Viticulture
Effeuiller avant nouaison, une tactique à déployer avec précaution

L’effeuillage précoce peut s’avérer intéressant tant du point de vue quantitatif que qualitatif – à condition d’être pratiqué avec prudence et discernement. Une série d’études d’Agroscope fait le point sur le sujet.

Effeuiller avant nouaison, une tactique à déployer avec précaution

Rabattre le feuillage est un moyen efficace de lutter contre les maladies fongiques en créant autour des grappes un microclimat sec et aéré défavorable aux maladies fongiques type Botrytis cinerea. La profession le sait depuis longtemps et la tendance à réduire les intrants phytosanitaires augmente encore l’intérêt de la pratique, généralement menée entre la nouaison (formation des baies) et la fermeture de grappe Depuis les années 2000, cependant, vignerons et chercheurs se penchent sur les effets d’un effeuillage effectué avant nouaison: des rendements moindres, souhaitables en certains cas, une meilleure maturation, voire des vins mieux structurés et plus colorés.

 

Cinq cépages, cinq essais

Agroscope s’y est donc également intéressé. «Entre 2010 et 2016, nous avons mené 5 essais de la vigne à la cave sur les cépages chasselas, doral, gamay, pinot noir et merlot, afin de tester plusieurs périodes d’effeuillage, allant de très précoce (stade boutons floraux séparés) à plus tardive (stade fermeture de grappe), un témoin non effeuillé étant systématiquement préservé, relate Thibaut Verdenal. Nous avons systématiquement retiré 6 feuilles depuis la base de tous les rameaux, y compris les rameaux secondaires. Cela correspond à un effeuillage total (100 %) de la zone des grappes. Sur le chasselas, nous avons aussi testé différentes intensités – 100 % versus 50 % de la zone des grappes.»

Les résultats ont fait l’objet de publications scientifiques et d’articles dans la Revue suisse de viticulture, arboriculture, horticulture, ainsi que d’une synthèse en 2019 dans American Journal of Enology and Viticulture. En se gardant toutefois d’en tirer à tout prix des généralités: «Cet effeuillage particulièrement précoce et intensif a été mené à titre expérimental afin d’observer les limites physiologiques de la plante. Ce n’est pas une recommandation pour la pratique», souligne Thibaut Verdenal.

L’impact le plus spectaculaire d’un effeuillage pré-nouaison porte sur le rendement: le feuillage est source de carbone pour la plante; le fait d’effeuiller la vigne avant la nouaison provoque un stress pour la plante qui réduit le nombre de baies formées en conséquence – et partant son rendement. «Jusqu’à 40% en fonction du millésime», note-t-il. Ça peut être très intéressant sur des vignes très productives, puisqu’on va gagner du temps sur l’égrappage et la vendange, mais  le risque de perte est bien réel. On peut moduler en réduisant l’intensité et/ou la précocité de l’effeuillage. Rabattre le volume foliaire avant nouaison n’est toutefois pas recommandé sur de jeunes vignes.»

 

Coups de chaud

Et les maladies fongiques? Effeuiller plus tôt les impacte-t-il différemment? «Les symptômes de Botrytis apparaissent dans les grappes le plus souvent pendant la maturation. La précocité de l’effeuillage n’a donc pas eu d’influence sur la maladie. Par contre, une plus grande intensité d’effeuillage a permis de lutter très efficacement contre la maladie», répond Thibaut Verdenal.

Précoce, la pratique peut aussi limiter le risque d’un «coup de chaud». Une vigne sensible à l’échaudage aura ainsi eu le temps de s’habituer au rayonnement thermique. «Mesurées au microscope électronique, les pellicules des baie des vignes effeuillées précocement étaient systématiquement plus épaisses, relève le spécialiste.

Un des aspects les plus intéressants des travaux d’Agroscope est d’avoir mis en évidence l’impact d’un effeuillage précoce sur la composition des moût et la qualité des vins. «En fonction du millésime, les cépages rouges pouvaient présenter des moûts plus sucrés, présentant moins d’acidité, plus d’arômes, de couleur, de structure tannique… Et lors des dégustations, les variantes non effeuillées ont été le plus souvent dépréciées: plus végétales, plus acides. En revanche, la qualité des vins blancs n’a pas été marquée par la pratique de l’effeuillage», se souvient encore Thibaut Verdenal.

 

Le pivot: la nouaison

Au final, la question de la diminution des rendements reste le pivot de l’option précoce, répète Thibaut Verdenal. «La limite est à placer à la nouaison; avant ce stade, la baisse sera importante, mais on peut la moduler en jouant sur l’intensité et la période de l’opération.» La mécanisation de l’effeuillage pré-nouaison, évidemment, n’est possible qu’une fois que les rameaux sont relevés dans les fils, avec une machine pneumatique. «Une recherche sur ce thème, sur du doral et du gamay, a aussi été menée, mais les résultats n’ont pas encore été publiés», précise le chercheur.

Agroscope n’a de toute façon pas fini de se pencher sur le sujet: à Leytron (VS), un essai sur la petite arvine est en cours. Avec des modalités analogues à ceux qui ont été menés sur les autres cépages, une composante «hauteur» (un rognage 30 cm plus haut pour compenser la surface mise à nu) ayant été ajoutée. «L’idée, avec l’arvine, est de déterminer s’il y a un impact sur l’apparition des précurseurs aromatiques, note Thibaut Verdenal. Initiée en 2016, l’étude touche à sa fin, mais nous n’en avons pas encore tiré de bilan global à cette heure.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Agroscope

Trois vignerons, trois pratiques différentes

«Je suis un adepte convaincu de l’effeuillage des cépages rouges, surtout sur les côtés exposés, en enlevant la dernière feuille au-dessus de la dernière grappe à conserver, lance Blaise Duboux à Epesses (VD). Sur une année très solaire, le gamay est effeuillé tôt, juste avant le stade petit pois, pour lui laisser le temps de faire une peau plus épaisse, ce qui le préserve aussi de la pourriture éventuelle. Au pressurage, le rendement passe sous les 70%, ce qui m’arrange bien.» «On effeuillait beaucoup à la souffleuse après fleur, mais cette année, on passe plus vite, à la main, de façon assez intensive, dit de son côté Stéphane Simonet au domaine du Petit Château à Môtier (FR). On le fait un peu plus sur les blancs que sur les rouges, mais en essayant d’éviter les 15% de perte de rendement sur les cépages à forte valeur ajoutée. On ne touche pas non plus au pinot noir; en revanche, si la forte croissance actuelle nous en laisse le temps, on passera à la main sur le merlot, avant la fleur.» «De façon générale, je n’enlève que les entrecœurs et quelques feuilles supplémentaires sur la marsanne, explique Mathilde Roux à la Cave de l’Orlaya (Fully, VS). Je préfère garder un bon volume de feuillage en guise de protection contre la grêle et les UV, Un effeuillage précoce modifie la chimie interne des baies au détriment de l’acidité et de la fraîcheur que je recherche. Et je régule de toute façon mes rendements en égrappant.»

En savoir plus

Intensité et précocité de l’effeuillage sur vigne de chasselas dans le canton de Vaud, Revue suisse Viti Arbo Horti, Vol. 50 (3), 2018.

L’effeuillage préfloral du pinot noir limite le rendement et modifie la composition des vins, Revue suisse Viti Arbo Horti, Vol. 50 (5), 2018.

L’effeuillage préfloral sur merlot: impact à la vigne et sur les vins dans le contexte du Tessin, Revue suisse Viti Arbo Horti, Vol. 51 (6), 2019.

Période et intensité de l’effeuillage de la vigne: bilan sur cinq cépages en Suisse, Thibaut Verdenal et al., Revue suisse Viticulture, Arboriculture, Horticulture, Vol. 53 (3), 2021.