Portrait
Nicolas Darnauguilhem traduira la lumière de la Gruyère dans sa cuisine

Genève-Bruxelles-Cerniat, un détour dans la vigne, c’est l’itinéraire du passionné de nature qui s’installe à la Pinte des Mossettes.

Nicolas Darnauguilhem traduira la lumière de la Gruyère dans sa cuisine
On l’a connu à Genève, d’abord au Neptune, en éclaireur d’une cuisine très pure, portant haut les «nourritures alpestres». Trop avant-gardiste pour la plus conservatrice des villes, il a transformé les lieux en bistrot-cave à manger au succès immédiat: le Tabouret puis le Tablar ont drainé et brassé toutes les tribus qui d’ordinaire à dans la cité de Calvin ne se côtoient pas. On l’a connu, cinq ans plus tôt, à Bruxelles, à l’époque où il avait imaginé un miniresto vaguement clandestin en sous-sol, encensé par les jeunes critiques d’Omnivore et du Fooding et la clientèle belge et internationale… On retrouve aujourd’hui Nicolas Darnauguilhem – regard vert tendre sous son petit bonnet tricoté de marin, silhouette fluide de yogi – dans une des plus belles adresses de Gruyère, la mythique Pinte des Mossettes, juchée au-dessus de la chartreuse de la Valsainte. Le jeune quadra succédera à Romain Paillereau. Officiellement le 5 mars, si tout va bien.

 

Un ancrage alpestre
Pour l’heure, le jardin sous la neige, les chaises empilées, la cuisine vidée, ripolinée, attendent de reprendre vie. Quoi de plus mélancolique qu’un resto fermé pour ceux qui l’ont aimé vibrant? Ce matin pourtant, l’odeur familière du feu de bois nous revient. «J’ai adoré cet endroit à ma première visite, voilà des années, à l’époque de Virginie Tinembart: c’est devenu mon resto préféré. J’y suis revenu plusieurs fois, pour la bénichon notamment. C’était le lieu idéal où rebondir après Genève, la pandémie et les projets enterrés.»

Que cuisinera-t-il ici, dans le sillage de Judith Baumann, pionnière de la cuisine sauvage, de la pétillante Virginie Tinembart, du très perfectionniste Romain Paillereau? «Difficile de se projeter quand on n’a pas d’horizon temporel et que les produits de saison dictent les menus.Nous sommes en train de visiter des producteurs, des fromagers notamment. On fera notre propre pain et je me réjouis de rencontrer des cueilleuses, certainement une grande inspiration pour ma cuisine. En attendant le jardin, qu’on va démarrer au printemps: il y a un grand terrain en contrebas de la terrasse où je verrais bien, à terme, quelques moutons, trois ou quatre poules et un cochon… La carte des vins sera très axée sur les crus nature, mais pas seulement.»

La montagne, les Alpes ont toujours été la source de ses rêveries, l’univers où enraciner sa cuisine. À Genève, dès 2015, où le Neptune promettait une cuisine ultralocale avant l’heure. Mais aussi, sans doute, dans la plus plate Belgique, sous le ciel bas de son minilocal. Ici, en Gruyère, demain, bientôt, où la lumière explose face aux dentelles des Gastlosen, sa cuisine trouvera enfin son ancrage.

 

Vocation cultivée depuis l’enfance
Né à Genève, Nicolas Darnauguilhem grandit en Haute-Savoie, entre une maman employée de banque et un père charpentier. La vocation gourmande de «Nico» se noue dès l’enfance, avec un jardin bio dans l’Ain où son grand-père d’origine italienne, ornithologue amateur, fait ses semences et son propre pain; une ferme landaise pour ses grands-parents paternels. D’un côté, les quenelles de brochet et le pâté creusois, de l’autre, les canards et les asperges, mais aussi le goût des légumes et des petits fruits croqués sitôt cueillis. Ce sera donc le lycée hôtelier, puis un complément de formation en pâtisserie. La cuisine lui permettra de nombreux voyages là-dessus, d’Amérique centrale en Asie du Sud-Est; le jeune chef travaille un an dans une réserve naturelle du Costa Rica, fait un stage au Vietnam: «L’Asie a contribué à forger mon style.»

 

La nature, source d’inspiration
«J’ai compris pendant mon école hôtelière à Genève que la cuisine est le meilleur lieu où défendre des idéaux, notamment environnementaux.» Il y a donc cette époque où il tient un petit resto végétarien associatif, dans le quartier des Grottes, s’initiant à la cueillette urbaine, découvrant la berce et la flouve à l’heure où les médias n’en ont que pour Veyrat. Nicolas Darnauguilhem se sent plus proche de l’esprit de Judith Baumann, humble et porté comme elle par l’énergie du lieu, la magie de cet environnement foisonnant. Il est aussi passé chez Laurence Salomon, à Annecy (F), naturopathe reconvertie au végétarisme: «Une cuisine engagée avant même qu’on parle sourcing.» Chez Marius, à Genève, un des pionniers du vin nature, il approfondit sa connaissance de l’univers vineux, rencontre les vignerons qu’il apprécie, se familiarise avec leurs méthodes.  Après la fin du Tablar, il caresse brièvement un autre projet: transformer une grande maison du Jura en chambres d’hôte et lieu de retraite pour accueillir des stages de yoga.

Le feu follet s’est aujourd’hui apaisé, marié avec Sophie, architecte et prof de yoga – discipline que lui-même pratique depuis vingt ans «pour s’ancrer, respirer, prendre du recul». Ils sont  parents d’un petit Milo, 18 mois. «Et c’est à ce moment-là qu’un ami m’a dit que la Pinte des Mossettes était à remettre…» La cuisine ressemblera au décor, «généreuse et essentiellement végétale, même si je ne m’interdis rien. Elle sera sincère, fidèle à son environnement et à la gourmandise de la Gruyère. Et traduira cette lumière extraordinaire dans des plats aux saveurs limpides.»

+ D’infos www.lapintedesmossettes.ch

Texte(s): Véronique Zbinden
Photo(s): Mathieu Rod

Son univers

Un livre: «La plante compagne», de Pierre Lieutaghi
«Un récit historique fascinant sur les liens unissant l’humanité et
le règne végétal.»

Un film: «Un singe en hiver», d’Henri Verneuil.
«Jean Gabin, hôtelier en Normandie et alcoolique repenti, se saoule avec Belmondo: il faut absolument revoir ce film pour la poésie incroyable des décors et cette ode à l’ivresse vraie…»

Une musique: Celle de Robert Wyatt
«C’est beau, limpide, enivrant…»