«La police doit prendre au sérieux les violences infligées aux bêtes»
Pourquoi la police cantonale a-t-elle créé un tel poste l’an dernier?
Parce que plusieurs cas de sévices sexuels et actes zoophiles sur des juments sont survenus sur le territoire entre 2007 et 2015. Ces affaires ont été confiées à la brigade des mœurs, pour laquelle je travaillais, mais nous nous sommes retrouvés un peu démunis face à ces délits si particuliers. Durant l’enquête, nous échangions nos impressions et constatations sur place avec le Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV), mais il n’y avait plus aucune collaboration ensuite. Pourtant, l’expertise et les connaissances de ses membres sont précieuses. Par exemple, ils connaissent les besoins fondamentaux de chaque espèce et détectent plus finement les cas de négligence, voire de violence. Ils ont également accès à des bases de données utiles, comme celle des détenteurs d’animaux de rente. Il était essentiel de travailler main dans la main.
Au contraire, la police est moins sensibilisée à la maltraitance animale?
Oui. De nombreux policiers n’ont jamais été confrontés à ce type d’infraction et ne connaissent pas l’existence de la loi fédérale sur la protection des animaux (LPA). Ainsi, ils ne savent pas toujours comment réagir face à une personne qui vient dénoncer de tels actes. En 2016, j’ai été autorisée à travailler conjointement avec le SCAV, ce qui a eu un impact positif sur l’avancement des enquêtes. L’an dernier, la création de mon nouveau poste a officialisé cette relation. Ailleurs en Suisse, d’autres cantons avaient déjà un service spécialisé dans ce domaine, comme la police cantonale bernoise depuis plus de vingt ans.
Bio express
Après une enfance dans la région de Nyon, Florence Courbat a effectué un apprentissage d’employée de commerce avant d’intégrer l’école de police genevoise à l’âge de 20 ans. Elle a travaillé au sein de nombreux services, dont la brigade des mœurs. Depuis 2023, la quinquagénaire fait partie du groupe équestre de la gendarmerie en tant qu’enquêtrice spécialisée en maltraitance animale. Passionnée des compagnons à poils, elle s’est notamment occupée de chats, chiens, lapins, rats, ânes et moutons avec sa fille.
Quels sont les cas les plus fréquents et comment en êtes-vous informés?
Chaque jour, le SCAV reçoit des dénonciations de violence ou de négligence envers un animal domestique. Les témoignages peuvent aussi concerner des ventes illégales d’animaux de compagnie provenant de l’étranger, ou simplement des maîtres qui ne sortent pas leur chien. Il procède alors à une enquête préliminaire administrative pouvant comprendre une autopsie dans les cas les plus graves. Les cas de maltraitance ou de négligences sévères sont dénoncés au pénal et sont poursuivis d’office en vertu de l’article 26 de la LPA, qui punit les auteurs de mauvais traitements infligés aux animaux.
Comment se déroule la suite de la procédure?
Je me renseigne d’abord sur l’espèce concernée, afin de comprendre comment se manifeste son mal-être. S’il n’y a pas de coupable présumé, j’utilise les moyens à disposition de la police pour le retrouver, comme la vidéosurveillance, la prise d’ADN et d’empreintes, l’exploitation de la téléphonie ou la perquisition. C’est un travail de bureau et de terrain. Parfois, des vétérinaires praticiens contactent le SCAV, car des lésions sur un animal, comme un traumatisme crânien ou un état de mort cérébrale, ne correspondent pas au récit des propriétaires. Il faut alors organiser des auditions pour démêler le vrai du faux, en amont de la condamnation. Je pense par exemple à un chihuahua frappé à plusieurs reprises contre le sol par le compagnon de la maîtresse, qui avait d’abord nié les faits. En moyenne, je mène deux enquêtes par mois, certaines durent une journée et d’autres plusieurs semaines.
Les animaux domestiques sont les principales victimes, en majorité les chiens, car ils sont dépendants de l’humain.
Quelles sont les principales victimes connues?
Il s’agit des espèces domestiques, particulièrement les chiens, car ils sont dépendants de l’humain et facilement visibles d’autrui. Les actes de maltraitance surviennent principalement dans le cadre privé, sur son propre animal. Parfois, les victimes sont également des animaux de rente, bien qu’ils soient peu nombreux dans notre canton-ville. Quant aux infractions concernant les bêtes sauvages, elles sont plutôt traitées par les gardes de l’environnement, qui peuvent demander mon appui. C’est un métier lourd au quotidien, où j’ai affaire à la part d’ombre de l’humain, mais je me sens utile. C’est une reconnaissance.
Quelles peines sont encourues par les agresseurs?
Selon la LPA, ils peuvent être condamnés à trois ans de peine privative de liberté ou une peine pécuniaire, s’ils ont agi intentionnellement. En cas de négligence, cela peut monter à 180 jours-amendes maximum. Les auteurs d’actes de zoophilie peuvent également avoir l’obligation de se soigner. Mais il n’y a généralement pas de prison ferme. Certains trouvent que ce n’est pas suffisant, mais ces peines ont le mérite d’exister. Il y aura tout de même des conséquences pour l’auteur, car ces condamnations seront inscrites dans son casier judiciaire. À Genève, nous disposons d’un procureur spécialisé dans les droits des animaux, ce qui est une grosse plus-value, car il maîtrise le sujet.
Comment diminuer le nombre de cas d’après vous?
Nous devons sensibiliser la population et les plus jeunes aux besoins fondamentaux de nos amis les bêtes, car il y a une grande méconnaissance dans ce domaine, doublée d’un certain anthropomorphisme. Ces violences ne sont plus tolérables à notre époque. Nous allons dans la bonne direction, mais à un rythme lent.
Centaines de cas chaque année en Suisse
L’an dernier, sept ordonnances pénales pour violation de la loi fédérale sur la protection des animaux ont été rendues par le Ministère public genevois, allant de l’abandon d’un chien dans une voiture en pleine canicule à l’absence de soins, en passant par l’importation illicite. En Suisse, 823 cas de mauvais traitements avaient été recensés en 2022, selon la Fondation pour l’animal en droit (TIR), ce qui représente une légère hausse par rapport à 2021. Ils concernent en premier lieu les chiens, les bovins et les chats. Quant aux peines prononcées, le nombre de jours-amendes infligés a aussi augmenté. «Toutefois, nous constatons que les autorités judiciaires ne sont pas suffisamment familiarisées avec ce type d’infraction. Il en résulte une pratique pénale lacunaire et incohérente, ainsi qu’une sous-utilisation de l’éventail des peines», diagnostique Deborah Bätscher, collaboratrice juridique au TIR.
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