Reportage
Un vigneron tessinois fait vieillir ses mousseux au fond du lac de Lugano

Le vigneron tessinois Gabriele Bianchi expérimente un procédé de vieillissement original en immergeant une partie de sa production de mousseux rosé par une vingtaine de mètres de fond, dans les eaux du Ceresio.

Un vigneron tessinois fait vieillir ses mousseux au fond du lac de Lugano

Au pied du Monte San Giorgio, qui abrite l’un des gisements de fossiles les plus importants du monde, le lido de Riva San Vitale (TI) bruisse d’une animation inhabituelle en cette saison. Dans un local technique appartenant à la section Mendrisio de la Société suisse de sauvetage, deux plongeurs s’équipent d’épaisses combinaisons en néoprène. Sur un tableau, le responsable dessine un croquis montrant une caisse immergée. Le vigneron Gabriele Bianchi, 27 ans, prend alors la parole: «Le casier contenant les bouteilles est en suspension grâce à des flotteurs qui le maintiennent à 21 mètres sous la surface. Il faudra décrocher en premier le mousqueton relié à l’ancre puis celui relié aux flotteurs, pour que la caisse puisse remonter à la surface. Nous la remorquerons ensuite jusqu’à la rive, où nous déchargerons les bouteilles.»

Un projet unique au Tessin
Alors que nous montons à bord du canot de sauvetage municipal, Gabriele Bianchi raconte la genèse de l’aventure. «Nous sommes la seule exploitation certifiée Bio Suisse de tout le canton. Travaillant au plus près du rythme de la nature et des saisons, mon frère Martino et moi souhaitions tester une méthode alternative pour le vieillissement de notre mousseux rosé, dont nous produisons 1100 bouteilles par an. Un de mes collègues a récemment immergé une partie de ses vins dans la mer, en Ligurie. Le lac de Lugano étant à deux pas de notre cave, nous avons décidé de mener une expérience similaire au Tessin.»
Plusieurs mois de négociation ont été nécessaires pour convaincre l’Office cantonal de la protection des eaux de leur délivrer l’autorisation nécessaire. L’Association des pêcheurs et la Société suisse de sauvetage ont également donné leur aval, mettant à disposition de la famille Bianchi une équipe de plongeurs ainsi que leur bateau pour les opérations menées sur le lac.

Récupérer le trésor
Fin 2016, les deux frères Bianchi ont déposé au fond de l’eau un premier lot de 167 bouteilles. Après un an, le résultat était bluffant: «Sous l’eau, le vin vieillit en bénéficiant d’une température constante de 7 à 8 degrés, d’un taux hygrométrique parfait et d’une obscurité totale qui le protège de toute altération. Les courants bercent doucement les levures, modifiant avec le temps le goût et la texture du mousseux, qui devient plus fin, plus complexe, souligne le jeune vigneron. Cela a été confirmé par plusieurs sommeliers à qui nous avons demandé de comparer, à l’aveugle bien sûr, les mousseux «du lac» avec ceux élevés en cave, en suivant la méthode traditionnelle.»
Grâce à la précision du guidage GPS, nous atteignons la zone en quelques minutes. Les eaux sont sombres et rien ne laisse deviner la présence de la caisse à quelques mètres en dessous du bateau. Les deux plongeurs sautent dans l’eau et, après avoir échangé les habituels gestes de routine, disparaissent sous les flots. On sent l’impatience de Gabriele Bianchi, tandis que les minutes défilent. De grosses bulles remontent enfin. Une ombre se rapproche puis les plongeurs refont surface, accrochés aux flotteurs, le pouce tendu en l’air. Récupération réussie!

Production à petite échelle
Toujours immergée, la caisse est solidement arrimée à l’avant du bateau. Le pilote enclenche le moteur et regagne lentement la rive, où les parents de Gabriele Bianchi l’attendent pour lui prêter main-forte. De retour au lido, les plongeurs calent la caisse sur le sable et ouvrent avec précaution le couvercle protégeant les précieux flacons. Rangés dans des cagettes en plastique, ceux-ci sont déchargés à la main, puis empilés sur un chariot. «La première fois, nous avons remonté le vin en janvier, se souvient le Tessinois. La passerelle était gelée. Cet automne, les conditions sont nettement meilleures.» Sur les 265 bouteilles, une seule a été cassée. Elles seront acheminées vers la cave familiale quelques heures plus tard.
Mais avant cela, il faut remplir la caisse de nouvelles bouteilles qui seront immergées jusqu’à l’année prochaine. «Nous n’allons pas augmenter la quantité, précise Gabriele Bianchi. Le but n’est pas de monter une opération marketing, mais d’expérimenter et d’acquérir de nouvelles connaissances, en valorisant les richesses naturelles de la région.» Baptisé Mara del Lago, le mousseux porte le nom de la vallée où la famille Bianchi s’est implantée. Les autorités touristiques de la région ont publiquement exprimé leur fierté en voyant le projet prendre forme. Côté marché, le vin est en train de trouver son public auprès des amateurs désireux de goûter cette cuvée spéciale, qui vaut la coquette somme de 69 francs. Les frais de port sont inclus et c’est Gabriele Bianchi en personne qui se charge des livraisons.

Texte(s): Alexander Zelenka
Photo(s): Alexander Zelenka/DR

Immerger le vin, une nouvelle tendance

Les frères Bianchi ne sont pas les seuls à expérimenter le vieillissement du vin sous l’eau. En 2017, un millier de bouteilles de chasselas ont été entreposées dans le Léman par trente mètres de fond, au large du château de Chillon. Fruit d’un partenariat entre la Fondation du château de Chillon, propriétaire des vignes où a été récolté une partie du vin, et la maison Henri Badoux, à Aigle (VD), cet essai est le troisième mené après deux tentatives, dont une première, infructueuse, en 2011, où l’eau s’était infiltrée dans les flacons. Sur la rive française, la maison savoyarde Perceval a procédé à une expérience similaire en plongeant 2000 bouteilles numérotées de mondeuse rouge et de chignin-bergeron blanc au fond du lac. La start-up bretonne Amphoris a poussé plus loin encore le concept en proposant aux vignerons de faire vieillir leurs crus au fond de la mer entre six et vingt-quatre mois, en gérant pour eux la logistique. 6500 bouteilles ont ainsi été immergées au large d’Ouessant.

En chiffres

L’Azienda agricola Bianchi, c’est:

  • Une entreprise familiale fondée en 1998 par Marcy et Alberto Bianchi, à Arogno.
  • La seule exploitation viticole certifiée Bio Suisse du Tessin.
  • Cépages cultivés Johanniter, solaris (vin blanc); merlot, syrah et chardonnay (vin rouge); cabernet sauvignon (vin rouge et mousseux rosé).
  • Production de miel biologique.

+ D’infos Pour en savoir plus sur les activités de l’Azienda agricola Bianchi: www.bianchi.bio