Interview
Kilian Baumann: «L’attitude actuelle du politique affaiblit l’image du monde paysan»

Kilian Baumann préside l’Association des petits paysans et défend sa branche au Conseil national. Moins de viande et davantage de petites fermes: voilà son credo. Et sa voix compte de plus en plus dans les débats.

Kilian Baumann: «L’attitude actuelle du politique affaiblit l’image du monde paysan»

Six mois après les votations sur les phytos, l’agriculture se retrouve à nouveau au cœur du débat politique avec une initiative réclamant la fin de l’élevage intensif en Suisse. Celle-ci est actuellement débattue au Parlement et l’Association des petits paysans, par votre voix, se distingue de la majorité agricole par des positions nettement plus marquées en faveur du bien-être animal. Pour vous, la politique actuelle fait-elle fausse route?

➤ Elle est en tout cas bien trop peu ambitieuse en la matière! En rejetant l’initiative et le contre-projet du Conseil fédéral destinés à améliorer le bien-être des animaux au cours des vingt-cinq prochaines années, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national ignore totalement le large soutien dont bénéficie ce thème auprès de la population. Au sein de l’Association des petits paysans (APP), nous dénonçons un immobilisme politique sur cette question. Cet attentisme saborde un argument de vente pourtant central des produits agricoles helvétiques et nuit à la confiance qu’accordent les consommateurs à l’agriculture. En fin de compte, l’attitude actuelle du politique creuse encore le fossé existant et affaiblit l’image du monde paysan.

Quelle est pour vous la voie à suivre? 

➤ Avec notre contre-projet indirect, nous proposons un nouveau compromis qui vise à renforcer le bien-être des animaux en tenant compte d’une production adaptée au site. Nous voulons ainsi contrer la position intransigeante de l’Union suisse des paysans en la matière, et faire bouger la politique agricole vers plus d’écologie et de durabilité. En outre, la défense du bien-être animal est dans les gènes de l’APP: la première initiative de notre histoire date de 1986 et s’intitulait «Pour une protection des exploitations paysannes et contre les fabriques d’animaux». Elle avait recueilli à l’époque 49 % de oui!

Les valeurs que vous défendez sont finalement assez proches de celles de Bio Suisse. Y a-t-il concurrence entre vos deux organisations pour conquérir de nouveaux membres?

➤ Non, absolument pas. Bio Suisse offre un accès au marché à ses producteurs, tandis que nous nous efforçons de faire évoluer la politique agricole vers davantage d’écologie. Si nous avons effectivement gagné des membres ces derniers mois, c’est grâce à notre engagement lors de la campagne autour des initiatives «phytos» et à notre notoriété croissante. Nous ne capitalisons pas sur d’éventuels transfuges de Bio Suisse, que nous considérons comme nos précieux alliés.

En tant qu’élu Vert, vous avez déposé une motion afin d’encourager la production de succédanés de viande. N’est-ce pas en contradiction avec votre rôle de défenseur des paysans, sachant que l’agriculture suisse dépend aujourd’hui très largement de la production de protéines animales?

➤ La lutte contre le réchauffement climatique est au cœur des préoccupations de notre association et préconise clairement une diminution de la consommation de viande. Le Conseil fédéral devrait bien plus s’engager, en soutenant mieux les filières de production végétale, et en sensibilisant davantage le grand public à manger moins de protéines animales. Il y a urgence, on ne peut pas se permettre d’attendre que les consommateurs changent leurs habitudes alimentaires par eux-mêmes! La production de viande demeure souhaitable en Suisse, à condition qu’elle soit faite de manière responsable, qualitative et adaptée à la région. Quant aux cultures de protéines végétales, offrant une alimentation équilibrée, elles doivent à tout prix être encouragées!

Vous proposez par ailleurs de rendre les paiements directs dégressifs à partir de 75000 francs, et que leur redistribution se fasse à l’avantage des petits domaines et au détriment des grands. La diversité des modèles n’est-elle pourtant pas une richesse du paysage agricole helvétique?

➤ Depuis 1985, le nombre d’exploitations a presque diminué de moitié. Ce sont surtout les petites et moyennes qui sont touchées par ce recul. Si la tendance se poursuit, d’ici à trente ans, il n’y aura plus que quelques grandes exploitations qui toucheront toujours plus d’argent. En tant que politicien, il est de mon devoir d’examiner cette évolution d’un œil critique et de proposer des adaptations. Rendre dégressives les aides publiques, comme s’apprête d’ailleurs à le faire l’Union européenne, permettrait de freiner la diminution du nombre de fermes en Suisse et d’empêcher l’industrialisation de l’agriculture.

Il y a cinq ans, votre association a mis sur pied une plateforme de transmission extrafamiliale des fermes. À vos yeux, le futur de l’agriculture passe-t-il par des petits domaines exploités par des personnes non issues du monde agricole?

➤ Je souhaite en tout cas que l’accès à la terre soit facilité pour ces personnes-là. L’agriculture a besoin de forces vives, avec des idées et des visions nouvelles, pour faire tourner des petits domaines destinés à disparaître. En outre, les exploitations de taille moyenne, qui pratiquent souvent la vente directe, sont plus accessibles au grand public que les grandes fermes. Les soutenir, c’est maintenir, voire renforcer le lien entre consommateurs et producteurs. Or ce contact est salvateur, pour toute l’agriculture helvétique.

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Combattante et progressiste

Depuis 41 ans, l’Association des petits paysans milite «pour une agriculture diversifiée, écologique et sociale». Fondée par René Hochuli et 200 agriculteurs, elle compte aujourd’hui 5000 membres, dont deux tiers de paysans. De nombreux combats jalonnent son histoire. Elle s’est souvent alliée aux associations environnementalistes, et à la grève du climat. «Si la politique agricole suisse considère que l’orientation écologique et durable de l’agriculture est la voie à suivre, c’est en partie grâce à notre organisation», s’enorgueillit son président.