Reportage
En ville, les arbres deviennent des remparts au changement climatique

Faut-il maintenir de vieux arbres en milieu urbain ou au contraire les abattre? Les villes choisissent de plus en plus souvent de préserver leurs spécimens remarquables, qui leur permettent de lutter contre les îlots de chaleur.

En ville, les arbres deviennent des remparts au changement climatique

Un trépied lui fait de l’ombre et pourtant, on ne voit que lui. À l’entrée du parc d’Entremonts, le plus ancien espace vert public d’Yverdon-les-Bains (VD), un majestueux cèdre de l’Atlas s’appuie sur cette immense béquille fabriquée sur mesure depuis le mois d’août. Planté vers 1850 dans ce jardin par un noble anglais, le vénérable arbre, étêté à la suite d’une tempête dans les années 1980, montrait des signes de faiblesse.

Plutôt que de se résoudre à l’abattre, les experts ont passé trois ans à chercher un moyen de prolonger sa vie sans pour autant mettre en péril les promeneurs venant l’admirer. Au total, la Ville et le Canton ont investi 70’000 francs pour sauvegarder ce monument du patrimoine arboricole.

Des climatiseurs naturels
Son cas n’est pas unique, les autorités se rendant compte de la valeur de ces végétaux d’exception, aussi bien du point de vue de la biodiversité que du bien-être de la population. «Les arbres remarquables comme celui-ci, qui est classé d’importance cantonale, méritent qu’on veille sur eux, estime Lionel Guichard, responsable des espaces verts de la Cité thermale. De tels travaux de sécurisation représentent un investissement sur le long terme, car les arbres de grande dimension sont des climatiseurs naturels grâce à leur évapotranspiration. Ils permettent de lutter contre les îlots de chaleur. Dans ce parc, en plein été, il fait jusqu’à 8 degrés de moins que dans des espaces bétonnés voisins.» Grâce à ce système de trépied et de haubans soutenant des branches pesant plusieurs tonnes chacune, ce cèdre prisé des pics a vu son espérance de vie prolongée d’au moins quinze ans. À son pied, le gazon a été ôté, laissant la place à un moelleux paillage en roseaux de la Grande Cariçaie, beaucoup plus perméable. De quoi ravir son système racinaire.

Un contrôle annuel
Quelques mètres plus loin, un gigantesque sapin de Céphalonie s’apprête lui aussi à être soigné. Ses branches mortes seront ôtées prochainement. Les enfants qui y grimpent ne se rendent pas compte qu’il est exceptionnel en tout point: «Il a poussé en cépée (ndlr: avec plusieurs troncs) ce qui le rend très spécial, commente Lionel Guichard. Son envergure est impressionnante. Aucun autre spécimen de ce genre n’existe en Suisse, ce qui lui vaut un statut d’importance nationale. Cette essence résiste par ailleurs très bien au changement climatique, ce qui doit être dû à ses origines de Grèce ou de Macédoine.»

La municipale Brenda Tuosto et Lionel Guichard responsable des espaces verts.

S’il présente quelques entrées de pourriture, le sapin se porte encore comme un charme. La Ville y veille: ses services vérifient l’état sanitaire de chacun des 5357 arbres que compte le domaine communal au moins une fois par an, et effectuent des coupes au besoin. «Aujourd’hui, les autorités montrent une véritable sensibilité aux végétaux, notamment ceux qui sont anciens, souligne Brenda Tuosto, municipale au Service des travaux et de l’environnement, et de la mobilité. Leur valeur dépasse le simple côté biologique. Leur rôle est multiple, aussi bien du point de vue de leur résilience que du fait qu’ils améliorent la qualité de l’air en ville. Nous avons une responsabilité face à ces plantes remarquables, qui font partie de notre patrimoine.» Chaque coupe est compensée par la plantation de deux arbres sur le territoire communal. La Ville prévoit également la création de microforêts pour accroître son indice canopée (lire l’encadré).

Soins préventifs et palliatifs
Le long des allées et dans les parcs, les essences indigènes ne sont d’ailleurs plus plantées d’office. Les bouleaux, hêtres, tilleuls ou épicéas souffrent de plus en plus, certains ne parvenant plus à supporter les canicules à répétition. «Dans le parc d’Entremonts, il y a une variété impressionnante de spécimens âgés d’environ 170 ans, se réjouit le chef de Service. Cette diversité les protège des ravageurs, comme la mineuse du marronnier, par exemple. On voit également que des cèdres ou sapins venus d’Espagne ou de Macédoine réagissent mieux au réchauffement climatique. Il est trop rapide pour que les essences indigènes aient le temps de s’adapter.»

Au parc de Bullet, un sublime érable champêtre prouve toutefois que des arbres bien enracinés parviennent parfois à s’acclimater. D’importance nationale, il a cependant dû être soutenu par des haubans pour garder sa forme. «Depuis qu’on est proactifs, notamment au niveau de la taille, il y a beaucoup moins de casse dans nos arbres, se réjouit Lionel Guichard. On se doit de les préserver.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Thierry Porchet

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Pour Jerylee Wilkes-Allemann, directrice d’ArboCityNet, réseau suisse interdisciplinaire pour les villes et les agglomérations, il faut renforcer le statut de protection des arbres, en particulier ceux qui sont considérés comme remarquables: «Ils devraient être les éléments de base de l’urbanisme, être au centre de la planification urbaine, estime-t-elle. Nous devons planifier à plus long terme. En ville, si un grand arbre tombe, il n’y a pas de relève. Or pour qu’il puisse fournir de nombreux services écosystémiques, il doit avoir une certaine taille et être connecté avec d’autres bosquets, afin de favoriser la biodiversité.»

+ d’infos arbocitynet.ch

Des microforêts dans les cités

En plus du soin particulier apporté aux arbres isolés, des villes veulent créer des microforêts sur leur territoire. C’est le cas à Genève, qui en prévoit trois en s’inspirant du concept du botaniste japonais Akira Miyawaki. Yverdon-les-Bains vient d’annoncer la transformation de l’ancien skate park, aujourd’hui à l’abandon, en ce sens. Six cents arbres et arbustes seront plantés non loin du conservatoire, une fois que l’enrobé sera enlevé sur une surface de 500m2. Un nouvel écosystème favorable à la biodiversité remplacera les rampes, pour se transformer dans quelques années en un îlot de fraîcheur à disposition de la population. Au total, huit emplacements propices à une arborisation ont été repérés dans la ville, ce qui devrait lui permettre de doubler son indice canopée, soit la superficie ombragée grâce aux arbres. De 17% actuellement, ce taux pourrait grimper à 30% du territoire communal d’ici 2050. Les travaux de ce projet pilote devraient débuter à la fin de l’année.