Reportage
Il a bâti sa maison avec les sapins de la forêt d’à côté

Une fois par mois, nous vous faisons découvrir des logements exemplaires sur le plan énergétique. À Attalens (FR), un artisan a construit une fuste avec des rondins prélevés dans les bois alentour.

Il a bâti sa maison avec les sapins de la forêt d’à côté

C’est une habitation de caractère, qui marque les esprits. Avec ses formes tout en rondeurs, la fuste – ou maison en rondins – de la famille Alibert ne laisse personne indifférent. «J’aime dire que l’on fait de belles choses avec du vilain bois, confie Philippe Alibert en souriant. Les nœuds ou les déformations des troncs peuvent devenir de belles décorations sur les murs de la bâtisse.» L’un de ces nœuds orne son salon, qui donne sur la cuisine baignée de soleil, grâce au puits de lumière découpant l’avant-toit.

Depuis 1997, le bûcheron construit des fustes en Suisse romande. Il a acquis ce savoir-faire, consistant à empiler des grumes s’encastrant parfaitement, en Corrèze. Afin de favoriser le bilan carbone et une bonne intégration au paysage, Philippe Alibert s’adapte aux essences présentes autour de l’emplacement de ses constructions. «Pour mon logement, j’ai choisi des sapins d’une forêt située à deux kilomètres de chez moi. On a utilisé du chêne à Genève ou encore du châtaignier en Valais, explique l’artisan. On prélève le bois sur place, puis on le travaille dans notre entreprise, avant de le remonter sur le site.»

À l’abri de l’eau
Les plus belles pièces sont réservées à la charpente. La maison est ensuite bâtie tronc par tronc, écorcé mais non peint, sur une dalle en béton, afin d’éviter que le bois entre en contact avec la terre ou l’eau, au risque de se détériorer. «On érige également un grand avant-toit pour protéger les murs, poursuit Philippe Alibert. L’orientation est très importante, ici plein sud, le but étant de préserver l’édifice des intempéries.» Il faut en moyenne 60 arbres pour construire une habitation familiale de 100 m3. La terre excavée a quant à elle été répartie sur le toit, entièrement végétalisé. «Son épaisseur est de 20 centimètres, ce qui fait que la toiture est lourde, pesant plusieurs tonnes lorsqu’il pleut. Elle stabilise ainsi l’ouvrage», détaille Philippe Alibert, qui fauche une fois par an l’herbe qui y pousse.

 

Jeux de fenêtres
Le poids du toit permet aux rondins de s’imbriquer parfaitement. Il joue aussi son rôle d’isolant, en colmatant les interstices des murs extérieurs composés uniquement de grumes, sans matériau isolant. Le bois est façonné encore vert, pour éviter qu’il ne se fende. «Ces constructions sont parfois décriées du point de vue thermique. Comme elles sont hors normes, les calculs doivent être un peu différents. Elles chauffent rapidement et la chaleur se diffuse longtemps à travers les murs, mais leur isolation se fait surtout par la toiture et les fenêtres. Elles offrent un confort inégalable», estime-t-il. Les ouvertures, justement, représentent une des plus importantes contraintes de ces bâtisses. Le bois étant vivant, il bouge et se tasse continuellement. Une fuste peut perdre environ 5% de sa hauteur, soit près de 25 centimètres pour une maison de 5 mètres de haut. «Il y a parfois des craquements, mes filles parlaient du fantôme de l’escalier, se souvient Philippe Alibert. On assure un suivi les trois premières années, car le tassement peut être important. Il faut par exemple ajuster la hauteur des colonnes soutenant le porche régulièrement.»

Les portes et fenêtres doivent pouvoir coulisser dans les murs, pour résister à cette forte pression. «C’est pour cette raison que j’ai décidé de ne pas choisir les rondins pour créer le deuxième étage, car je voulais réaliser de plus grandes ouvertures.» Ce bûcheron utilise aussi du bois pour chauffer son logement, avec un poêle, mais surtout grâce au réseau de chauffage communal à distance, fonctionnant aux plaquettes à bois.

+ d’infos www.chant-du-bois.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Mathieu Rod

En chiffres

  • De 30 à 50 cm, soit le diamètre des troncs âgés de 80 ans environ.
  • 120m3 de bois ont été nécessaires pour réaliser cette maison de 5,5 pièces.
  • Les murs mesurent au maximum 10 m sur 10, selon la taille des grumes.
  • 20cm de terre recouvrent le toit végétalisé.
  • Une fuste se tasse d’environ 5cm par mètre.
  • 14000 kW sont utilisés par an pour chauffer la maison et l’atelier.

Son concepteur

Français d’origine, Philippe Alibert s’est installé à Attalens en 1994, où il a créé son entreprise Alibert Sàrl. À 56 ans, il s’est spécialisé dans la création de fustes et emploie un ouvrier. Après s’être formé en Corrèze (F), il en bâtit dans toute la Suisse romande depuis plus de vingt ans. Il fabrique également des meubles sur mesure et s’est mis à la sculpture de troncs. Il a été nommé cette année président de Forêt Fribourg.