Recyclage
Quand il est bien trié, l’aluminium peut se recycler à l’infini

Chaque mois jusqu’à l’été, nous partons à la découverte des principales filières de recyclage de Suisse. Premier épisode consacré à un matériau collecté et refondu depuis des décennies.

Quand il est bien trié, l’aluminium peut se recycler à l’infini

Rouges, bleues, jaunes, vertes… Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel défilent lorsque l’élévateur déverse son chargement de canettes en alu dans le broyeur. Elles disparaissent dans un vacarme infernal pour en ressortir quelques mètres plus bas, déchiquetées en flocons par les couteaux de l’appareil.

Une aube pâle se lève sur les halles de Bühlmann Recycling, à Cressier (FR). C’est ici que débute le dernier voyage pour d’innombrables déchets en aluminium: canettes de boisson, mais aussi boîtes d’aliments pour animaux, tubes alimentaires puis capsules de café, dans l’ordre des volumes recyclés chaque année. Un dernier voyage qui s’apparente à un nouveau départ: les 6000 m3 d’emballages usagés qui sont traités ces jours dans l’enceinte de l’entreprise partiront vers une fonderie pour donner naissance à des canettes neuves. «Suivez-moi, c’est par là que ça se passe!» Casque vissé sur la tête, Sacha Moser, directeur de l’usine, emboîte le pas à un élévateur qui emporte une palette vers un immense entrepôt.

Toujours plus fin

Pour recycler l’aluminium, il faut le réduire en miettes. C’est la première information que l’on retient en suivant le parcours de ce métal dans les méandres de Bühlmann Recycling. «On le trie plus facilement lorsqu’il est broyé, explique Sacha Moser. Si les Suisses sont plutôt appliqués pour trier leurs déchets, on retrouve tout de même dans les bennes d’alu des objets qui n’ont rien à y faire. Les canettes de boissons contiennent peu d’impuretés, mais les boîtes pour animaux sont des emballages composites, qui comprennent de l’alu et du papier ou du plastique.» La finesse du tri, c’est le marché qui la dicte: clientes des centres de traitement des métaux, les fonderies demandent en fonction de leur production à acheter de l’aluminium pur, ou se contentent d’un matériau trié plus grossièrement.

Dissocier le précieux métal du plastique ou du fer-blanc, c’est le travail d’un grand tapis roulant dans lequel un champ électromagnétique permet d’éjecter l’aluminium. Une étape supplémentaire attend la masse que le tapis n’aura pas pu trier, comprenant encore divers métaux mêlés d’impuretés: le «billeur». «On l’appelle ainsi parce que la matière en ressort sous forme de billes de quelques millimètres de diamètre, qui se traitent plus aisément.» Celles-ci sont hissées par une soufflerie au sommet d’une machine de la hauteur d’un petit immeuble. Là, elles subissent un tri mécanique et optique: des tables vibrantes séparent les métaux en fonction de leur structure moléculaire. La méthode est d’une finesse telle qu’elle permet de distinguer une vingtaine de catégories de matériaux. Sous l’installation, pendant comme les tentacules d’une pieuvre colossale, des tubes mènent les billes d’aluminium, de cuivre ou de laiton vers des palettes où elles brillent comme autant de trésors.

La transformation est terminée: l’alu n’est plus un déchet, mais une matière première qui part sans tarder vers une fonderie. «Cette étape se déroule à l’étranger, précise Maurice Desiderato, porte-parole de la coopérative IGORA, qui gère la collecte du matériau. La Suisse ne consomme pas assez d’aluminium pour que l’exploitation d’une fonderie soit rentable.» Le métal prend donc la route pour l’Italie, la France ou l’Allemagne.

 

Matériau en circuit fermé

Après avoir été fondu à haute température et coulé, pur ou en alliage, il reviendra sous forme de canette, de composant électrique voire de jante automobile. Le processus a certes un coût financier et énergétique, mais il est incomparable avec celui de sa production: la fabrication d’un objet recyclé ne nécessite que 5% de l’énergie nécessaire à celle d’un objet conçu directement à partir de bauxite, le minerai qui constitue la base de l’aluminium, découvert il y a deux siècles et principalement extrait en Australie, en Chine et en Guinée. On estime d’ailleurs qu’aujourd’hui, les deux tiers du volume d’aluminium en circulation autour de la planète sont issus du recyclage. En matière de financement, la filière repose sur un système de subventions instauré en 1989, au moment de l’introduction de l’Ordonnance sur les emballages pour boissons: une «contribution de recyclage anticipée» est versée par l’industrie à la coopérative IGORA, qui la redistribue à son tour aux communes et aux usines de récupération pour participer aux frais de collecte.

Dans la halle de Cressier, les dernières billes d’aluminium tombent, le ronronnement assourdissant des machines ralentit avant de cesser. En quelques heures, les tonnes de canettes ont été mâchées, digérées et recrachées, brillantes comme au premier jour, par des monstres de métal et de technologie. Dans la cour ensoleillée, un nouveau chargement arrive déjà.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

La filière suisse de l’alu en chiffres

14 600 tonnes de matière recyclée en 2020.

85% sont des canettes de boissons.

97% des canettes en aluminium sont recyclées.

20 centres de tri destinés à l’aluminium en Suisse.

0 fonderie dans le pays.

1989, l’année de fondation d’IGORA, coopérative chargée de superviser la collecte de l’aluminium.