Interview
«Nos vignobles ont plus que jamais besoin de la science pour s’adapter»

Fortes chaleurs, stress hydrique, gel tardif: face aux dérèglements du climat, de nombreux chercheurs expérimentent la vigne du futur à l’école de Changins. Éclairage avec Jean-Philippe Burdet, responsable du secteur.

«Nos vignobles ont plus que jamais besoin de la science pour s’adapter»

En juin, Changins organisait des portes ouvertes à l’occasion de ses 75 ans, afin de présenter ses filières, son vignoble, mais aussi ses projets de recherche. Ce secteur a-t-il toujours été important au sein l’établissement?
➤ Non, mais des liens ont toujours existé. Lors de la création de l’école en 1948, les cours étaient donnés par des employés de la station de Montagibert, à Lausanne, où se situaient auparavant nos locaux. Ce n’est que cinquante ans plus tard que le nombre de projets a largement augmenté, lorsque l’établissement est devenu une haute école spécialisée. Depuis, la recherche est l’une de nos missions officielles. Aujourd’hui, nous comptons une vingtaine de collaborateurs actifs dans ce domaine, qui ont effectué environ 18000 heures en 2022. Un record!

La plupart des projets répondent-ils à un objectif de durabilité?
➤ Oui. Il y a trois ans, nous avons adopté une charte baptisée Vision 2030 qui définit plusieurs lignes directrices, dont la durabilité socioéconomique et environnementale. À l’heure de la crise climatique, nous devons adapter nos pratiques pour relever les défis à venir, tels que les grandes chaleurs, la sécheresse, le gel tardif, les nouveaux ravageurs ou des champignons comme le mildiou ou l’oïdium, très présents cette année. Ces aspects sont pris en compte dans chacun de nos projets.

Dans ce contexte, la question de l’enherbement des vignes est cruciale…
➤ C’est exact. Afin d’éviter l’érosion du sol, il faut semer de la végétation entre les rangs. Toutefois, avec les sécheresses de plus en plus longues, cette couverture végétale a tendance à entrer en concurrence avec la vigne pour l’eau. L’enjeu est de protéger le sol sans péjorer la qualité du vin. Cet équilibre est très complexe à trouver. De plus, cela doit se faire en renonçant aux herbicides de synthèse, ce qui n’est pas évident, car un grand nombre de vignobles du pays sont en pente, donc non mécanisés.

Quelles pistes sont explorées?
➤ Depuis deux ans, une étude financée par l’Office fédéral de l’agriculture teste différents couverts végétaux sur des parchets romands. D’après les premiers résultats, il serait favorable d’opter pour certaines plantes légumineuses ou du brome (ndlr: une herbacée annuelle), qui apportent de l’azote tout en étant peu gourmands en eau, contrairement à certains mélanges de graminées de type fourrager fréquemment utilisés. La gestion de ces couverts, notamment les périodes idéales de fauche, est aussi mesurée. Cette approche a déjà été présentée dans plusieurs congrès et s’avère prometteuse.

Des cépages plus résistants sont-ils également testés?
➤ Oui. L’an dernier, nous en avons surgreffé près de trente sur les parcelles de l’école, avec pour objectif de trouver les plus adaptés à nos régions. Dans l’idéal, un vignoble ne doit pas être trop précoce, car, en raison des hivers plus doux, le débourrement survient parfois au début du printemps. Les périodes de gel tardif représentent donc un grand risque pour les récoltes. Au-delà de cet aspect, nous expérimentons aussi de nouveaux porte-greffes utilisés dans des régions plus chaudes, afin de conférer à la vigne davantage de vigueur et une meilleure résistance au stress hydrique.

Sur quels cépages travaillez-vous?
➤ Des essais sont menés avec du chasselas et du gamaret, dans le cadre de projets avec Prométerre et au sein de l’établissement. Nous testons par exemple le porte-greffe 110 Richter, largement planté autour du bassin méditerranéen, ou le 5 BB, très courant en Valais, à la place du traditionnel 3309 utilisé dans le canton de Vaud depuis plus d’un siècle, qui est peu résistant à la sécheresse. Le choix de ces variétés est important, car il impacte le travail du viticulteur à long terme. Enfin, divers biostimulants sont mis au point dans le même but, à base d’algues, de sous-produits de l’industrie laitière ou d’extraits de plantes, en partenariat avec des équipes en Afrique du Sud, pays qui a des conditions climatiques similaires aux nôtres, en plus extrêmes.

En Suisse, les vignerons sont-ils prêts à coopérer avec les chercheurs?
➤ De manière générale, oui. Une association vaudoise baptisée Yvorne Grandeur Nature a même été créée en 2019 dans le but de développer une viticulture plus durable et créer un label bio d’ici à 2026, grâce à l’appui technique de Changins. Une trentaine de vignerons y prennent part, sur 130hectares. C’est un véritable laboratoire à ciel ouvert! Ce genre d’initiative est précieuse, car si le réchauffement climatique a profité à la viticulture suisse jusqu’à présent, favorisant une plus grande diversité de cépages et une meilleure qualité des vins, le challenge ne fait que commencer.

Les étudiants répondent-ils à l’appel?
➤ Les effectifs de la haute école spécialisée sont en baisse depuis 2019, avec une vingtaine d’élèves qui obtiendront leur diplôme en septembre prochain, contre environ trente il y a quelques années. Cela peut s’expliquer par des conditions de travail difficiles dans le secteur et un marché du vin de plus en plus compétitif. Pourtant, un CFC ne suffit plus à diriger un domaine aujourd’hui. Les dérèglements climatiques nécessitent l’apprentissage d’outils de gestion et de compréhension poussés du sol, de la vigne et de la vinification, de façon à mieux anticiper les risques. La formation est plus importante que jamais, afin d’adapter nos savoir-faire et préparer les professionnels de demain.

Texte(s): Propos recueillis par Lila Erard 
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Des études similaires en Valais

Divers projets de recherche autour de la viticulture de demain sont également menés sur le domaine du Grand Brûlé, au sein de la station d’essais de Leytron (VS), créée par Agroscope. Après un an d’activités de terrain, un premier bilan positif est tiré. Près de quarante parcelles de chasselas et de pinot noir sont mises à disposition par les producteurs jusqu’en 2029, afin d’étudier diverses techniques d’alimentation en eau. Un état des lieux des pratiques d’entretien des sols a aussi démarré, dans le but de réduire les pesticides et engrais de synthèse. Enfin, des cépages résistants, proches de ceux du Valais, sont sélectionnés.

Bio express

Jean-Philippe Burdet
Originaire d’Ursins (VD), cet ingénieur agronome a été formé à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Depuis 2002, il officie en tant que professeur en viticulture et protection de la vigne à la Haute école de viticulture et d’œnologie de Changins, à Nyon (VD). En parallèle, ce spécialiste en pathologie des plantes et entomologie est responsable de la coordination des activités de recherche. Il est aussi membre de la direction de l’établissement.