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La mort est dans le pré, ou comment les déchets mettent le bétail en péril

Les détritus jetés dans la nature sont un fléau pour la santé des bovins, obligeant toujours plus de paysans à poser des aimants dans la panse des bêtes. Mais la technique ne les protège pas de tous les dangers.

La mort est dans le pré, ou comment les déchets mettent le bétail en péril

Bouteilles en plastique, canettes de bière, mégots de cigarette ou encore emballages de nourriture. Voilà le bilan de la «récolte» effectuée tous les printemps à la fonte des neiges par Nicolas Wenger au bord de ses pâturages. «J’essaie d’en ramasser un maximum, mais le
problème est sans fin et les déchets reviennent», confie, résigné, cet agriculteur de Villeret, dans le Jura bernois, à la tête d’une exploitation laitière d’une septantaine de holsteins. Chaque année, trois à quatre de ses vaches sont ainsi victimes de problèmes de santé dus à l’ingestion de détritus. «Les symptômes sont une baisse de la production laitière, de fortes fièvres et un amaigrissement de l’animal. Dans le meilleur des cas, le souci peut être réglé avec un traitement antibiotique de quelques jours. Mais il arrive que la blessure soit trop importante et qu’il n’y ait plus rien à faire.» Nicolas Wenger a ainsi perdu deux bêtes ces deux dernières années.

 

Alu haché dans le fourrage

Des récits comme celui-ci, Pascal Furer, vétérinaire à Saint-Imier (BE), en entend presque tous les jours. «Nous traitons entre deux et trois cas chaque semaine rien que dans notre cabinet et j’ai l’impression que le problème empire d’année en année. Dans l’exercice de ma profession, je suis régulièrement amené à effectuer des touchers rectaux lors d’examens de gestation. Il m’est arrivé à deux reprises déjà de me blesser avec un corps étranger et d’extraire un morceau de métal», raconte-t-il.

Face à ce constat, de nombreux agriculteurs choisissent de recourir à la pose d’aimants. Longs d’une dizaine de centimètres et insérés par voie orale dans le fond du bonnet des animaux (poche située entre l’œsophage et la panse), ils permettent d’attirer les clous et objets métalliques pour éviter que ceux-ci ne se baladent et perforent les organes des bovins. Les déchets ainsi capturés resteront à vie dans le bonnet de la vache. «Nous préconisons cette approche à tous les paysans, en particulier à ceux qui se trouvent dans des zones très problématiques. Mais la technique ne fonctionne pas tout le temps. Il arrive parfois que des clous très longs atteignent malgré tout les poumons ou le cœur de l’animal, avec des conséquences irréversibles.» Les aimants sont également inefficaces contre les canettes. Or ce sont elles en particulier qui causent le plus de dégâts dans les pâturages. «Ces boîtes en alu sont fauchées avec l’herbe et finissent broyées dans les mélangeuses, qui les transforment alors en dizaines de petites lames tranchantes avalées avec le fourrage par les bovins», explique Nicolas Wenger.

 

Des coûts à la charge des paysans

Les vaches sont d’autant plus exposées que leur manière de manger est peu sélective. «Elles ramassent de grandes quantités de nourriture d’un seul coup de langue, là où un cheval ou un mouton aura tendance à trier les aliments du bout des lèvres», détaille Pascal Furer. Il y a quelques jours, le vétérinaire a été appelé pour soigner une vache victime d’une péritonite aiguë survenue après une perforation du bonnet. Elle présentait aussi d’importantes blessures dans la zone du pharynx. «Nous avons dû réaliser un ultrason pour confirmer le diagnostic et l’avons traitée avec des antibiotiques fortement dosés. Mais, dans certains cas, seule une intervention chirurgicale risquée permet de sauver l’animal», poursuit Pascal Furer. Des coûts qui sont entièrement à la charge des agriculteurs. «Cela peut aller de 150 francs pour une simple consultation à plus de 700 francs pour une opération. Et quand une bête meurt, la perte s’élève à plusieurs milliers de francs, car la viande est inconsommable, puisqu’une prise d’antibiotiques a eu lieu dans les jours précédant l’euthanasie», déplore Nicolas Wenger.

 

Mesures politiques

Consciente du problème, l’Union suisse des paysans (USP) mène de nombreuses campagnes de prévention, et les instances politiques se sont, elles aussi, emparées du sujet. Jacques Bourgeois, conseiller national PLR fribourgeois et ancien directeur de l’USP, a déposé en 2013 une initiative visant à renforcer les mesures contre l’abandon de déchets. En 2019, le Schwytzois Alois Gmür souhaitait aller plus loin en instaurant des consignes sur les canettes et les bouteilles. Une initiative balayée par le Parlement et à laquelle s’opposait notamment la faîtière Swiss Recycling (voir ci-dessous).

Agriculteur à Pomy et conseiller national UDC, le Vaudois Jean-Pierre Grin a déposé en mars 2021 une motion pour mettre sur pied une campagne choc d’envergure à l’échelle du pays. «Des troupeaux sont régulièrement affectés dans ma région et de nombreux collègues ont déjà perdu des bêtes. Il faut impérativement informer la population des conséquences parfois fatales qu’une simple canette jetée dans un champ peut avoir sur nos animaux», insiste l’élu UDC. Sa motion devrait être soumise au Parlement l’automne prochain.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Mathieu Rod

Crottes toxiques

Les déchets ne sont pas les seuls dangers à rôder dans les prés. La néosporose, maladie qui provoque des avortements chez les vaches et peut engendrer des séquelles chez les veaux après la naissance (paralysie et troubles de la coordination), est transmise aux bovins par les excréments des chiens contaminés à cet agent infectieux. Il est donc important de ramasser les crottes des canidés au bord des pâturages pour éviter qu’ils infectent le bétail par le biais de leur fourrage.

Questions à Jasmine Voide, responsable romande de Swiss Recycling

Pourquoi Swiss Recycling s’oppose-t-elle à l’idée d’introduire une consigne sur les canettes et bouteilles?

La Suisse dispose de 100’000 lieux de ramassage pour les emballages de boissons. Avec un système de consignes, il ne resterait que les 7000 points de collecte du commerce. Selon l’Office fédéral de l’environnement, les contenants de boissons ne sont responsables que de 7% de l’ensemble du littering. Les consignes ne régleraient donc pas l’entier du problème.

Elles ont pourtant eu des effets incitatifs efficaces sur les gobelets en plastique dans les festivals, par exemple. La démarche fonctionne, non?

Dans ce type d’espaces bien définis, certainement. Mais en Suisse, où le taux de collecte est élevé, instaurer une consigne diminuerait la commodité des usagers. L’USP elle-même, qui connaît bien les conséquences des déchets sur le paysage rural, préconise la sensibilisation.

Malgré des années de campagnes de prévention, le littering ne recule pas mais semble au contraire empirer…

Le problème est effectivement vaste et complexe à endiguer. Mais seul un changement d’attitude des consommateurs et les amendes permettront d’inverser cette tendance.