Décryptage
Dans les champs, agriculture bio et biodiversité font bon ménage

Les exploitations biologiques font mieux que les conventionnelles en matière d’application des mesures de promotion de la biodiversité (SPB). C’est ce qui ressort d’une étude menée ce printemps par le FiBL.

Dans les champs, agriculture bio et biodiversité font bon ménage

En théorie, les fermes labellisées bio sont censées être plus actives dans la promotion de la biodiversité que les exploitations conventionnelles: aux mesures fédérales donnant droit à des contributions directes s’ajoute en effet le catalogue de celles qui sont propres à Bio Suisse. Mais la réalité du terrain confirme-t-elle ce postulat? Pour en avoir le cœur net, l’association a mandaté deux chercheuses du FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique, pour mener l’enquête. «Les nouvelles directives de Bio Suisse en matière de biodiversité ont été introduites en 2015, explique Véronique Chevillat, coauteure de l’étude avec Sibylle Stöckli. Cinq ans après, on disposait d’un recul suffisant pour en évaluer l’impact.» La check-list à laquelle sont astreints les domaines Bio Bourgeon a servi de base à cette mise en perspective; les données du système fédéral d’information sur la politique agricole SIPA ont, elles, déterminé l’évolution de la situation dans l’agriculture conventionnelle.

Les chercheuses du FiBL ont synthétisé leur analyse autour d’une liste de huit questions portant en premier lieu sur la part et l’évolution des surfaces de promotion de la biodiversité (SPB) de qualité I, II et «réseau» (soit celles faisant partie d’un projet de mise en réseau établi pour huit ans et appuyé par les instances cantonales). Avec un premier résultat sans ambiguïté: comparées aux exploitations conventionnelles, les fermes Bourgeon comportent en moyenne deux fois plus de SPB; pour les SPB QII, la proportion est même de 13,7% contre 5,9%. «Les bios ont peut-être une vision plus holistique qui les porte à mieux apprécier les services rendus par les SPB, mais on ne s’attendait pas à un tel écart, relève Véronique Chevillat. Surtout au niveau qualitatif.»

Le potentiel des grandes cultures
Les SPB QII sont en légère hausse depuis cinq ans, mais pas suffisamment, ajoute la spécialiste. Et ni les exploitations bios ni les conventionnelles n’atteignent les objectifs environnementaux pour l’agriculture (OEA) définis par la Confédération et fixant pour 2024 un seuil de 16% de SPB correspondant à certaines exigences spécifiques (15,1% pour les bios, 7,1% pour les autres).

Le potentiel le plus important se situe dans les grandes cultures en zones de plaine ou de collines, très intensives et optimisées pour la mécanisation – où l’on a éliminé de nombreux obstacles à la production, haies ou ruisseaux. «Les remettre en place est difficile et la problématique est similaire pour le maraîchage, dit Véronique Chevillat. Pareil pour l’arboriculture, où il paraît plus simple de penser des structures compensatoires à l’extérieur des surfaces de production.» La viticulture, a contrario, présente un bilan meilleur dans l’ensemble, avec 63,1% des vignobles bios inscrits comme SPB QII. «La parcellisation propre à cette culture favorise naturellement les buissons, murs et haies propices à la biodiversité, à part dans les zones planes où l’on a facilité la mécanisation», observe la chercheuse.

Les résultats de l’analyse de la mise en place des SPB se reflètent dans celle des dispositions contenues dans le catalogue de Bio Suisse. Pour rappel, les nouvelles mesures introduites en 2015 se composent d’une partie obligatoire et d’une série de 62 initiatives facultatives, dont 12 au minimum doivent être mises en œuvre. «Avec une moyenne de 23,5 mesures, les exploitations bios dépassent largement ce quota! Mais la marge d’amélioration reste considérable.»

Formation à adapter
Véronique Chevillat pointe d’abord le fait qu’une très grande majorité des exploitations Bio Bourgeon ont un pourcentage de surfaces de promotion de la biodiversité élevé dans la surface agricole utile, ainsi qu’un bon taux de SPB QII, remplissant ainsi «facilement» le seuil de 12 mesures – ce qui n’encourage pas un engagement plus affirmé. Les SPB de haute valeur, d’ailleurs, devraient être davantage prises en compte dans ce catalogue, souligne-t-elle. Surtout, certaines mesures sont doublement récompensées. «C’est le cas des haies de qualité II, des SPB des champs ou des anciennes variétés fruitières, mais aussi des intervalles de temps à respecter pour faucher ou écraser des surfaces viticoles enherbées.»
L’étude recommande donc d’adapter le catalogue de Bio Suisse en rendant la définition de certaines mesures plus stricte, en supprimant celles qui sont redondantes, en donnant moins de poids à celles qui sont faciles à atteindre, et en introduisant de nouvelles dispositions lorsqu’elles ont montré leur efficacité dans la pratique.

Évidemment, l’amélioration souhaitable des SPB ne passe pas que par la mise à jour de ces exigences, d’autant que le sujet concerne tout autant, voire davantage, les exploitations conventionnelles. «Un tiers des prairies extensives au moins  pourraient rehausser leurs qualités écologiques! Il y a encore beaucoup de méconnaissance de la flore et de la faune parmi les agriculteurs, et la formation de base évoque insuffisamment la biodiversité, regrette Véronique Chevillat. Il faut impérativement développer l’accès à ces compétences. Le FiBL mettra d’ailleurs sur pied dès 2023 un cursus de conseiller en biodiversité en Romandie et en Suisse alémanique. Ce sont des modules de dix jours axés sur les compétences agronomiques et écologiques.»

Une évolution positive
Quant aux paiements directs, s’ils fonctionnent bien, ils ont leurs limites, estime-t-elle. «Aujourd’hui, les projets les plus
innovants en matière de promotion de la biodiversité préfèrent à ce système celui d’une liste d’objectifs dont le mode de réalisation est laissé à la liberté de l’agriculteur. Plutôt que de se borner à respecter un calendrier de dates de fauche, celui-ci est incité à observer, réfléchir et décider.» L’évolution de ces dernières années n’en est pas moins positive. «Les instances cantonales et l’Office fédéral de l’agriculture ont une volonté commune de trouver des solutions, et c’est tant mieux. Il faut avancer sur le terrain, sans attendre des changements gravés dans la politique agricole. Car celle-ci est bloquée sur ce point comme sur les autres.»

+ d’infos Véronique Chevillat et Sibylle Stöckli, Évolution et développement des mesures de promotion de la biodiversité dans les exploitations biologiques, FiBL-Bio Suisse, mars 2022.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Un engagement convaincu et exigeant

À Champvent (VD), Manon Chapuis dirige depuis 2021 un domaine de 37 hectares de grandes cultures et 2,6 hectares de vignes, en bio depuis 2015. «Favoriser la biodiversité était un objectif essentiel de la démarche», souligne la jeune femme. Depuis lors, les exploitants ont multiplié les mesures: hôtels à insectes, ruches, tas de bois et de cailloux, fauche réduite sur certains talus ou encore conservation de deux grandes jachères. «C’est un investissement, car une fois en place, toutes ces structures doivent être entretenues et sont contrôlées annuellement», note la Vaudoise. Sur la proposition de Véronique Chevillat, le domaine a en outre entrepris de faire passer sa vigne en qualité 2. «Nous nous sommes heurtés à 30 ares présentant un excès de chiendent, mais le changement n’en est pas moins positif.» Sur les grandes cultures, une évolution vers l’agriculture de conservation leur a fourni l’opportunité de semer méteil et engrais verts, à la floraison réjouissante. Et les jachères ont fait revenir le tarier pâtre et la fauvette grisette, deux espèces rares. «Un résultat concret qui nous a encouragés!» Ces mesures suscitent parfois l’incompréhension et la critique de collègues conventionnels: «Les champs sont «sales» dès qu’un rumex s’y pointe, les jachères sont des oreillers de paresse pour percevoir des paiements directs… On entend de tout. Mais on a été admis au réseau (lire l’article ci-dessus) et ça nous incite à persévérer.»