Reportage
Une formation en micromaraîchage voit le jour en Suisse romande

En proposant dès ce printemps un cursus en 11 modules d’un week-end, David Bichsel et Tal Shani, deux micromaraîchers expérimentés, veulent combler une lacune et aider à la concrétisation de projets existants.

Une formation en micromaraîchage voit le jour en Suisse romande
Après avoir animé la structure d’agriculture contractuelle de proximité Rage de Vert dès 2011, David Bichsel et Tal Shani ont tout à la fois peaufiné leurs propres compétences et se sont employés à les partager en conseillant et en aidant des projets de microfermes en devenir. Dans son travail de master en agronomie, David Bichsel s’est d’ailleurs penché sur l’itinéraire technique du micromaraîchage, pointant notamment le manque de formation spécifique pour l’encadrer.Un concept axé sur la pratique
«L’an dernier, on a finalement décidé de se lancer et de mettre sur pied un cursus adéquat, qui ne remplace pas le CFC de maraîcher, mais qui puisse aider des microfermiers débutants à ne pas se casser les dents sur des questions de technique ou de gestion, comme c’est malheureusement parfois le cas», explique Tal Shani par visioconférence depuis la Drôme (F), où il vit et travaille désormais.

Dès la fin du mois d’avril, les deux spécialistes encadreront ainsi une vingtaine de microfermiers en herbe en une structure de formation baptisée U-Farming, durant onze week-ends constituant autant de modules thématiques. «Chacun d’eux aura lieu dans une microferme déjà active, de façon à profiter de l’expérience des hôtes en plus des compétences d’intervenants extérieurs sélectionnés», détaille David Bichsel, qui nous accueille quant à lui sur l’un des domaines accueillant la formation – la Belle Courgette, à Bussigny (dont Terre&Nature a raconté le parcours en janvier 2020).
«Notre concept est d’axer l’apprentissage sur la résolution concrète des problèmes pratiques, résume David Bichsel, qui dispose d’une solide expérience de formateur dans le milieu humanitaire. Nous voulions aussi originellement en faire la base d’un ouvrage collectif dans lequel chaque participant serait le rapporteur de son modèle, car il n’existe aucun traité de micromaraîchage qui soit adapté à la grande diversité de climats et de terrains qu’on connaît en Suisse. On y a provisoirement renoncé faute de disposer du financement nécessaire.»

«L’idée est aussi de favoriser les échanges et de montrer aux étudiants que, même s’ils ont opté, souvent avec une forte conviction, pour un modèle ou l’autre (la permaculture, la traction animale, etc.), leur choix n’a pas l’exclusivité de la réussite», ajoute Tal Shani.

Tour d’horizon complet
Porté par des fonds privés et un soutien de la Fondation Mercator (sans parler des dizaines d’heures de travail consenties à titre bénévole par les deux formateurs), le programme d’U-Farming offre de fait un tour d’horizon plutôt complet des thématiques liées aux divers modèles de microfermes: en vrac, on y parlera notamment installation et soin des cultures, enherbement, paillage, fumure et semis, mais aussi recours aux auxiliaires et irrigation – ou encore détention et alimentation des petits ruminants, aussi bien que techniques de récolte, stockage et rotations.

Surtout, le premier module aborde de front les questions de gestion, de droit et de structure économique de l’exploitation. De quoi décourager un public animé par un idéal tourné vers le social et la préservation du sol? «Le rêve et l’utopie sont des moteurs importants, mais la durabilité implique la productivité, souligne Tal Shani. Être en mesure de tirer au moins un salaire de son activité est un des objectifs essentiels de cette formation.» D’emblée, les étudiants devront ainsi établir un budget, estimer le coût de la main-d’œuvre, le seuil de rentabilité… «Et toutes les structures qui nous accueilleront nous présenteront leur propre modèle économique», ajoute David Bichsel.

Une seconde volée en 2022
Manifestement, leur initiative vient combler une lacune: le nombre maximum de participants, une vingtaine, a été atteint en quelques semaines et les inscriptions sont désormais closes. Les prérequis, pourtant, étaient assez exigeants: mener un projet concret de micromaraîchage et s’inscrire à un stage pratique dans une autre structure. Devant le succès rencontré par U-Farming, leurs initiateurs pensent déjà remettre le couvert en 2022 – tout en continuant de souhaiter une intégration du micromaraîchage dans les filières officielles de formation. «Parmi ceux qui sont inscrits à nos modules, certains continueront peut-être dans la voie du CFC, note Tal Shani. Disposer alors d’une expérience pratique peut s’avérer profitable.»

Va-t-on voir une explosion du nombre de projets microfermiers en Suisse? «C’est déjà le cas, après une décennie durant laquelle les acteurs sont restés très peu nombreux, acquiesce David Bichsel. La demande est là et le marché reste ouvert, mais il est probable que les micromaraîchers vont devoir se montrer de plus en plus créatifs et réinventer la façon dont ils offrent l’accès à leurs produits aux consommateurs.» Et peut-être acquérir un volume accru de savoir, pratique et théorique, pour occuper ce marché en conciliant temps de travail, compétences de vente et rapport à leur clientèle.

+ D’infos www.u-farming.ch

 
 
Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): François Wavre/Lundi13/DR

Questions à...

Claire Asfeld, spécialisée en gestion d’entreprise à Agridea

Y a-t-il une demande croissante de formation de la part des micromaraîchers et microfermiers?
Le nombre de projets de ce type est en soi difficile à quantifier vu la variété de leurs formes. Ce qu’on observe, en revanche, c’est, d’une part, une nette augmentation des inscriptions au CFC de maraîcher et, d’autre part, une présence plus marquée d’un public moins traditionnellement agricole dans les écoles professionnelles, issu d’un tissu plus urbain et souvent détenteur de premiers diplômes d’un niveau assez élevé. On le voit également
dans les formations continues que proposent Agridea ou encore le FiBL.

Le micromaraîchage va-t-il se faire une place dans les filières officielles de formation?
Les écoles elles-mêmes sont déjà en réflexion par rapport à l’adaptation de leur cursus à ce type de public. Les choses vont vraisemblablement évoluer, mais le temps de réaction institutionnel est long, par définition, d’autant que les programmes de CFC sont établis au niveau fédéral et tiennent notamment compte de la politique agricole. Il faut aussi relever que le maraîchage bio intensif qui fonde beaucoup de ces projets microfermiers et qui viendrait s’ajouter aux techniques traditionnelles enseignées (et non s’y substituer) fait appel à des compétences relativement nouvelles, peu théorisées. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles une formation comme celle d’U-Farming, basée sur le retour d’expérience de «pionniers», est pleinement pertinente.