Un jardin en permaculture 3/12
Le contre-la-montre est engagé pour façonner les dernières buttes

Chaque mois, notre collaboratrice Aino Adriaens nous fait part de ses expériences en permaculture. Début mars, les buttes encore en chantier font le gros dos sous la neige en attendant les premiers semis.

Le contre-la-montre est engagé pour façonner les dernières buttes

À l’heure où j’écris ces lignes, il neigeote et la bise est glaciale. Autant vous dire que le jardinage est en stand-by depuis quelques semaines, car les rares fenêtres météo favorables n’ont quasi jamais coïncidé avec nos jours de congé. N’empêche, nous avons quand même pu élever quelques buttes dans le courant de février, en nous basant sur nos jolis plans dessinés au coin du feu. Mais avant d’en relater la construction, encore faut-il vous expliquer le bien-fondé d’un tel chantier.

La permaculture est généralement associée à la culture sur buttes, mais l’image est très réductrice, car les buttes ne sont en réalité qu’une des techniques permettant de respecter la vie du sol. On y parvient aussi sur des plates-bandes et des carreaux traditionnels, pour autant qu’on accepte de les laisser en place plusieurs années sans labourer. Les buttes ont toutefois l’avantage d’éviter le piétinement du sol et d’augmenter la surface et la diversité des cultures, car on plante aussi sur les côtés en profitant de différentes expositions. On y travaille aussi plus facilement par couches en superposant du bois, du fumier, du compost ou toute autre matière organique. Autre avantage: la terre paraît tout à coup moins basse, ce qui ménage le dos. Comme les manuels nous promettent qu’une fois les buttes en place, le potager nous demandera beaucoup moins de boulot de désherbage et d’arrosage, nous nous mettons joyeusement à l’ouvrage.

Questions de dimensions
Premier constat: un plan n’est pas fait pour être respecté. Souvenez-vous: nous avions prévu deux buttes en forme de haricots inversés dans le côté ombragé du potager (voir Terre&Nature du 25 février). Faites d’un empilement de vieilles poutres, de compost d’écorces récupéré à la scierie et de terre, je les destinais à la culture de petits fruits. Eh bien, à peine ces buttes érigées, j’ai réalisé qu’on perdait beaucoup de place et que cet espace perdu serait difficile à entretenir. Bref, ça n’allait pas du tout et j’ai tout repris de zéro en maudissant mon incapacité de bien visualiser les reliefs en 3D. Le résultat est maintenant satisfaisant: quatre buttes ombragées où trônent déjà des chèvrefeuilles comestibles, des groseilliers, des myrtilles et autres fraises des bois. L’ensemble est paillé avec une masse de végétation extraite de l’étang.

Côté soleil, Christian s’est attelé à l’élévation des buttes en forme d’arc-en-ciel. Jardiner en couple peut paraître profondément romantique, mais quand monsieur tente d’appliquer les directives de madame en son absence, il y a fort à parier qu’il y aura quelques malentendus. Ce fut notre cas notamment en ce qui concerne la hauteur, la largeur et l’espacement des buttes. Rationnel, Christian avait réduit les chemins au strict minimum, tandis que pour ma part je tenais à pouvoir circuler entre les buttes sans piétiner les salades et à m’accroupir sans y poser les fesses! Bref une vidéo d’Emilia Hazelip, précurseur en France de la culture sur buttes, nous a mis d’accord: elles auront finalement environ 120 cm de largeur, 50 cm de haut et seront espacées de 50 cm. Pour ces six nouvelles buttes, pas de bois ni d’écorces: nous prélevons simplement la terre dans les chemins pour ériger les monticules.

«Wanted» petites bottes bios
Dans le fond du verger, le potager-mandala prend aussi belle allure. L’asymétrie des buttes va peut-être compliquer le choix des associations de légumes et l’entretien, mais peu importe, le plaisir des yeux compensera notre peine. De nouvelles chutes de neige nous obligent malheureusement à laisser le chantier en plan. J’en profite pour poursuivre ma quête de paille bio. Exclu en effet d’utiliser une paille truffée de fongicides, d’insecticides et de réducteurs de croissance comme mulch ainsi que pour la litière des poules et des lapins. Eh bien sachez que trouver des petites bottes bios est de nos jours extrêmement difficile! Elles ont en effet cédé la place aux énormes balles rondes intransportables pour le particulier. Après bon nombre de coups de fil, nous avons finalement déniché un petit lot d’excellentes bottes à moins de 15 km de la maison. Chic, le beau temps est annoncé pour le week-end. On se donne encore une semaine pour terminer les buttes et commencer les premiers semis.

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): © christian Lavorel

question À...

Gaëtan Morard – Permaculteur et spécialiste du sol

«Les buttes permettent d’éviter le compactage du sol»

En quoi la culture sur buttes permet-elle d’améliorer la qualité du sol?
En réalité, faire des buttes n’est pas indispensable. C’est surtout pertinent dans les sols gorgés d’eau ou très pauvres en nutriments. En apportant beaucoup de matière organique, on parvient à recréer plus rapidement un sol bien aéré et riche en microorganismes. Cela dit, dans le cas où la terre est déjà de bonne qualité, les buttes permettent d’éviter plus facilement le compactage du sol et ont un intérêt esthétique et ergonomique évident.

Enterrer du bois ou du fumier au fond d’une butte va à l’encontre d’un processus naturel. N’y a-t-il pas un risque élevé d’asphyxie du sol?
En effet, il ne faudrait jamais enterrer la matière à plus de 30 cm de profondeur de sorte que le bois ou le fumier puissent rester en contact avec les microorganismes de surface et se décomposer correctement. On doit aussi veiller à ce que le bois enterré soit gorgé d’eau et à respecter l’équilibre carbone-azote par l’apport de compost ou de fumier mûr. Le plus simple reste toutefois de déposer des couches en surface plutôt que d’enterrer la matière.

Y a-t-il des matériaux à ne surtout pas intégrer dans une butte?
Je conseille les bois de feuillus plutôt que les résineux, afin de ne pas augmenter l’acidité du sol, et je privilégie des branches de 10 à 20 cm de diamètre maximum. C’est aussi important de colmater les interstices avec de la matière organique pour que les rongeurs n’y élisent pas domicile. En règle générale, il faudrait éviter les matériaux qui pourraient contenir des polluants ou des pesticides.