Récit
Ils ont mis le cap sur la Gambie pour réparer des tracteurs

Christian Mezenen et Florian Ruch, deux Vaudois passionnés d’anciennes mécaniques, se sont rendus en Afrique de l’Ouest pour remettre en route les véhicules d’une exploitation agricole fondée par un ami médecin.

Ils ont mis le cap sur la Gambie pour réparer des tracteurs
En juillet dernier, dans le cadre de notre série de portraits consacrée aux 125 ans du journal, nous vous présentions le lien inattendu qui unissait le Dr Musa Touray à Terre&Nature. Ce médecin d’origine gambienne exerçant à Épalinges (VD) racontait comment une petite annonce publiée dans notre hebdomadaire lui avait permis de dénicher il y a une vingtaine d’années un vieux tracteur pour la Kankanba Farm, l’exploitation agricole de son association en Gambie (lire l’encadré). Un Massey Ferguson des années 1970 acheté à Fey (VD) et acheminé par bateau jusqu’à Sanyang, petite ville côtière de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Au fil des années, d’autres engins avaient rejoint la ferme. Mais plusieurs d’entre eux nécessitaient des réparations que les employés sur place ne parvenaient pas à réaliser eux-mêmes, et le médecin souhaitait trouver un mécanicien suisse capable de s’en charger. Un vœu exaucé quelques mois plus tard, grâce à Christian Mezenen et Florian Ruch. Répondant à l’appel du Dr Touray, ces deux amis passionnés de vieux tracteurs sont partis en Gambie pour s’occuper des véhicules de la Kankanba Farm. De retour en Suisse, ils nous racontent leur expérience.

L’amicale des Tracteurs d’Or
La rencontre a lieu un lundi soir pluvieux dans un hangar du village vaudois de Carrouge. Ce local est le stamm des Tracteurs d’Or, l’amicale qui réunit quelques férus de vieux engins agricoles. Assis autour d’une petite table au fond de l’atelier, Christian Mezenen et Florian Ruch partagent un verre de blanc et nous accueillent d’une poignée de main franche et chaleureuse. Les deux amis de 42 ans et 63 ans affichent le teint hâlé de ceux qui reviennent du soleil. «Un voyage inoubliable», s’exclament-ils.Tout a commencé il y a quelques mois. Christian Mezenen, qui a officié pendant trente-sept ans dans le domaine des bâtiments à la commune d’Épalinges, fait la connaissance du Dr Touray. «Je lui ai raconté qu’avec les copains des Tracteurs d’Or, nous partions chaque année faire des virées avec nos véhicules. Cet été, ce sera la Suisse centrale. En 2023, nous sommes allés jusqu’au val Onsernone, au Tessin. On roule plusieurs jours, on dort dans nos caravanes pliantes, on se fait à manger tous ensemble, c’est l’aventure», confie ce jeune retraité. Le Dr Touray lui parle alors de ses machines à l’abandon dans sa ferme de Sanyang. Christian Mezenen se propose de l’aider. «Quelques jours plus tard, j’appelais Florian pour lui faire part de notre échange. Il a tout de suite été emballé aussi», raconte le Vaudois. Sa fille, Kelly, se joint également à l’aventure. Le trio rencontre Musa Touray, qui leur explique l’histoire de son association, la création de l’hôpital, puis du domaine agricole, dont la production sert à fournir les repas de ses patients.
Un lieu exceptionnel, avec un grand portail, des parcelles immenses et fertiles, un vrai paradis!
Immersion dans le pays
Le 18 mars, les trois bénévoles s’envolent pour la Gambie, petit pays de 2,5 millions d’habitants enclavé dans le Sénégal. Une escale au Maroc, sept heures de vol et une arrivée à Banjul, la capitale, à 2h30 du matin. «Un employé de l’hôpital est venu nous chercher. Il faisait nuit noire, on a roulé jusqu’au village, sur des routes cabossées, un dépaysement total», racontent Florian Ruch et Christian Mezenen. Ils sont logés à la ferme avec les deux familles employées au domaine. «Un lieu exceptionnel, avec un grand portail, des parcelles immenses et fertiles, un vrai paradis!»Pendant deux semaines et demie, les bénévoles démontent, nettoient, vidangent, réparent les engins de la Kankanba Farm. Ils redémarrent un tracteur à l’arrêt depuis plusieurs années, retapent le Massey Ferguson de Fey, qui fonctionnait toujours, mais nécessitait un grand service. Et improvisent parfois avec les moyens du bord. «À un moment, il nous manquait un filtre à carburant et une pompe d’alimentation. Avec Mbayé, l’un des employés de la ferme, on a fait plusieurs magasins jusqu’à tomber par hasard sur un petit garage qui avait les pièces. Cela nous a pris la journée, mais on a trouvé», se remémorent les deux hommes. Des virées qui leur donnent l’occasion de se plonger dans l’ambiance du pays. «On a découvert que sur les routes gambiennes, la priorité de droite n’existait pas. Et qu’il faut ruser pour zigzaguer entre les charrettes, les chèvres et les singes en liberté…»

C’est une chance d’avoir pu bénéficier des conseils de Florian et Christian, car en Gambie, il n’existe aucune école d’agriculture.

 

Champ d’ananas sauvé
Durant leur séjour, ils remettent en marche une vieille charrue à l’abandon depuis une quinzaine d’années et qui a permis de labourer une parcelle sur laquelle les employés de la ferme ont semé des poivrons. «Voir cette machine fonctionner de nouveau était un grand moment d’émotion pour toute l’équipe», témoigne de son côté le Dr Touray. «C’est une chance d’avoir pu bénéficier des conseils de Florian et Christian, car en Gambie, il n’existe aucune école d’agriculture», poursuit le médecin.

Sur place, les tâches des trois bénévoles ne se sont d’ailleurs pas limitées à la mécanique. «Nous en avons profité pour réparer les systèmes d’arrosage et prendre soin des cultures. Ma fille Kelly a travaillé plusieurs jours dans un champ d’ananas et a permis de sauver toute une récolte qui était en train de sécher», raconte encore Christian Mezenen. D’abord un peu méfiantes vis-à-vis de ces «toubabs», le surnom local donné aux touristes, les deux familles employées au domaine intègrent très vite les trois bénévoles et s’amusent à emprunter leurs expressions typiquement suisses. «Ils ont même rebaptisé le hangar à machines le «Tip top Workshop», précisent Christian Mezenen et Florian Ruch. Tous les deux admettent avoir versé une larme au moment du départ. «Ces deux semaines et demie ont été humainement très riches. Nous avons partagé des moments magnifiques autour des repas, au coin du feu le soir. On y retournera, c’est certain.»

Devant le hangar de Carrouge, un ancien Deutz-Fahr vert aux roues craquelées récemment acheté par l’association du Dr Touray attend son grand service. Le véhicule rejoindra la Gambie cet automne. «On sera sur place pour le décharger. En tant qu’amoureux de vieux tracteurs, c’est génial de voir ces engins poursuivre leur route à l’autre bout du monde.»

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Florian Ruch et Christian Mezenen

Un «grand jardin»

Spécialiste en médecine interne générale, le Dr Musa Touray, 59 ans, exerce dans un cabinet à Épalinges. Né en Gambie, il a quitté son pays à l’âge de 17 ans pour la Libye, puis l’Allemagne, afin d’entreprendre des études de biologie. Après un doctorat à Berne et un postdoctorat aux États-Unis, il s’installe dans le canton de Vaud et effectue ses études de médecine à l’Université de Lausanne. En parallèle, Musa Touray souhaitait s’engager dans son pays et a fondé il y a près de trente ans le Bijilo Medical Center, un hôpital situé près de la capitale destiné aux personnes sans ressources financières. En 1998, il crée la Kankanba Farm, qui signifie «le grand jardin» en langue mandinka, une exploitation agricole de 22 hectares. Le domaine emploie huit salariés et s’est spécialisé dans les cultures maraîchères et fruitières, l’élevage, la pisciculture et l’apiculture.

+ d’infos www.kankanbafarm.org