Viticulture
Pourquoi les plants de vigne bio peinent à prendre racine en Suisse

Pourtant obligatoire pour les producteurs labellisés, le matériel de réplication conforme à la réglementation sur le bio reste marginal sur le marché. En cause, une offre restreinte et une législation floue.

Pourquoi les plants de vigne bio peinent à prendre racine en Suisse

Depuis 2015, la surface du vignoble bio suisse a quasiment triplé, atteignant 1785 hectares en 2020, et plus d’un domaine sur dix est désormais certifié. De quoi susciter une explosion de la présence de plants greffés-soudés bio? «On en aurait besoin de 150 000 par an avec l’embellie des reconversions, mais on n’y est pas», constate Dominique Lévite, chercheur au FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique. Actuellement, seuls trois pépiniéristes viticoles arborent le label Bourgeon de Bio Suisse: Philippe Borioli à Neuchâtel, Philippe Villard à Genève et Éric Petit sur la Côte vaudoise.

Pour la plupart des pépiniéristes traitant un gros volume de commandes, produire de manière un peu moins intensive, sans recourir aux nombreux traitements phytosanitaires préventifs destinés à pallier la grande fragilité des jeunes végétaux, semble relever d’une gageure technique. Sans parler du risque économique… «C’est presque impossible à grand échelle», pense Matthieu Vergère, patron de Multiplants à Vétroz (600 000 plants par an). Président de l’organisation interprofessionnelle Vitiplant, le Valaisan a choisi une certification IP-Suisse plutôt que de poursuivre une reconversion entamée sans grande conviction. «Le fait que le label ne permette pas de parcelliser la production bio est un facteur limitant, à mon sens. Et le cahier des charges n’est pas encore bien défini.»

 

Un travail exigeant

Pour Philippe Villard (environ 40 000 plants par an), le «tout ou rien» a été au contraire le facteur décisif du passage au bio, puisque celui qui est aussi vigneron-encaveur souhaitait reconvertir son domaine d’Anières, sur la rive gauche du Léman. Et la question du cahier des charges n’a pas constitué un handicap. «Nous avons travaillé étroitement avec le FiBL pour définir un mode de production conforme aux principes de Bio Suisse, raconte-t-il.

Et comme il n’existe aucun porte-greffe produit sans herbicide dans le marché européen, une exception est faite à ce sujet.» Certes, le boulot n’est pas facile: le désherbage manuel est exigeant, de nombreux traitements fongiques sont nécessaires pour protéger des vignes de pépinières fragiles et très près du sol. Mais finalement, les plants obtenus se comportent aussi bien que leurs homologues conventionnels, constate Philippe Villard: «Il n’y a aucune différence au niveau de leur enracinement, de leur vigueur ou de leur aptitude à redémarrer.» Ce qu’a corroboré Dominique
Lévite par des bilans azotés et analyses de la teneur en sucre et amidon des plantons bio – en attendant une étude de leur comportement sur plusieurs années, que le chercheur va entamer en 2022.

Le problème vient surtout des coûts liés au surcroît de travail. «Difficile de répercuter ces heures supplémentaires sur le prix, comme on peut le faire pour une bouteille de vin, note Philippe Villard. Nos clients ont un budget serré, et à Genève, on est déjà en concurrence avec la France voisine.»

 

Règle et exceptions

Mais la discrétion de ce type de plants sur le marché tient aussi à la demande. En principe, l’Ordonnance sur l’agriculture biologique est claire: «Les semences, plants et matériel de multiplication doivent provenir d’exploitations biologiques» (article 13 al. 1). La rareté dudit matériel, surtout pour la vigne, a toutefois conduit à nuancer l’injonction. La règle comporte des exceptions. Et c’est là que ça se complique…

Pour faciliter l’accès à ces plants, l’OFAG a mis en place, en 2004, OrganicXSeeds, une banque de données dans laquelle les producteurs – Philippe Villard et Philippe Borioli se sont inscrits l’an passé – peuvent répertorier leur offre en indiquant la variété et la sélection du greffon, celles du porte-greffe et la quantité disponible. Chaque viticulteur bio a l’obligation légale de se rendre en priorité sur la plateforme pour y faire ses emplettes. Mais au vu du choix pour l’heure restreint, il peut demander une autorisation exceptionnelle de se fournir auprès d’un pépiniériste non labellisé. À condition de motiver sa requête en attestant du manque de disponibilité, ou payer une taxe incitative de 50 francs prélevée par Bio Suisse – ce qui n’est, dans les faits, pas encore le cas. Ainsi, nombre d’entre eux préfèrent faire confiance à leur fournisseur conventionnel. D’autant qu’un plant non bio acquiert automatiquement le statut «en reconversion» à la plantation, et le label «Bourgeon complet» deux ans après celle-ci, soit bien avant la première vendange.

 

Pas d’euphorie

OrganicXSeeds pourrait pourtant réellement offrir aux pépiniéristes bio une ouverture intéressante sur le marché international, compte tenu de la bonne réputation des professionnels suisses, note Dominique Lévite. Car en la matière, les réglementations helvétique et européenne sont similaires. Le spécialiste met d’ailleurs en avant cette opportunité pour appeler de ses vœux un accroissement de la production de plants bio indigènes. «Ça se met en place très gentiment, soupire-t-il. D’autant que les pépiniéristes viticoles sont de moins en moins nombreux et que la relève peine à se profiler. La biodiversité des cépages et le choix des sélections doivent pourtant rester une priorité pour le vigneron. Les multiplier sans chimie de synthèse reste un défi certes compliqué, mais loin d’être irréalisable.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Questions à Matthias Klaiss, responsable des semences au FiBL

OrganicXSeeds peut-il contribuer à augmenter la visibilité des plants bio?

Oui. On l’a constaté pour les semences et graines, qui sont soumises au même régime. Chaque demande est enregistrée en détail et l’ensemble fait l’objet d’un rapport annuel envoyé à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). On parvient ainsi à identifier globalement les besoins des producteurs, tant qualitatifs que quantitatifs.

Les grands pays viticoles européens ne sont pourtant pas sur OrganicXSeeds, alors que l’accès à ce marché encouragerait les pépiniéristes à développer le bio…

La réglementation européenne sur le bio exige la mise à disposition de plants et semences sur une base de données informatique, pas nécessairement le recours à OrganicXSeeds, qui est la solution développée par la Suisse et l’Allemagne. La France ou l’Autriche, par exemple, ont adopté d’autres moyens. Reste à améliorer le lien entre ces différentes plateformes.

Va-t-on renforcer le caractère obligatoire du premier recours aux plants bio?

L’Union européenne a annoncé la suppression de l’autorisation exceptionnelle pour l’achat de plants non bio dès 2036. La Suisse va certainement s’aligner, et l’OFAG ouvre dès mars la discussion avec les acteurs de la branche pour aménager une stratégie en ce sens.