Un potager en permaculture 1/12
La première étape de la reconversion de son jardin passe par le dessin

Permaculture: le mot peut faire peur. Mais pas à notre collaboratrice Aino Adriaens, qui a décidé d’appliquer cette année ce mode de culture à l’ensemble son jardin. Chaque mois, elle nous fera part de ses expériences.

La première fois que j’ai entendu parler de permaculture, c’était il y a un peu plus de vingt ans. Une amie allemande avait suivi plusieurs cours dans son pays d’origine. Je n’avais prêté qu’une oreille peu attentive à ses explications, car la passion du jardinage ne s’était pas encore emparée de moi et j’attribuais plutôt cette démarche à une nouvelle génération de babas cool versés dans l’ésotérisme et la vie communautaire. J’ai réalisé récemment mon erreur.

Grâce à l’engouement croissant des jardiniers amateurs pour les pratiques qui respectent la vie en général et le sol en particulier, la permaculture est aujourd’hui très «tendance», et de lectures en expérimentations, je me suis laissé séduire. Un reportage réalisé pour Terre&Nature dans la ferme biologique normande du Bec-Hellouin (voir l’édition du 15 octobre 2015), une référence dans le domaine, a fini de me convaincre. D’entente avec mon cher et tendre Christian, aussi féru de jardinage que moi, les gros bras en plus, nous avons décidé de chambouler l’ensemble du jardin pour cultiver encore plus la symbiose avec la nature. Ce sont nos travaux, nos expériences, nos questionnements, nos réussites et nos échecs que je vous propose de partager dans cette page au fil des prochains mois.

La permaculture, c’est quoi?
De prime abord, la permaculture m’a paru très nébuleuse et c’est bien normal quand manuels et formateurs truffent leur discours de termes aussi abscons qu’holistique, design, transition ou résilience. L’idée ou plutôt «le concept» est pourtant simple: il s’agit d’observer la nature et de s’en inspirer pour recréer des écosystèmes qui fonctionnent en boucle sans qu’il faille trop intervenir. Vu que la nature n’aime pas le vide, on évitera par exemple de laisser le sol à nu et de le remuer, même avec une grelinette! Le verger se mue en forêt-jardin, des mares trônent entre les légumes qui eux-mêmes chevauchent des buttes. On demande à chaque élément du jardin, qu’il soit animal, végétal ou minéral, d’interagir positivement avec les autres, en jouant plusieurs rôles: nourrir, engraisser, recycler, abriter, fournir de l’ombre ou de l’humidité, repousser des prédateurs, abriter des auxiliaires, couvrir le sol ou encore servir de support.

Mais ce n’est pas tout! On cultive aussi le local et le social, on s’échange graines et plantons, on veille à limiter les déplacements, à économiser l’eau et les matériaux, à recycler et bien sûr à se passer de pétrole. Bref, on pense à respecter la terre et la nature dans ses moindres faits et gestes. Beau programme en perspective, mais avant de pouvoir contempler le résultat, il y aura du boulot! Question mulch, recyclage et accueil de la petite faune sauvage, notre jardin est déjà bien au point. Peut mieux faire en revanche en ce qui concerne l’utilisation de l’espace, les cheminements et la symbiose entre cultures et nature. Mais par où commencer? Par ce fameux «design» qu’on pourrait traduire par «conception». En clair, on réinvente d’abord le jardin sur papier pour que tous les échanges mentionnés plus haut fonctionnent le mieux possible. Par chance, j’avais déjà réalisé un plan sommaire de nos 4000 m2 où figurent les arbres, le poulailler, l’étang, les haies, les ruches et les deux potagers. Il servira d’état des lieux sur lequel greffer de nouveaux éléments en tenant mieux compte des pentes, des microclimats, des interactions et des efforts à fournir.

Papier, crayons et réflexion
Parce que ma visite au Bec-Hellouin m’a remplie d’un enthousiasme communicatif, que le jardin est une affaire de famille et que je suis plutôt nulle en dessin, Christian et nos fils Gaël et Antoine participent volontiers à l’exercice. Vu la taille du jardin, on décide de parer au plus urgent: les deux potagers et les accès aux deux nouvelles serres, dont l’une est encore en construction. Pour la forme, tout le monde est d’accord: fini les lignes droites et les angles incisifs, place aux rondeurs et aux courbes harmonieuses. Le potager du haut hérite, côté ombre, de deux buttes en forme de haricots inversés et, côté soleil, de cinq autres dessinant un arc-en-ciel. Sous les pinceaux de Gaël, celui du bas se transforme en un jardin mandala qui relocalise nos asperges et accueille des crapauds mangeurs de limaces. Pour le reste, on verra bien sur place, car pas le temps d’ergoter: le printemps approche et j’ai déjà des plantons qui attendent dans la serre.

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): © éric bernier/aino adriaens