Nos cheveux valent mieux que de finir au feu

Tapis absorbants, boudins dépolluants, panneaux isolants et paillage pour les cultures: plusieurs projets recourent aux fibres capillaires afin d’encourager une économie circulaire locale et durable. Reportage à Moudon (VD).
20 avril 2023 Lila Erard
François Wavre/ Lundi13

Vous êtes-vous déjà demandé où vont vos cheveux, une fois coupés chez le coiffeur? La plupart du temps, ils finissent dans des sacs poubelle, puis à l’incinérateur, comme n’importe quelle ordure ménagère. Sauf si vous vous rendez dans l’un des 550 salons du pays ayant pris part au projet Recup’hair. Celui-ci a été lancé il y a trois ans par l’entreprise Papirec, propriété du groupe Barec – spécialisé dans le recyclage, entre autres, de métaux, papiers, cartons et certains plastiques. Le but est d’offrir une seconde vie aux déchets capillaires. En souscrivant à un abonnement mensuel compris entre trente et quarante francs selon la quantité de matière fournie, les établissements profitent de collectes en porte-à-porte, incluant la récupération des flaconnages en plastique, bouteilles en aluminium, aérosols et autres contenants.

Les académies de coiffure de Lausanne ont été parmi les premiers clients séduits. «Chaque jour, nous produisons une grande quantité de déchets. Cela revient cher, car nous n’avons pas toujours la possibilité d’aller à la déchetterie. Cette initiative tombait à pic, témoigne leur directeur Jérôme Desloges. De plus, valoriser les cheveux permet de sensibiliser nos élèves au développement durable, ce qui donne une autre dimension au métier.» Recup’hair récolte environ une tonne mensuellement, soit l’équivalent de 100’000 coupes homme. Cette matière est d’abord entreposée pendant trois mois afin d’écarter tout risque de parasite comme les poux, puis est transformée à Moudon (VD), dans l’une des usines de Papirec.

À la machine à tisser

Mais à quoi peuvent bien servir les cheveux? «Ils ont un grand pouvoir d’absorption des matières grasses, tout en ne retenant pas l’eau. Un kilo peut stocker environ huit litres d’huile. C’est génial! s’exclament Thomas Leu, directeur de l’entreprise, et Grégory Guenbour, directeur de la succursale. Sans compter que cette matière est imputrescible, c’est-à-dire qu’elle ne se dégrade pas, ou très peu, avec le temps.» Ainsi, des tapis absorbants ont pu être conçus, destinés aux garagistes, collectionneurs de vieilles voitures, bricoleurs, dépanneurs agricoles ou paysans, à placer sous un véhicule en cas de fuite. «C’est une alternative efficace, naturelle et locale au tapis synthétique. Mais surtout, c’est un exemple inédit d’économie circulaire en circuit court.»

Commercialisé depuis un an, ce produit est fabriqué sur place. Pour ce faire, un employé trie les cheveux à la main et dépose les plus longs sur une plaque, avant de les passer dans une machine à tisser. «Nous avons reçu cette technologie d’une ONG californienne spécialisée dans le domaine», précisent les entrepreneurs. En ressort une prénatte très fine, qui est ensuite repliée sur elle-même et rembourrée avec des cheveux courts.

Le tout est emballé dans un sac en toile de jute de l’entreprise de torréfaction La Semeuse, à La Chaux-de-Fonds (NE), puis recouvert de plastique recyclé, qui agit comme un bac de rétention. «Le grand modèle peut absorber jusqu’à dix litres, se félicite Grégory Guenbour en faisant une démonstration. Au bout de plusieurs utilisations, nous conseillons de le jeter dans les déchets spéciaux, car le laver serait trop gourmand en eau.» Si l’entreprise vend aussi des répulsifs antifouine à base de cheveux et poils de chien, elle mène des tests avec des viticulteurs afin d’élaborer du paillage, comme cela se fait déjà en France (lire l’encadré).

Anti-marée noire

Dépolluer les mers avec des cheveux n’est pas une nouveauté. En 1978, les Bretons avaient déjà employé cette méthode lors du naufrage de l’Amoco Cadiz, lors duquel plus de 200 000 tonnes d’hydrocarbures avaient été déversées sur le littoral. Près de trente ans plus tard, des tonnes de poils d’animaux et de cheveux ont été récoltées aux États-Unis puis tassées dans des tubes en nylon pour éponger les polluants, lors de l’explosion d’une plateforme pétrolière en 2010. Plus récemment, des techniques similaires ont été utilisées lors des marées noires à l’île Maurice, en 2020, et au Pérou, en 2022.

Dans les mers et les murs

Une démarche similaire a été entreprise en 2015 par l’association française Coiffeurs Justes, à laquelle participent aujourd’hui 150 salons helvétiques. Ici, les cheveux récupérés sont transformés en boudins dépolluants voués à limiter les fuites d’hydrocarbures des bateaux et à purifier l’eau de mer de certaines substances comme le pétrole ou la crème solaire. «Ces polluants invisibles ont de graves conséquences sur notre environnement. La fibre capillaire – une fois détoxifiée d’éventuels colorants – permet d’atténuer ce phénomène», expose le président Thierry Gras, qui vient d’installer des boudins flottants de 60 et 40 m de long dans deux ports de Marseille. À terme, il souhaiterait proposer sa solution dans les lacs et cours d’eau suisses.

Lipophiles, hydrophiles et résistants, les cheveux sont également isolants. C’est pourquoi la start-up romande Sol-Hair, lancée récemment, les utilise pour fabriquer des panneaux d’isolation destinés au milieu de la construction, en collaboration avec la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud. «D’après les tests scientifiques, leur qualité thermique est excellente», se réjouit l’un des fondateurs Yann Thomas, ex-gérant d’un salon genevois.

Si les cheveux proviennent de Suisse et d’Europe, les panneaux sont conçus dans une usine en Italie à l’aide d’un liant végétal. Ce produit innovant devrait être mis en vente cette année. «C’est un matériau biosourcé idéal, au même titre que la paille, le chanvre et le bois. Sauf qu’il ne nécessite aucune ressource pour pousser, et que les humains n’arrêteront pas d’aller chez le coiffeur. C’est prometteur!»

Des alliés précieux dans les champs

Et si on épandait des cheveux dans les cultures? L’entreprise Papirec y réfléchit, puisqu’elle mène depuis quelques mois des tests avec des viticulteurs du canton afin d’analyser les bénéfices pour les sols des fibres capillaires, riches en azote. En France, la société Capillum s’est déjà lancée sur ce marché. Depuis trois ans, elle commercialise des disques et rouleaux de paillage en cheveux et laine, grâce à un partenariat avec près de 3500 salons de coiffure dans le pays. Une centaine de tonnes ont déjà été collectées. En plus d’agir comme barrière naturelle contre les limaces et escargots, ce matériau isolant limiterait l’évaporation de l’eau, permettant de maintenir plus longtemps l’humidité, et ralentirait la pousse des adventices. «Il existe déjà des produits similaires en plastique, chanvre, paille ou fibre de coco, mais les cheveux sont une matière illimitée et locale qui n’est pas gourmande en ressources. Ce type de paillage est une solution de valorisation durable et efficace pour les particuliers et les agriculteurs», affirment James Taylor et Clément Baldellou, les cofondateurs de Capillum, qui espèrent un jour s’étendre au marché européen.

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