Point fort
Les jeunes paysans sont prêts à prendre la relève

D’ici à 2038, la moitié des chefs d’exploitations du pays partira à la retraite. Selon certains, l’arrivée de la jeune génération est une aubaine pour l’écologie. Terre&Nature lui donne la parole dans son nouveau podcast Graines d'agriculteurs.

Les jeunes paysans sont prêts à prendre la relève
Actuellement, 3917 personnes suivent un apprentissage agricole en Suisse, soit 5% de plus qu’à la rentrée 2021 et près de 15% supplémentaires qu’en 2015, d’après les chiffres de l’organisation du monde du travail OrTra AgriAliForm. Si la tendance est à la hausse ces quinze dernières années, on constate un rebond depuis la fin de la pandémie de coronavirus. «Il existait déjà un désir de retour à la terre chez les jeunes, guidé par une quête de sens et une envie de se reconnecter à la nature. Le Covid a renforcé ces tendances, tout comme la crise énergétique en cours, qui accroît la volonté d’autonomie de nos sociétés», analyse Loïc Bardet, président de l’organisation ainsi que de la faîtière agricole romande Agora.
  
Les néo-paysans en hausse

Mais qui sont ces apprentis? Si les femmes sont toujours plus présentes, on observe également une forte augmentation de personnes non issues du milieu – appelées néo-paysans –, qui suivent pour la plupart un CFC de maraîcher. Cette filière a vu son nombre d’étudiants passer de 85 à 155 en cinq ans, soit une progression supérieure à celle des autres apprentissages. «Cela s’explique par le fait que cette population est plutôt attirée par une agriculture biologique de petite structure, qui correspond davantage à ce secteur», souligne Loïc Bardet.
Pour répondre à cette demande, une formation en micromaraîchage en un an est proposée depuis le mois dernier au sein du centre de compétences Agrilogie, à Moudon (VD), valorisant le travail manuel et la diversification propre à une microferme. Celle-ci rassemble seize étudiants en reconversion professionnelle, âgés en moyenne de 30 ans. Si ce diplôme existait déjà depuis 2021 sous le nom de U-Farming, il est désormais intégré dans le cursus traditionnel. «C’est une bonne chose, car il y a un fort engouement. Les deux premières années, nous avions dû refuser entre trente et cinquante inscrits par volée en raison de la taille de notre structure, raconte son concepteur David Bichsel. Aujourd’hui, les personnes qui souhaitent se professionnaliser dans ce domaine sans passer par un CFC peuvent le faire.»
  
Transition verte équitable

L’intérêt grandissant des jeunes s’accompagne d’un autre phénomène moins médiatisé: la modification de la pyramide des âges. En effet, selon Agroscope, environ la moitié des chefs d’exploitation actuellement en activité atteindront l’âge de l’AVS d’ici à quinze ans et partiront à la retraite, ne pouvant plus toucher de paiements directs. Conséquence directe du vieillissement de la population du baby-boom, cette évolution démographique rapide et inédite pourrait avoir un impact considérable sur le secteur. C’est en tout cas l’avis de Marcel Liner, spécialiste de la politique agricole chez Pro Natura et auteur d’une récente étude à ce sujet. Pour lui, le changement de génération à venir constitue une occasion de mettre en place une agriculture plus durable. «Notre système actuel ne répond pas aux objectifs environnementaux promis par la Confédération dans une situation de crise climatique, avec une production intensive et une quantité trop élevée de cheptels. Sans compter que cela s’accompagne d’un recul permanent du nombre de domaines et de paysans. Nous devons agir.»
  
Dans ce contexte, il propose une série d’adaptations de lois à mettre en œuvre lors d’une remise d’exploitation, et non à partir d’une date butoir comme c’est généralement le cas en Suisse. «Par exemple, on pourrait imaginer que seules les fermes produisant du lait pour l’approvisionnement intérieur ou n’utilisant pas de pesticides puissent recevoir des paiements directs après un changement de génération. En revanche, les paysans proches de la retraite, eux, n’auraient pas besoin de modifier leurs habitudes. C’est une manière socialement acceptable et équitable d’aller vers une transition verte, car les jeunes qui se lancent ont plus de marge de manœuvre pour s’adapter et investir», plaide-t-il. Alors qu’une réforme de la politique agricole est en cours avec l’élaboration de la PA30+ d’ici à fin 2027, cette période est idéale pour entamer ces discussions, assure le spécialiste. «Malheureusement, ce grand bousculement est à l’heure actuelle très peu thématisé dans le milieu. Nous ne devons pas manquer le virage écologique.»
  
L’accès à la terre, un frein

Au-delà des instruments de politique agricole, d’autres freins existent à l’écologisation du secteur, selon Marcel Liner, tels que le rôle des grands distributeurs, les modèles de consommation ou encore l’accès à la terre pour les néo-paysans. En effet, environ 60% des titulaires d’un CFC de maraîcher ne trouvent pas d’exploitation à reprendre, d’après Uniterre. «Cela est dû à une dynamique de concentration encouragée par le gouvernement, qui conduit à la disparition de deux ou trois domaines chaque jour. En outre, si une ferme est vendue hors du cadre familial, elle coûtera quatre à cinq fois plus cher, alors même que les banques prêtent moins facilement aux gens qui ne sont pas du métier. Ainsi, les personnes non issues du milieu ne sont pas du tout incitées à s’engager dans cette voie», déplore Eline Muller, spécialiste de ces questions au sein de l’organisation. Pour y remédier, Uniterre forme actuellement une coalition de plusieurs structures, dont l’Association des petits paysans, le Mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne ou encore Longo Maï, afin d’acquérir des parcelles et faire des baux à des collectifs de néo-paysans. Une manière de pousser encore davantage de jeunes à travailler la terre.
Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Nouveau podcast

À l’occasion des 125 ans de Terre&Nature, nous lançons un podcast baptisé Graines d’agriculteurs qui donne la parole à la jeune génération, afin de connaître les motivations, les craintes et les choix de celles et ceux qui nous nourriront demain. Chaque deuxième jeudi du mois, découvrez un témoignage illustrant la diversité de parcours et de profils des jeunes paysans, entre rapport à la tradition, légitimité à reprendre une ferme sans être issu du milieu ou gestion des conflits familiaux. Dans le premier épisode, nous rendons visite à Ophélie Baudit, 26 ans (photo). Après des études d’architecture, cette Genevoise gère désormais le domaine familial, devenant la première femme à la tête de l’exploitation en cinq générations. Ses motivations: pratiquer une agriculture respectueuse de l’environnement, faire de la ferme un lieu culturel tourné vers la ville et travailler en équipe afin de limiter la charge mentale.

+ d’infos Le premier épisode est disponible gratuitement sur notre site www.terrenature.ch/podcasts ainsi que sur les plateformes Spotify et YouTube.