Cachée derrière la colline de Pouillerel, à laquelle s’adosse la ville de La Chaux-de-Fonds, la petite commune des Planchettes jouit d’une enviable exposition vers l’ouest et ses soleils couchants. À cette heure matinale, c’est surtout le vaste canyon qui s’étale au-dessous de nous qui nous captive. Reconnaissons-le, nous ne nous attendions pas à un panorama aussi spectaculaire en arrivant aux Roches-de-Moron. Détournant notre attention, le patron du restaurant sourit de notre surprise. Il a toujours vécu ici et ne se lasse pas des ambiances paysagères changeantes des profondes gorges du Doubs. Ni d’ailleurs de la faune sauvage qu’il préfère voir brouter dans les prés que servie en gibier dans les assiettes de son établissement. Il rigole d’ailleurs encore de l’astuce de chamois qui se sont planqués au milieu du bétail un récent jour de chasse.
Alors qu’elles s’imposent lorsque l’on se tient au sommet des gorges, d’autres splendides barres rocheuses, cachées au cœur de la forêt mais de taille plus modeste, bordent notre chemin descendant. L’occasion d’observer de près les multiples niches créées par d’anciens plissements géologiques ou par l’érosion que subit la roche calcaire sous l’action de l’eau et du vent. Dans cette forêt abrupte, des champignons colonisent de vieilles souches, des toiles d’araignées où perle la rosée brillent entre les herbes. À l’étroit sentier caillouteux qui zigzague succède bientôt une piste plate rectiligne. Nous la suivons par la droite et franchissons deux courts tunnels qui traversent la paroi rocheuse de la Grande-Beuge.

La fraîcheur du vallon
À peine ressortis en pleine lumière, nous nous dirigeons vers le fond des gorges. Ce sont quatre cents mètres de dénivelé qui nous séparent maintenant des Roches-de-Moron. L’air est plus frais dans ce vallon encaissé que le soleil n’atteint pas à cette saison. En aval du barrage du Châtelot, que nous entrevoyons déjà entre les arbres, la forte humidité ambiante pare les arbres d’une mousse épaisse. Remontant le cours du fleuve, nous dépassons la halte-auberge du Châtelot et, par une petite galerie – qui est ouverte ou non selon le niveau des eaux –, accédons au faîte du barrage en voûte. Long de 148 m pour une hauteur de 73 m, il domine le lac artificiel de Moron aux rives dénudées par le très bas niveau des eaux. Dixième fleuve français par sa longueur – 453 kilomètres –, le Doubs est occasionnellement sujet à des crues puissantes. Une force qui a contribué à entailler ce goulet de la chaîne du Jura.
Après avoir rejoint la croisée des chemins au bas du pâturage du belvédère des Roches-de-Moron, nous aurions souhaité découvrir le site druidique mentionné par l’Office du tourisme Jura & Trois Lacs dans son petit guide de balades. Malheureusement, aucun balisage ne conduit à cette mystérieuse pierre creusée qui se cache dans la barrière rocheuse de la Grande-Beuge. Un manque de signalisation que les habitants regrettent et dont ils nous avaient prévenus. La proximité de hautes falaises, non sans danger, justifie peut-être cette retenue.
Un renard mulote dans le pré alors que nous avons presque rejoint notre point de départ. Visiblement contrariées par cette intrusion dans leur garde-manger, des vaches le chargent. À l’horizon, la longue succession des crêtes françaises du Jura se teinte de rouge, alors que la pénombre envahit la grande gorge et qu’une Lune joliment ronde fait son apparition derrière des sapins. L’heure approche où les falaises résonneront peut-être de l’appel du hibou grand-duc. Cela arrive parfois.