À Salquenen (VS), Olivier Mounir projette d’installer 2500 m2 de panneaux photovoltaïques sur une parcelle de vigne, afin d’en contrôler la croissance tout en produisant de l’électricité.

Cette parcelle coincée entre route cantonale et zone industrielle, entre Sierre et Salquenen (VS), ne semble pas du genre à faire rêver un viticulteur aussi perfectionniste et engagé qu’Olivier Mounir. Le propriétaire de la Cave du Rhodan y a pourtant planté du divico qu’il cultive, à l’instar du reste de son domaine de 12 hectares, selon de stricts principes écologiques. À ses yeux, ces 8000m2 sont absolument parfaits: ils sont idéalement situés pour y accueillir un système totalement inédit de panneaux solaires pliables, sur un tiers de cette surface – le but étant d’en retirer un avantage en matière viticole tout en vendant au réseau local le courant produit.
«L’idée est d’abord de lutter contre le gel précoce, explique Olivier Mounir. Les panneaux sont dépliés la journée durant tout l’hiver; privé des rayons du soleil, le sol reste plus frais et la sortie de la végétation est retardée. Au printemps, en période de gel, on fait l’inverse: ils sont repliés la journée afin de réchauffer le sol, et déployés la nuit pour retenir la chaleur reçue.» Freiner le réveil printanier du plant va également modérer sa tendance à mûrir prématu-
rément, précise-t-il; d’autant que les panneaux, en été, peuvent aussi être dépliés pour protéger le divico de la chaleur – que le cépage ne supporte pas à l’excès. «Et tout ça en produisant environ 368MWh d’électricité au total, soit la consommation annuelle d’une centaine de foyers!»
Plusieurs étapes essentielles
Depuis qu’il a repris la cave familiale en 2007 avec son épouse Sandra, le vigneron valaisan n’a cessé de s’engager plus avant dans un modèle durable. Tout son parc mécanique, chenillard et camionnette compris, fonctionne à l’électricité, et l’homme est le seul de son métier à être membre de Swiss Cleantech, une association d’entrepreneurs pour la protection du climat. C’est en y faisant la connaissance de Gian Andri Diem, CEO de DHP Technology SA, firme grisonne spécialisée dans les toitures solaires repliables, que l’idée lui est venue. L’entrepreneur s’est d’abord montré prudent: certes, la technologie est à disposition et maîtrisée, et seules les modalités de son installation sont encore à imaginer, en préservant au maximum le sol et les plantes qui y poussent. «Mais la question essentielle est de savoir si vigne et panneaux sont compatibles et si ces derniers apportent réellement une plus-value culturale», souligne-t-il. Un projet analogue d’agriphotovoltaïsme (APV) en développement en Suisse alémanique, à une échelle purement expérimentale, part de ce dernier postulat, de même que le système Insolagrin – certes très différent dans sa conception – mis en œuvre à Agroscope Conthey sur une culture sous serre de petits fruits (lire encadré). L’entreprise s’est donc lancée dans le projet, qui a entre-temps obtenu le soutien de principe du Canton du Valais.
Pour autant, la vision d’Olivier Mounir doit encore passer plusieurs étapes fondamentales avant la réalisation concrète. Un financement, d’abord: le vigneron a sollicité Innosuisse, l’agence suisse pour la promotion de l’innovation. Pour être accepté, son dossier doit faire la preuve de son intérêt sous cet angle. Ce n’est qu’à cette condition qu’une étude préliminaire sera effectuée sur une installation pilote. Si la faisabilité technique est du ressort de DHP Technology SA, le volet scientifique sera confié à Agroscope. «Notre rôle sera d’analyser l’influence des variations d’ensoleillement sur le développement de la vigne, la maturation du raisin et la qualité du vin, et, si cette dernière est au rendez-vous, de modéliser la gestion de ces fluctuations», détaille Christoph Carlen, responsable d’Insolagrin à Conthey.
Mais c’est en regard de la réglementation que le caractère inédit du projet de la Cave du Rhodan pose les plus grandes difficultés. Car si les infrastructures solaires hors des zones à bâtir sont autorisées par la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) depuis le 1er juillet dernier, elles doivent impérativement être situées «dans une partie du territoire non sensible» et avoir «des conséquences positives pour la production agricole ou à des fins de recherche et d’expérimentation», selon l’article 32c de la LAT. La parcelle élue par Olivier Mounir semble remplir la première condition, et le dossier de mise à l’enquête devra donc se montrer convaincant. «Pour qu’un tel projet soit accepté, l’avantage agronomique doit être triple, ajoute Christoph Carlen. Avoir une fonction de protection de la plante, assurer la rentabilité de la culture et garantir l’intérêt économique de la production d’énergie dans ce cas particulier.»
Conditions-cadres à adapter
Or, cet ultime point est problématique. En l’état actuel de la législation sur l’énergie, l’utilisation domestique du courant produit s’avère généralement plus rentable que sa vente au réseau, surtout pour les grandes installations – et celle d’Olivier Mounir entre dans cette catégorie. À Salquenen, le prix de rachat de cette énergie verte est pour l’heure de 8,30 ct./kWh, soit sous le seuil de rentabilité estimé à 12 ct./kWh. Le succès dépend donc, au moins partiellement, d’une adaptation future de ces conditions-cadres, ce que l’explosion des coûts de l’électricité pourrait favoriser. «Je ne voudrais pas perdre de l’argent en produisant de l’énergie, admet le viticulteur. Mais on pourrait aussi imaginer un financement participatif pour valoriser l’investissement consenti.»
Si toutes les conditions préalables sont réunies, la mise à l’enquête sera lancée fin 2022, et la construction pourrait commencer après les vendanges 2023. Olivier Mounir y croit. Gian Andri Diem, lui aussi, s’est pris au jeu. «Si cela fonctionne, on aura énormément appris de ce projet, et nous serons à même de proposer nos services à tous les vignerons souhaitant développer des installations similaires», espère-t-il.
+ d’infos rhodan.ch – dhp-technology.ch
Prometteur agrivoltaïsme
Concilier production d’électricité solaire et agriculture: l’idée fait son chemin. À la station Agroscope de Conthey, la start-up romande Insolight, en collaboration avec Romande Énergie, a mis en place dès octobre 2021 une installation pilote de panneaux fixes translucides, permettant le dosage du rayonnement solaire. Disposés sur et autour de fraises et framboises hors-sol, ils font office de serre en abritant et réchauffant les végétaux, tout en générant de l’énergie. «De telles solutions suscitent un énorme intérêt, surtout dans le domaine des cultures spéciales, commente Christoph Carlen, qui chapeaute l’équipe de chercheurs du projet. Mais la Suisse est la seule à tabler sur des panneaux à ombrage dynamique.» La dimension de protection des plantes et la rentabilité sont les facteurs clés. L’investissement à consentir n’est pas négligeable; un raccord électrique au réseau préexistant est donc indispensable, et la mise en commun des ressources financières, par exemple selon le modèle coopératif, pourrait aider à minimiser le risque financier. «L’aspect paysager entre aussi en ligne de compte: remplacer des serres par des panneaux ne pose guère de problème, mais on imagine mal en recouvrir les terrasses de Lavaux.»
+ d’infos insolight.ch