Portrait
L’écrivain fait de son livre un symbole de paix entre ville et campagne

Dans son dernier ouvrage "Faire paysan", le Vaudois Blaise Hofmann plaide pour une revalorisation du métier d’agriculteur. Ce sujet le touche tout particulièrement depuis qu’il cultive une partie du vignoble familial.

L’écrivain fait de son livre un symbole de paix entre ville et campagne
Comme vous pouvez l’imaginer, ses dernières semaines ont été particulièrement chargées. En pleine promotion de son nouvel ouvrage, Blaise Hofmann a enchaîné les interviews, séances de dédicace et rendez-vous littéraires, serrant des mains et signant des exemplaires avec le sourire, comme à son habitude. Mais une autre tâche a occupé son début d’année, loin des micros et des caméras. Depuis cinq ans, l’écrivain vaudois cultive un hectare de chasselas, gamay et garanoir à Villars-sous-Yens (VD). «J’y vois une certaine parenté avec l’écriture. Que ce soit lors de la taille ou l’effeuillage, il s’agit de donner une direction et de faire fructifier avec maîtrise, afin de ne garder que le meilleur», image-t-il en nous accueillant sur sa parcelle, qu’il entretient avec son père.
À côté de la maison qui l’a vu grandir, la ferme – habitée par la famille de son cousin –, est toujours en activité. C’est ce décor qu’il a choisi de décrire dans les premières phrases de son livre paru en ce mois de mars. Baptisé Faire paysan, il revalorise le travail de la terre et pointe la mécompréhension entre citadins et ruraux, à la croisée du journal intime, du reportage et du manifeste. Dans l’ancienne écurie réaménagée en bureau, ce petit-fils et fils d’agriculteurs a couché sur papier son cri du cœur, tiraillé entre ses origines et son vécu – ou pour reprendre ses mots, «les fesses entre une chaise et un botte-cul».
Une envie d’évasion

Si Blaise Hofmann a prêté main-forte sur le domaine étant jeune, participant volontiers aux moissons et à la cueillette des cerises, l’envie d’ailleurs a rapidement pris le dessus. Bien que doué en maths, l’adolescent tombe amoureux de la littérature et part à Lausanne où il se lance dans des études de lettres. «Je n’avais jamais lu un livre avant 17 ans, alors je suis devenu boulimique pour rattraper mon retard», se rappelle-t-il en citant Blaise Cendrars et Anton Tchekhov. Vient ensuite l’appel du large, après un séjour au Bénin. Dès lors, le jeune homme décide de voyager seul, toujours plus loin et plus longtemps, finançant ses expéditions avec des petits jobs d’aide-infirmier, animateur et enseignant. Préférant les carnets de notes aux appareils photo, il publie son premier récit de voyage en 2004, retraçant ses aventures en Asie et en Afrique.
Et le folklore helvétique dans tout ça? «Ce n’était pas du tout mon truc! D’ailleurs, j’étais en Iran pendant la Fête des vignerons de 1999. Je ne savais pas encore que cet événement deviendrait si important pour moi», confie celui qui a officié comme colibrettiste durant l’édition de 2019. Son roman Estive, dans lequel il raconte un été passé comme berger, marque toutefois les prémisses de son retour aux sources. Ses douze ouvrages suivants seront à l’image de son parcours: un va-et-vient entre exotisme et terroir, dépaysement et «repaysement». «Il faut partir de chez soi pour mieux l’apprécier», aime-t-il répéter.Après de longues années à sillonner les routes du monde et les ruelles lausannoises, le quadragénaire emménage à Reverolle (VD) peu de temps avant le lancement des initiatives populaires sur les pesticides et l’eau potable, en 2021. Le climat délétère entre initiants et opposants est un choc, faisant écho à son propre malaise sur ces questions. «Il y avait une absence totale de communication entre paysans et citadins, qui campaient sur leur position. Le débat était stérile, autant en politique que dans ma famille. C’était frustrant.»

 

Chercher l’apaisement

Le Vaudois décide alors de recueillir des témoignages, d’éplucher des rapports et de prendre le pouls des campagnes, pour redorer le blason des agriculteurs «qu’on accuse d’empoisonner la terre». Son but: faciliter la réconciliation, en pointant tout autant le manque de vision de l’État et «l’arrogance des bobos urbains» que «l’hypersensibilité des gens de la terre», sans se réclamer de l’un ou l’autre des camps. «J’essaie d’être honnête, sans donner de leçon. Je n’ai pas la prétention d’apporter des solutions, mais de la nuance», assure-t-il, attablé dans la cuisine avec ses parents. Son père, Walti, acquiesce: «Il résume bien le mécontentement général, même si je ne suis pas très objectif.» Les autres lecteurs semblent plutôt d’accord. «Je reçois beaucoup de messages de gens ravis qui me racontent leur lien, même ténu, avec la paysannerie. C’est bon signe», ajoute l’écrivain.

Devenu le visage d’une société qui souhaite renouer avec la terre sans trop savoir comment s’y prendre, Blaise Hofmann est invité à des tables rondes sur l’alimentation durable et à des réunions d’agriculteurs, quand il n’organise pas des dégustations de son vin en marge de rencontres littéraires. «Une fois toute cette agitation passée, j’aimerais publier un livre pour les jeunes afin de vulgariser ces questions. Je réfléchis aussi à enquêter plus en profondeur sur certaines thématiques, comme les marges des grands distributeurs et l’impact des paiements directs. Un travail de fond est nécessaire pour avancer dans la bonne direction.»

En attendant, il prévoit de s’évader cinq mois en Amérique du Sud avec sa compagne Virginie, devenue coach de vie après une carrière dans les ressources humaines, et leurs deux filles Alice et Eve. En somme, partir loin des campagnes suisses et de leurs tourments, afin de mieux les défendre en rentrant.

+ d’infos Faire paysan, Blaise Hofmann, Éditions Zoé, 224 pp., 25 fr. – L’auteur sera présent au Salon du livre de Genève les 24 et 26 mars.

 
Texte(s): Lila Erard
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Un livre
«Petite brume», de Jean-Pierre Rochat. «Le seul véritable écrivain paysan en Romandie.»

Un plat
Saucisson vaudois et gratin de patates. «Avec celles de mon cousin agriculteur, il vient de nous les livrer.»

Un musicien
Stéphane Blok. «Ce poète vaudois était mon colibrettiste à la Fête des vignerons.»

Une série
«Neumatt», de Marianne Wendt. «Même si elle est parfois un peu cliché, elle décrit bien les enjeux du monde agricole.»