Reportage Exclusif
Le début du printemps marque la saison de la chasse aux bois de cerf

Après l’hiver, les cerfs perdent leur ramure. Pour les passionnés, c’est le moment de partir à la recherche des bois, une activité généralement solitaire. Nous avons pu y participer dans la région d’Isérables.

Le début du printemps marque la saison de la chasse aux bois de cerf

Il a neigé cette nuit. La couche blanche qui recouvre le sol et les arbres donne des airs hivernaux à ce début de matinée. Le paysage est nimbé d’un brouillard glacial. Pas de quoi décourager Jean-Paul Monnet: «La neige devrait nous faciliter la tâche, dit-il. Nous pourrons repérer plus facilement les traces des cerfs. Par contre, elle pourrait aussi cacher les bois. Il va falloir ouvrir l’œil!» Exceptionnellement, il a accepté d’être accompagné dans l’une de ses sorties à la recherche de bois de cerf, une activité qu’il exerce habituellement en solitaire. Il a émis une seule condition: pas question d’identifier clairement les lieux où il s’apprête à nous emmener.

En contrebas, les derniers chalets ont depuis longtemps disparu dans la brume. Son sac sur le dos, ses jumelles autour du cou et son long bâton à la main, Jean-Paul Monnet s’élance à l’assaut de la pente. D’un pas assuré, il grimpe à flanc de coteau et s’enfonce dans la forêt de conifères. Marcher à la recherche de bois de cerf, c’est balayer du regard les quelques mètres qui nous entourent plutôt que vérifier où l’on met les pieds. Souvent, nous trébuchons sur un buisson ras ou perdons l’équilibre lorsque la neige cède sous notre poids. Un coup d’œil devant, à droite puis à gauche, et nous avançons de quelques pas. La moindre branche tordue nous fait tressaillir dans l’espoir d’un trophée. Mais à chaque fois, un deuxième regard plus attentif suffit à nous faire déchanter.

Un vrai jeu de piste
Concentré, Jean-Paul Monnet poursuit sa marche saccadée, rythmée par les brefs arrêts qu’il marque tous les dix pas. S’il a choisi cet itinéraire escarpé, ce n’est pas par hasard: «Je sais que plusieurs beaux mâles ont passé l’hiver dans le coin, explique ce fin connaisseur de la faune locale. Je les observe chaque jour aux jumelles depuis le versant d’en face.» Comme lui, beaucoup de passionnés de la traque aux bois de cerf sont d’abord des chasseurs, pour lesquels cette activité constitue une bonne préparation à la saison automnale. Depuis dix ans qu’il s’y adonne, le Valaisan a eu le temps d’apprendre à connaître intimement les habitudes des cervidés, reconnaissant les individus au premier coup d’œil. Ces majestueux ongulés n’ont plus de secrets pour lui. Ainsi, il est capable de deviner si un daguet, un jeune mâle, aura une belle ramure une fois adulte. Il peut évaluer l’âge de l’animal en observant un seul bois. Il sait aussi que les vieux cerfs sont les premiers à les perdre, dès le mois de février.

Alors que la forêt s’éclaircit, Jean-Paul Monnet ralentit le pas. Dans un silence total, nous débouchons sur une grande clairière tapissée de neige. «Les cerfs viennent souvent brouter sur ce pâturage, explique-t-il à voix basse. À la tombée de la nuit, on est presque certain de les voir.» Or, en cette froide matinée, aucun cerf dans la clairière. Seul un renard, encore engoncé dans sa fourrure d’hiver, patauge dans la neige à quelques mètres de nous. Pourtant, les grands ongulés ne sont pas loin. Plusieurs indices trahissent leur présence, à l’instar des marques laissées sur les troncs des mélèzes, auxquels ils aiment se gratter, ou des tas de crottes qui marquent l’emplacement où un groupe de cerfs a passé la nuit. Replongeant dans la forêt, Jean-Paul Monnet s’accroupit soudain. Désigne une large trace qui se dessine dans la neige. La dégage de sa main gantée. «L’empreinte est déjà gelée et recouverte d’un peu de neige. Il est passé par ici il y a un ou deux jours.» Impressionnante, la trace mesure bien dix centimètres sur dix. Notre guide est catégorique, c’est un grand mâle.

On ne gagne pas à tous les coups
Avec les traces du cerf pour fil d’Ariane, nous poursuivons notre expédition. Sur un replat, elles se font plus nombreuses, s’entrecroisant parmi les mélèzes. Cependant, toujours pas de bois. «Je pensais vraiment que nous avions une chance d’en trouver par ici, soupire Jean-Paul Monnet. Nous allons passer par un autre côté pour la descente.»  Bien que ses connaissances permettent au Valaisan de cibler les emplacements les plus propices, la chance joue aussi un rôle. Même s’il rentre souvent bredouille, il n’a jamais l’impression d’avoir perdu son temps: «Lorsque je marche dans la nature, je vois toujours quelque chose de beau.» Comme ce jeune pic noir qui, à quelques mètres seulement, est si absorbé dans son travail qu’il ne remarque même pas notre présence. Nous l’observons quelques minutes, mais le froid nous force vite à nous remettre en mouvement. La matinée touche à sa fin lorsque nous entamons la descente vers Isérables. Le brouillard toujours présent et les incessants zigzags n’aident pas à s’orienter. Mais Jean-Paul Monnet connaît les lieux comme sa poche, et trace son chemin sans hésitation.

Les heures passant, il est de plus en plus difficile de se concentrer. Nos yeux nous jouent des tours et nos jambes deviennent lourdes. Presque résignés, nous posons un regard incrédule sur un buisson tout proche: serait-ce un bois? «Oui, c’est bien ça!» Retrouvant toute notre énergie, nous franchissons en deux bonds la distance qui nous sépare du trophée si convoité. C’est comme s’il avait été posé sur la végétation en prévision de notre passage. Agenouillé dans la neige, Jean-Paul Monnet le saisit délicatement. «Il appartenait sans doute à un mâle de 6 ou 7 ans, évalue-t-il en le manipulant. Il est magnifique.» La satisfaction se lit dans les yeux du Valaisan, heureux d’étoffer sa collection déjà impressionnante. «Certains ne comprennent pas cette passion, confie-t-il. Mais cela me procure un sentiment indescriptible. En fait, j’ai plus de plaisir à trouver un beau bois qu’à chasser.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): © clément grandjean

bon à savoir

Un bois n’est pas une corne

Cerf, chevreuil ou renne, les cervidés ont tous en commun de porter des bois. Contrairement aux cornes des chamois, ces organes osseux sont parcourus de vaisseaux sanguins. Ils tombent chaque hiver avant de repousser. Le velours qui les recouvre tombe alors, laissant le bois à nu pour la période du rut. Contrairement à une croyance répandue, le nombre de cors, les pointes qui ornent le bois, n’indique pas l’âge de l’animal.