Reportage
Bio et local, le kiwi de La Côte a de beaux jours devant lui

Le domaine de la Pêcherie, à Allaman (VD), fournit l’essentiel de la production indigène de kiwis. Reportage à l’heure où se récoltent ces petites bombes vitaminées.

Bio et local, le kiwi de La Côte a de beaux jours devant lui

C’est un toit végétal, une forêt vierge ou presque. Une succession de lignes de pergolas à perte de vue, qu’il faut tailler avant d’y faire entrer un tracteur, en marche arrière, avec ses remorques. Des lianes ployant par endroits sous le poids des fruits, qu’une équipe s’active à récolter à une vitesse impressionnante. Une Amazonie, un pays de cocagne dans le delta de l’Aubonne. «Nous profitons d’un microclimat: la rivière a créé au fil des siècles une mini-presqu’île dans le lac – situation à laquelle nous devons des températures plus douces qu’ailleurs et une terre alluviale particulièrement fertile», explique Mathias Faeh. Issu de l’informatique et fraîchement reconverti, ce quadra passionné a repris en début d’année le Domaine de la Pêcherie, à Allaman (VD), qui produit l’essentiel des kiwis suisses.
Ces vergers étonnants ont vu le jour dans les années huitante: on récolte aujourd’hui la plus grande des cinq parcelles, réparties sur une quinzaine d’hectares. Une trentaine de cueilleurs, venus d’Italie, du Portugal et de France, décrochent les fruits avant de les déposer dans les seaux accrochés aux câbles. La plupart sont des habitués, certains ayant travaillé dans la plaine du Pô ou la Drôme, autres régions productrices. «Contrairement à une idée répandue, le kiwi n’est pas un fruit exotique, confirme Mathias Faeh. Originaire de Chine, dans des régions au climat tempéré, il a besoin d’hivers rigoureux.»

Un fruit à lente maturation
La récolte a débuté en octobre avec les summerkiwis – souvent considérés comme les plus savoureux, avec leur petit goût ­citronné – et se poursuit en novembre avec la variété hayward. Au total, elle devrait s’élever à 350 ou 400 tonnes, soit 80 à 90% des kiwis indigènes, le tout en culture bio. Une quantité qui ne représente qu’une part infime de la consommation, l’essentiel étant importé d’Italie, de Nouvelle-­Zélande ou de France. «Nous souhaiterions produire davantage, mais nous sommes à la recherche de terrains adaptés», explique l’arboriculteur vaudois.
Pas question pourtant de croquer dans ces «groseilles de Chine», qui restent dures comme des cailloux. Les deux variétés ont besoin de temps pour achever leur maturation. «Les consommateurs ne le savent pas toujours. Le kiwi est un fruit dit climactérique, comme la banane. Cueilli dur, il va produire de l’éthylène, gaz qui stimule la maturation: on peut le placer en cave
et le garder une partie de l’hiver. Ou alors, si l’on entend accélérer son mûrissement, le mettre avec d’autres fruits et surveiller: il doit être souple sous le doigt, ni dur
ni mou.»

La culture idéale ou presque
Des années trente aux années septante, la Nouvelle-Zélande détient le quasi-monopole de ce fruit, porté par sa réputation flatteuse de «Superfood», avant d’être imitée par d’autres régions. Avec les nouveaux modes de consommation, plus axés sur la proximité et la durabilité, le kiwi suisse devrait avoir de beaux jours devant lui, en dépit de coûts plus élevés.
«Très vigoureuses, les plantes doivent être éclaircies et une partie des fleurs éliminées pour obtenir de bons fruits; il faut entretenir les câbles, tailler et palisser les lianes. Le kiwi est facile à cultiver, souligne Mathias Faeh. Dioïque, il a besoin de plantes mâles et femelles pour être pollinisé par les abeilles. Il n’est pas sensible aux maladies fongiques, ni apprécié par les insectes, vers ou mouches suzukii.» Un rêve d’arboriculteur, en somme. La seule contrainte tient à l’eau: le verger est alimenté par une station de pompage dans le lac. Mais au fait, pourquoi ce drôle de nom? «Avec son look de petite tête poilue, il évoquait l’oiseau emblématique de la ­Nouvelle-Zélande, que les Maoris nomment kivi-kivi. Un naturaliste l’a rebaptisé kiwi, alors qu’on le connaissait jusque-là sous le nom de groseille de Chine.»

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Olivier Evard

Le producteur Mathias Faeh

Mathias Faeh a repris le Domaine de la Pêcherie, à Allaman, en janvier dernier. Ingénieur en télécom, il a travaillé dans l’informatique jusqu’en 2017. Ce fils d’agriculteurs, qui s’occupe aussi de ses vergers bios à Ballens, décide alors de se reconvertir et fait une patente arboricole à Marcelin. Le projet de cultiver des kiwis à La Côte est né en 1984, porté par une poignée d’arboriculteurs audacieux: la production est certifiée bio en 1994. Le domaine de 15 hectares produit quelque 400 tonnes par année de deux variétés principales (summerkiwi et hayward), soit la quasi-totalité des kiwis suisses. Un chiffre à mettre en relation avec la production mondiale: l’Italie en produit 400 000 tonnes par an, devant la Chine et la Nouvelle-Zélande. Les kiwis bios d’Allaman ne couvrent ainsi qu’une part infime de la demande indigène, l’essentiel étant importé. Les fruits sont commercialisés par la coopérative bio Terra Viva, qui les livre à une grande surface et de petits commerces.
+ D’infos www.kiwisuisse.ch

Une liane chinoise

Le genre Actinidia comprend une cinquantaine d’espèces, toutes originaires des régions montagneuses de Chine, de tailles et de couleurs multiples. Le fruit de cette liane qui colonise à l’état sauvage le tronc des arbres y est apprécié depuis plus d’un millénaire, mais reste inconnu du reste de la planète jusqu’au XIXe siècle. La Nouvelle-­Zélande le cultive à grande échelle dès le milieu du siècle dernier et il déferle sur nos marchés dès les années huitante. Ce n’est pas un mythe, mais peut-être bien un super­aliment, pour autant qu’on y croie… Avec sa teneur en vitamine C double de celle des agrumes, le kiwi est effectivement une petite bombe vitaminée, un seul fruit suffisant à couvrir les besoins quotidiens de cette substance. Actinidia deliciosa (ou chinensis) a d’autres propriétés à son actif (teneur en fibres, vitamine K et potassium, antioxydant, cicatrisant…) et c’est évidemment cru qu’il les conserve le mieux, à la petite cuillère ou en jus, au dessert ou en version salée.