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À Savigny, agriculture et handicap mental cohabitent en harmonie

Depuis soixante ans, les bénéficiaires de l’institution La Branche cultivent un domaine en biodynamie. En Suisse, les activités en lien avec l’agriculture et le jardin sont prisées dans les structures d’accueil.

À Savigny, agriculture et handicap mental cohabitent en harmonie

Au beau milieu d’un champ, une vingtaine de personnes accompagnées d’une animatrice chantent et dansent pour se réchauffer, avant de se munir de pelles et de brouettes. Programme du jour: planter des pommiers et des bouleaux entre les parcelles de céréales, dans le cadre d’un projet d’agroforesterie destiné à protéger les cultures et augmenter la biodiversité. Nous ne sommes pas sur une exploitation comme les autres, mais à l’association La Branche, à Savigny (VD), qui accueille depuis soixante ans des personnes présentant une déficience intellectuelle.

Fondée sur les principes de l’anthroposophie (voir encadré ci-dessous), l’institution a été imaginée comme un véritable village avec des habitations, une école, une salle de spectacle, un restaurant, une épicerie, des ateliers artisanaux, mais surtout un domaine agricole de 34 hectares cultivés en biodynamie. «La majorité de ce qui est produit à la ferme est consommée sur place. L’idée est de tendre au maximum vers l’autosuffisance, même si c’est loin d’être le cas. Cultiver et transformer sa propre nourriture, c’est très valorisant. D’ailleurs, les activités liées au monde agricole sont particulièrement prisées», expose l’agriculteur Jérémy Waber, responsable de l’atelier ferme, en nous présentant sa petite équipe.

En quête de sens

Comme chaque matin, les bénéficiaires se sont retrouvés à 8 h autour de la grande table de la cuisine pour se répartir les tâches, accompagnés d’ouvriers agricoles, civilistes, stagiaires, apprentis et bénévoles. Si la plantation du verger est à l’ordre du jour, d’autres activités en lien avec la production animale et céréalière, l’atelier équestre et la fromagerie sont proposés. «Les emplois du temps varient au quotidien selon les compétences et la motivation de chacun. Le principe d’autodétermination est essentiel, même si cela nécessite une grande logistique. Suivant leur handicap, les résidents seront plus ou moins autonomes», explique le paysan en leur distribuant des gants de jardinage. «Je suis hypercontent de travailler aujourd’hui, même si je n’ai jamais planté d’arbre», lance gaiement Zakaria, 25 ans, en commençant à épandre du compost sur la parcelle. «Moi, je n’aime pas trop ça, je préfère être avec les animaux. Je vais plutôt faire du dessin au coin du feu», dit Lucien, 22 ans, arrivé il y a quelques mois au sein de l’institution.

Plus loin, François, responsable des ovins et des caprins depuis plusieurs dizaines d’années, s’occupe de charger cinq moutons dans la bétaillère, tandis que Julien se rend en cuisine à l’aide d’un chariot électrique pour récupérer les épluchures et nourrir les poules. «Le poulailler plaît beaucoup aux résidents. Surtout aux personnes atteintes d’autisme, qui apprécient les activités routinières comme ramasser et dater les œufs», remarque Jérémy Waber. Chaque jour, il constate les bienfaits de l’agriculture sur les bénéficiaires. «Le fait de travailler en extérieur leur permet de se dépenser, de mieux gérer leurs émotions et leur manière de communiquer. Et surtout, ils peuvent s’identifier à un milieu professionnel concret, qui a du sens.»

La nature pour s’épanouir

Si le domaine agricole de La Branche est particulièrement étendu et diversifié, d’autres structures d’accueil pour personnes en situation de handicap fonctionnent sur un modèle similaire en Suisse romande. À l’image de la Fondation Perceval, à Saint-Prex (VD). En plus des ateliers de menuiserie, poterie, tissage et cuisine, cette institution créée en 1967 se compose d’une exploitation d’une dizaine d’hectares en biodynamie, dont s’occupent quotidiennement sept résidents sous la responsabilité d’un maître socioprofessionnel. «On observe un intérêt croissant pour les activités en lien avec la nature et les animaux. Il y a même une liste d’attente», relate Oscar Stoll, responsable de ce secteur. Même son de cloche du côté de la Fondation Aigues-Vertes, à Bernex (GE). Dans ce village fondé en 1961 en bordure du Rhône, quelques dizaines de personnes produisent céréales, légumes et viandes pour leur consommation sur place et pour la vente, notamment à des restaurants d’entreprise.

Au-delà de l’agriculture, les activités en lien avec la nature et le jardin sont courantes dans ces établissements. Par exemple, la Fondation Saint-George, basée à Yverdon-les-Bains et à Concise (VD), a mis en place le concept du «green care». «Il s’agit d’une invitation à prendre soin des animaux et des végétaux, pour prendre soin de soi. On retrouve un grand potager, des ânes, des brebis et des moutons, mais il n’y a pas de production agricole à proprement parler. Nous nous concentrons essentiellement sur le bien-être que ce cadre de vie peut procurer, affirme Sandra Cour, responsable de ce pôle au sein de l’institution. L’important, comme pour chacun d’entre nous, c’est que les résidents s’épanouissent et trouvent du plaisir à se lever le matin.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Mathieu Rod

Une philosophie inspirée de Steiner

En Suisse, plusieurs structures d’accueil pour personnes en situation de handicap ont été créées par des groupes de parents selon les principes de l’anthroposophie, au milieu du XXe siècle. Introduit par l’Autrichien Rudolf Steiner, ce courant philosophique se caractérise par le développement de la responsabilité individuelle et par une approche globale des êtres et du monde, illustrés entre autres par l’agriculture biodynamique et une volonté d’autosuffisance. «Toutefois, ces institutions à la dimension communautaire parfois marquée à leurs débuts ont fait évoluer ce modèle ces vingt dernières années, tout en gardant leur proximité originelle avec la nature et l’agriculture», explique Catherine Staub, secrétaire générale de l’Association vaudoise des organisations privées pour personnes en difficulté (AVOP). Aujourd’hui, on constate une volonté d’ouverture de ces établissements, à l’image de La Branche. «Depuis quatre ans, nous mettons sur pied des chantiers collectifs en invitant des personnes extérieures, comme des entreprises, lors de la plantation de haies ou la création de corridors biologiques. Ces rencontres sont très appréciées», relate Cécile Ehrensperger, directrice adjointe de l’association. Des places de stages ou de travail à l’extérieur, ainsi que des formations professionnelles sont aussi dispensées.

EN CHIFFRES

La Branche, c’est:

  • 1961: date de sa création.
  • 140 bénéficiaires: enfants et adultes.
  • 400 collaborateurs qui y travaillent.
  • 1 domaine avec 10 vaches laitières, 10 chèvres, 10 brebis et 100 poules.
  • 30 000 litres de lait transformé par an.
  • 1 projet d’agroforesterie avec 150 arbres sur 4,5 hectares.
  • 6500 mètres cubes de volume d’eau de pluie récupérés par année.
  • 52 espèces d’oiseaux identifiées sur le domaine.