proviennent de l’étranger, quelques producteurs suisses ont fait leur place sur ce marché florissant. C’est le cas de New Roots, leader helvétique des faux-mages, dont la gamme est vendue chez les deux géants orange et, depuis quelques semaines, dans les enseignes Globus. Un succès qui a transformé cette petite structure artisanale fondée en 2015 à Thoune (BE) en une entreprise pour laquelle travaillent aujourd’hui 25 employés. Dans sa nouvelle usine de 4000 m² installée à Oberdiessbach, la société bernoise confectionne entre 30‘000 et 40‘000 pièces par semaine. «Nous avons doublé notre production chaque année depuis notre lancement», relève Alice Fauconnet, co-fondatrice de New Roots avec Freddy Hunziker.

Ce duo franco-suisse s’est rencontré en 2012. Lui est alors champion de VTT, elle est diplômée en anthropologie sociale. Tous deux sensibilisés à la cause animale, ils choisissent de devenir véganes en 2013. Mais le fromage leur manque et ils se mettent en tête de lui trouver une alternative végétale. «Nous avons demandé conseil à un maître affineur qui nous a appris les bases du métier. Le procédé est exactement le même qu’avec du lait et les machines sont identiques à celles utilisées en fromagerie traditionnelle. Nous n’utilisons simplement pas de ferments d’origine animale.»

Noix de cajou exotiques
La matière première employée pour la fabrication de leurs faux-mages est obtenue à partir de noix de cajou. Une culture dont les conditions de production et de travail de la main-d’œuvre suscitent régulièrement la controverse. «Nous nous fournissons au Vietnam et en Afrique de l’Ouest auprès de petits agriculteurs bios indépendants. Les noix sont transformées sur place, sans transiter par d’autres pays, comme c’est souvent le cas avec les filières industrielles», précise Alice Fauconnet. La production New Roots se revendique donc éthique. Reste la question de la provenance des noix de cajou. «C’est une idée reçue de penser que le lait de vache suisse est local, car notre pays importe chaque année plusieurs tonnes de fourrage, notamment du soja étranger, pour nourrir le bétail. L’empreinte écologique globale de nos faux-mages est dix fois moins importante que celle des fromages à base de lait animal», argumente la co-fondatrice de New Roots. L’entreprise bernoise souhaiterait toutefois, à terme, produire des spécialités 100% helvétiques. «Nous réalisons actuellement des tests avec du soja, des graines de tournesol et de chanvre», poursuit-elle.

Même Emmi s’y met
À Genève, la Crémerie Végane a pignon sur rue depuis 2016. À sa tête, Malena Azzam et Mourad Cheraït. Leur enseigne, pionnière du genre en Suisse romande, propose une dizaine de faux-mages différents, dont une meule au goût corsé affinée durant près de cinq mois et un mélange de «fondue» connu loin à la ronde. «C’est notre produit phare, avec notre imitation de tomme vaudoise», raconte Malena Azzam, dont les spécialités sont servies dans plusieurs établissements de la ville et suscitent l’intérêt de restaurants gastronomiques. Leurs fabrications sont elles aussi élaborées à base de noix de cajou provenant de filières bio et équitables du Burkina Faso et du Bénin. «Elles offrent l’avantage d’être neutres en goût et possèdent un côté naturellement laiteux», poursuit la Genevoise. La production de la Crémerie Végane, encore très artisanale, peine à suivre une demande en croissance. «Une grande partie de notre clientèle est intolérante au lactose, mais nos produits ont surtout du succès auprès des consommateurs omnivores qui se définissent comme des flexitariens», explique-t-elle. Autodidacte, le duo à la tête de la Crémerie Végane ne cesse d’élargir sa gamme et est actuellement en discussion pour mettre en place des partenariats avec des professionnels de la fromagerie traditionnelle. «Contrairement au cliché, nos deux mondes savent se retrouver. Une fromagère de Carouge (GE) a été d’ailleurs parmi les premières à soutenir notre crowdfunding à l’époque. Il y a de la place pour tous», souligne Malena Azzam.

L’industrie l’a bien compris elle aussi. Surfant sur la tendance, Emmi, premier groupe laitier de Suisse, a lancé en mars 2020 sa gamme Beleaf, 100% végane (voir l’encadré ci-contre). En France, le géant Bel, qui commercialise notamment La Vache qui Rit, Boursin, Babybel et Kiri, a créé cet été une nouvelle marque baptisée Nurishh, composée de neuf produits élaborés à base de noix de coco. De faux fromages au pays du vrai camembert, le virage du végétal semble bel et bien amorcé.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): DR

Questions à

Michael Lötscher, responsable du secteur végétalien chez Emmi

Pourquoi un groupe laitier comme Emmi a-t-il décidé de lancer une gamme 100% végétale? 
Nous avons pris la décision de développer cette marque d’une part parce que le marché des substituts de lait végétaux a désormais atteint une taille intéressante, et d’autre part car la Suisse compte de plus en plus de flexitariens et donc que la demande pour les produits végétaliens ne cesse d’augmenter. En tant que transformateur de lait, nous savons aussi quel goût doit avoir un produit de substitution et nous possédons l’équipement nécessaire.

Quelle est la matière première utilisée pour l’élaboration de ces produits alternatifs?
De l’avoine, du riz, des noisettes, du soja et des amandes d’origine espagnole.

Cette nouvelle gamme est-elle un succès?
Les produits se développent bien. Les substituts du lait de consommation en particulier sont très demandés. Et en termes de matières premières, l’avoine se porte bien actuellement. Les consommateurs d’ici semblent apprécier le fait que nous nous les procurions en Suisse.