Nos oiseaux ont été mis à rude épreuve au cours du dernier siècle
Quels volatiles peuplaient la Suisse il y a un siècle? Un rapport publié par l’organisation de protection de la nature BirdLife à l’occasion de ses 100 ans permet de comprendre à quoi ressemblait l’avifaune de notre pays en 1922. Menée par l’ornithologue et naturaliste zurichois Beat Wartmann, cette étude empirique résulte d’une plongée dans les archives, dans les témoignages écrits et autres carnets d’observation publiés au cours du siècle passé. «Les chiffres de la fin du XIXe siècle sont pour la plupart inexistants, mais on trouve des indications plus précises dès les années 1950, avec l’essor des revues d’ornithologie», explique François Turrian, directeur romand de BirdLife Suisse.
Les résultats révèlent un appauvrissement marqué de la diversité des espèces présentes sur notre territoire. «Selon nos estimations, nous avons perdu 40% des populations d’hirondelles, d’alouettes et autres petits oiseaux des champs en l’espace de trente ans», poursuit le responsable. Et la tendance n’est pas à l’amélioration, puisque 40% de notre avifaune figure aujourd’hui sur la liste rouge suisse et 20% supplémentaires sont potentiellement menacés.
Causes connues
Des chiffres qui font de la Suisse l’un des plus mauvais élèves de l’OCDE. «Le public ne s’en rend pas forcément compte, car les gens ont impression que notre biodiversité se porte bien. Mais nous nous situons en queue de peloton de l’Europe dans nos surfaces consacrées à la nature, avec seulement 10% de zones protégées, un seul parc national et des réserves de très petite taille, c’est insuffisant», déplore François Turrian.
Les espèces les plus touchées sont celles qui évoluent dans les zones humides ainsi que dans les milieux agricoles et cultivés, des habitats qui se sont drastiquement raréfiés au fil des décennies passées. «Les drainages ont fait perdre à notre pays 90% de ses zones humides en un siècle et demi. L’intensification et la mécanisation de l’agriculture au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de même que la suppression des haies ou l’usage des pesticides ont également eu un impact immense sur les oiseaux inféodés à ces milieux ouverts et fortement diversifiés.
L’urbanisation fait des ravages
Les fauches toujours plus fréquentes ont notamment eu raison des alouettes, qui nichent au sol et ont besoin de trente jours entre le début de la ponte et l’émancipation des poussins», précise François Turrian. Des changements qui mettent aussi sous tension les populations d’insectes et par-là même une partie de l’alimentation de l’avifaune. Parmi les espèces touchées figure encore la pie-grièche à tête rousse, dont les effectifs ont décliné après les campagnes d’arrachage des vergers entamées à partir de 1955 pour lutter contre l’alcoolisme. L’urbanisation du territoire impacte aussi le nombre d’espèces de ces habitats.
Mais les changements de pratiques agricoles ne sont de loin pas les seules causes du déclin de l’avifaune. Notre société de loisirs, qui a connu une forte expansion au cours des dernières décennies, y est également pour beaucoup. «La forte présence humaine dans les forêts, les montagnes et aux abords des plans d’eau exerce une pression supplémentaire et dérange la faune dans ses derniers recoins de liberté», insiste François Turrian. Lequel rappelle aussi le rôle joué par la chasse dans le déclin d’espèces comme la bécasse des bois, le tétras-lyre ou le lagopède alpin, qui font toujours l’objet de prélèvements malgré la fragilité de leurs effectifs.
Projets de sauvegarde
D’autres oiseaux, en revanche, ont fait leur apparition sur notre territoire ces dernières décennies. C’est le cas notamment du martinet à ventre blanc, du corbeau freux ou de la tourterelle turque. «Cette dernière s’est répandue en Europe de l’Ouest dans les années 1940-1950, très probablement du fait de l’expansion des villes et de la chaleur qu’elles y ont trouvée. Issu de l’est de l’Europe, le corbeau freux semble, lui, s’être installé grâce à la nourriture trouvée dans les campagnes et son adaptation à nicher sur les arbres des agglomérations, où il rencontre probablement moins de prédateurs.»
Enfin, les projets développés par BirdLife et différentes associations ont permis aussi de redresser les effectifs de certaines espèces menacées. L’inondation de parcelles dans le Grand-Marais a redynamisé les populations de vanneaux huppés, qui vivaient autrefois dans les zones alluviales et avaient presque disparu. Même succès avec la chevêche d’Athéna, dont les effectifs ont triplé en trente ans grâce à la plantation d’arbres à cavités et à la pose de nichoirs.
«Ces exemples nous rappellent que la disparition de nos oiseaux n’est pas une fatalité. Nous possédons aujourd’hui les connaissances suffisantes pour appliquer des politiques privées et publiques pour les sauver. Mais il faut pour cela des moyens financiers et humains, ainsi que des partenariats sur la durée», conclut François Turrian.
Questions à...
Chloé Pang, porte-parole de la Station ornithologique suisse
Les espèces d’oiseaux migrateurs transitant par notre pays ont-elles évolué ces dernières décennies?
Oui, nous remarquons que le changement climatique et notamment les épisodes de sécheresse ont modifié les trajectoires de plusieurs migrateurs. On trouve notamment chez nous des espèces qui transitaient alors plutôt dans les zones méditerranéennes, comme l’élanion blanc, un rapace proche des milans. Sa première observation en Suisse remonte à 1990 et, depuis 2014, on le voit chaque année. Même chose avec le rollier d’Europe, oiseau bleu azur qui a plutôt ses quartiers dans le sud de la France, mais que la sécheresse de l’été dernier a fait affluer en très grand nombre chez nous.
Quelles conséquences ces changements ont-ils sur la biodiversité?
Les communautés vont se modifier et donc les concurrences aussi. Il faudra voir alors quelles espèces tirent leur épingle du jeu dans les nouvelles conditions de lutte pour les ressources disponibles.
Quant aux perspectives pour les années à venir, quelles sont-elles?
Nous allons probablement assister à l’arrivée d’oiseaux encore rares aujourd’hui et, à l’inverse, observer la diminution ou la disparition en Suisse d’autres espèces, parce qu’elles seront forcées de migrer plus au nord du continent pour bénéficier de la fraîcheur qu’elles ne trouveront plus chez nous.
+ d’infos www.vogelwarte.ch
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