arboriculture
La stressante lutte contre les gelées nocturnes dans les vergers valaisans

Les gelées nocturnes de la semaine dernière auraient pu occasionner de graves dégâts sur les  arbres fruitiers. En plaine, l’aspersion généralisée a permis de sauver la récolte. Nous avons suivi les opérations.

La stressante lutte contre les gelées nocturnes dans les vergers valaisans

«Cette nuit, il va de nouveau geler. D’après le dernier bulletin météo, c’est quasi garanti.» Il est 21 h. Le ciel est clair, et même si le vent souffle encore légèrement, les prévisions laissent augurer des températures proches de zéro degré, voire négatives après minuit dans la plaine du Rhône. Pour une deuxième nuit consécutive, Yann Évéquoz, responsable technique du verger de l’office d’arboriculture de Châteauneuf, s’apprête donc à ne pas dormir. Comme tous les arboriculteurs, il est en alerte, son natel relié au réseau de sondes placées dans les zones les plus froides du domaine de 18 hectares dont il a la responsabilité. La veille, déjà, les alarmes ont sonné dès 23 h, indiquant des chutes brutales de températures. Dix heures d’arrosage ont été nécessaires, au cours desquelles 40 mm d’eau ont été aspergés, pour lutter contre un des plus grands ennemis des arbres fruitiers: le gel.

Nuit blanche pour gelée blanche
1 h 05: branle-bas de combat. Les alarmes tirent les arboriculteurs de leur sommeil. Du moins ceux qui ont réussi à le trouver. «Quand on sait qu’on va devoir se lever, c’est difficile de s’endormir!» Visage tendu, Yann Évéquoz n’a pas une minute à perdre. Priorité aux rangées de fraisiers situées à quelques mètres des bâtiments de l’école. Les fruits, déjà bien visibles, ne supporteraient pas quelques dixièmes de degrés en moins. Sitôt l’aspersion mise en route, Yann Évéquoz saute dans sa jeep et fait rapidement le tour des quatre autres pompes électriques qui équipent le domaine de l’École cantonale d’agriculture. «Les pommiers et poiriers sont en fin de floraison et supportent -2°C. Par contre sur les abricotiers, les fruits sont déjà formés et donc très sensibles: à -0,5°C, c’est la perte de récolte immédiate.»

Autant dire que l’anticipation est de rigueur. «À 1 h du matin, on sait que les températures vont certainement continuer à descendre. Il faut donc ouvrir l’eau avant qu’il ne fasse trop froid, afin de créer une couverture efficace.» Le principe physique est élémentaire: l’eau, en passant de l’état liquide à l’état solide, dégage de l’énergie calorifique qui permet à la fleur ou au fruit de ne pas descendre au-dessous d’un seuil de température critique.

Plomberie nocturne
2 h 15: Yann Évéquoz peut souffler. L’aspersion est en route et le domaine de Châteauneuf est en principe sauvé. Ça tombe bien, les températures continuent de descendre. «Heureusement qu’on n’a pas attendu cinq minutes de plus: en vingt minutes on a perdu 1 degré!» L’heure est désormais à la surveillance. Fenêtre ouverte, au volant de la jeep,  l’arboriculteur avance à vitesse réduite le long des parcelles afin de vérifier que tout est en ordre. Au bruit, il détecte soudain qu’une perche ne fonctionne pas correctement. Empoignant une échelle, il grimpe rapidement régler le problème. «Un simple fil de fer suffit à déboucher une buse pleine de sable… et à éviter que toute une série d’arbres ne gèle!»

Tout n’est pas toujours si simple. Il arrive que des pompes tombent en panne ou que des conduites éclatent. Ce fut le cas la nuit précédente sur l’exploitation voisine de Raphaël Bianco. «On a effectué des travaux récemment et la conduite a dû prendre un petit coup de pelle, explique ce dernier. Au moment de mettre en route l’irrigation, on s’est rendu compte du problème.» Et les arboriculteurs de se transformer en plombier… à 2 h du matin.

Plus loin, c’est une pompe à pétrole récalcitrante qui donne du fil à retordre à Stéphane Pillet, agriculteur à Vétroz, et à ses salariés. «On tire de l’air plutôt que de l’eau. Un problème d’étanchéité, classique!» Pendant que les hommes s’échinent sur la machine, la parcelle de 5000 m2 se refroidit dangereusement. «Pourtant on avait bien vérifié le matériel il y a deux semaines déjà, en prévision d’éventuelles gelées tardives.» Le producteur garde le sourire. «Dans ce verger, c’est de la poire williams pour la distillation. C’est moins grave que si c’étaient des fruits de table. Par contre je suis plus inquiet pour mes vignes.»

Jusqu’au lever du soleil
Signe qui ne trompe pas, l’odeur de la paraffine se répand soudain dans l’atmosphère. Si la grande majorité des 2000 hectares de vergers situés entre Vernayaz et Sierre sont équipés d’un système d’irrigation alimenté par des pompes électriques, à pétrole ou entraînées par la prise de force d’un tracteur, certains arboriculteurs préfèrent lutter à l’aide de bougies. Placées entre les arbres, les chaufferettes réchauffent l’air par  convection. C’est ce qui se pratique dans les coteaux où la topographie empêche la constitution d’un réseau d’arrosage. «La lutte par aspersion reste le système le plus efficace», précise Jacques Rossier, chef de l’Office valaisan d’arboriculture. Coûteux à mettre en place, il permet aux arboriculteurs de lutter – gratuitement, à la différence de leurs collègues vaudois – contre la sécheresse en été et contre le gel en hiver grâce à la nappe phréatique située à quelques mètres sous le sol. Une situation unique en Europe.

4 h: la lune s’est levée derrière le Mont- Gond et les températures sont descendues à -3°C dans les zones les plus froides. Pour Yann Évéquoz, un café s’impose avant de repartir en tournée. «Ma crainte, c’est qu’une pompe lâche, compromettant ainsi l’aspersion sur toute une parcelle.» À la station Agroscope voisine, Emmanuel Chassot, qui a la responsabilité des vergers, s’accorde également quelques instants de répit entre deux contrôles. «On est à -0,87°C, observet- il. La glace ne prendra pas, mais l’eau aspergée a un effet de couverture salutaire.» Pour être efficace, l’arrosage doit se poursuivre jusqu’à ce que les rayons du soleil réchauffent l’atmosphère. Selon les parcelles, les buses tourneront jusqu’à 10 h du matin. Pas question cependant pour les producteurs de s’accorder quelques heures de sieste. «À cette saison, le travail ne manque pas en journée, précise Raphaël Bianco. Il y a les apports d’engrais, les traitements phytos, les bois de taille à broyer, etc.» Et la météo à surveiller. Car  jusqu’à la fin du mois de mai, le risque de gel est bel et bien là. Et celui d’une baisse de récolte aussi.

Texte(s): Claire Muller

prévisions

Récolte d’abricots moyenne en vue

Certes, on est loin de 1997 où les producteurs de la plaine de Sion avaient dû lutter vingt-cinq nuits de suite. Mais les deux nuits de gelées blanches de la fin avril 2016 auront suffi à altérer la récolte d’abricots qui s’annonçait pourtant excellente. «C’est encore difficile de chiffrer les dégâts, confie Jacques Rossier. On a encore le potentiel pour une récolte moyenne à bonne. Globalement, la lutte a été efficace et l’essentiel de la production a été protégé, mais on recense quelques cas catastrophiques, dus à des erreurs de gestion dans la lutte ou des stagnations d’air froid à certains endroits du coteau.» Outre son coût important, la lutte contre le gel constitue une prise de risque. En fonction des stades des arbres, des températures, du positionnement des parcelles, un arrosage peut bel et bien sauver une récolte.