Le parc naturel régional du Gantrisch se situe dans le triangle formé entre les villes de Berne, Fribourg et Thoune. Quelque vingt-deux communes sont réparties sur les 400 kilomètres carrés de ce territoire composé essentiellement de forêts, pâturages et diverses cultures. Le paysage est très vallonné, oscillant entre collines et gorges à une altitude de 800 à 1500 mètres (pour la partie sud préalpine). Un relief propice aux balades à vélo électrique! C’est d’ailleurs le moyen de locomotion auquel ont pensé les instigateurs de la Route des légendes (Sagenroute) du Gantrisch lorsqu’ils ont balisé, l’année dernière, ce tour de 64 kilomètres situé dans la portion nord du parc naturel.

Trois villages font office de points de départ de ce circuit. Pour nous, ce sera Schwarzenburg (BE), où chez Bikewander nous attendent nos bicyclettes électriques de location. Une fois en selle et au clair avec le maniement de nos deux-roues, direction le centre de la localité à la recherche du panneau d’introduction du parcours et de la carte qui guidera les coups de pédale durant les deux jours de ce road trip au vert. Deux journées, c’est bien compté pour sillonner le parc naturel en admirant le paysage, tout en découvrant les récits qui habitent ces contrées et en appréciant les produits du terroir.

La Route des légendes emprunte essentiellement les voies destinées aux vélos. Peu de trafic encombre donc les tracés qui évitent les axes directs entre les communes. La carte du tour entre les mains, le cycliste peut démarrer en toute sécurité: le plan indique non seulement les numéros des routes à emprunter, mais aussi les lieux où l’on peut recharger sa bicyclette si la batterie venait à faiblir. Mais cette carte désigne surtout les points d’intérêt à ne pas manquer pour connaître toutes les histoires de ce coin de pays. Six d’entre elles sont narrées tout au long de ce circuit. La première se nomme L’Homme de feu et se trouve à Hinterfultigen. Pour y arriver, on pédale à travers champs avant de descendre jusqu’à la rivière Schwarzwasser que l’on enjambe par un haut pont. En dessous, un fin filet d’eau fait la joie de quelques promeneurs venus profiter du calme et de la nature. Une fois le cours d’eau franchi, on savoure à sa juste valeur le moteur sous les fesses qui nous aide à gravir la côte bien raide sous le regard intrigué de quelques moutons blancs et bavards.

Les six légendes sont écrites en français et en allemand sur de grandes stèles en bois, décorées d’une sculpture métallique à l’effigie du récit présenté. Impossible à louper. Un panneau coulissant se cache dans la stèle, sur lequel on peut lire un complément qui est également disponible en version audio sur son téléphone portable en scannant un code QR. Alors, cet homme de feu? Il s’agit d’un sous-bailli, ayant vécu il y a plusieurs siècles, et qui a été maudit pour sa cupidité.

L’étape suivante nous mène jusqu’au couvent de Rüeggisberg, ou du moins ses ruines, par une route très largement exposée à la bise mordante de ce début de printemps. Ici, c’est une histoire de moine sans tête que l’on découvre. Puni pour avoir mené une vie de débauche, un religieux a été condamné à errer sur les chemins de la région, après sa mort, sans trouver le repos… Faisant frémir dans les chaumières, cette légende aurait largement servi à faire peur aux jeunes filles et les inciter à rentrer tôt chez elles…

L’heure de la pause de midi est venue, et nous la passons sur la terrasse ensoleillée et abritée du restaurant panorama Viva, à Rüeggisberg. Par temps très clair, on admire une vue qui s’étend du Moléson à l’ouest au Pilatus à l’est. Requinqués par une excellente soupe du Gantrisch, une salade du jardin et un black angus du coin à se lécher les doigts, on est prêts à repartir. La route qui nous emmène à Riggisberg offre une très belle vue sur la plaine de l’Aar et le lac de Thoune plus loin. Au gré des diverses fromageries de montagne et des petits magasins à la ferme que nous croisons, on regrette de ne pas avoir emporté un sac plus grand pour y glisser quelques produits du terroir.

À Riggisberg, on découvre la légende du seigneur de Rabbental, mais surtout sa charmante demeure – un château – dont une partie a récemment été aménagée en Bed and Breakfast. Ce sera notre escale pour la nuit. Surplombant le village, l’édifice possède un joli jardin agrémenté d’un étang, où nagent quelques truites, et d’un petit bosquet ombragé. À l’heure de l’apéro, on déguste un cidre régional et une planchette bien garnie de fromages de montagne, de jambon cru et de saucisses
séchées locales. Petit conseil avant de sombrer dans le sommeil du juste, ne pas oublier de mettre à charger la batterie du vélo: la seconde journée du tour comporte davantage de montées que la première. L’assistance sera donc nécessaire!

Le lendemain, après un petit-déjeuner princier, on repart à l’aventure en descendant à travers champs pour rejoindre Burgistein. De là, on longe une rivière jusqu’à Wattenwil sur un chemin caillouteux assez fréquenté et dont il convient de se méfier si on l’emprunte à trop grande vitesse. Un nid-de-poule pourrait facilement nous désarçonner.

Une fois arrivés dans la localité, la légende À bon chat, bonne souris esquisse une explication sur la forme particulière de la crête de Walalp que l’on admire depuis Wattenwil, direction sud. Puis la route se poursuit vers l’ouest, avec le vent dans le dos. On s’engouffre dans une vallée habitée de quelques fermes éparses, au fil d’un ruisseau traversé par de jolis ponts en bois. On a l’impression de voyager hors du temps, et d’être seuls au monde, si l’on excepte les vaches, les poules ou encore les nombreux moutons qui paissent dans les prés. Le prochain point d’intérêt (la légende du colporteur) est situé sur une butte offrant un panorama jusqu’à la chaîne du Jura. En redescendant, le magasin à la ferme Mühlihof invite à un arrêt prolongé. On y trouve d’excellentes glaces maison à déguster sur la terrasse ensoleillée. On continue dans la forêt et sur un chemin de terre pour rejoindre Riffenmatt et la dernière histoire. On y apprend la manière dont deux nains malins ont su garder leur secret: le lieu du puits de sel du Sortel et l’utilité du petit grain dans l’avoine. Après un périple de 64 kilomètres, on est de retour à Schwarzenburg. Et la boucle est bouclée.