«L’irrigation doit être combinée à d’autres moyens d’adaptation»

Agroscope publie la première partie de l’étude «Grandes cultures résilientes au climat en 2035». Le point avec Christoph Carlen, responsable du domaine de recherche «Systèmes de production plantes».
28 mars 2024 Réane Ahmad
© Réane Ahmad

Quels sont les effets visibles du réchauffement sur les grandes cultures?
Avec toutes les évolutions liées au changement climatique, en particulier la hausse des températures et la diminution des précipitations en été, le risque de mauvaises récoltes augmente. Les effets de la sécheresse et de la chaleur dépendent de l’intensité et de la durée du stress, ainsi que du moment où il survient dans la saison. Le problème de la variabilité de rendement d’une année à l’autre se pose, surtout pour les cultures qui passent l’été comme le maïs, la betterave ou la pomme de terre. Cela peut aller du simple au double, ce qui est difficile à gérer pour une exploitation. Les céréales récoltées en été sont moins touchées, car elles bénéficient jusqu’à présent d’assez d’eau au printemps.

Existe-t-il des différences importantes entre les plantes?
Cela dépend surtout si les stades de croissance critiques se situent à la fin du printemps ou en été. Les connaissances varient aussi d’une espèce à l’autre. Pour résumer, le colza et les céréales sont davantage à l’abri, tandis que pour les cultures qui passent l’été comme la pomme de terre, le maïs, la betterave et le soja, le risque de rendements faibles à moyens est plus grand. On manque d’informations sur les stades sensibles au stress hydrique ou les effets de la chaleur sur ces cultures. À noter que les cultures alternatives avec une tolérance à la sécheresse plus élevée gardent un statut de niche ou sont cultivées plutôt pour la vente directe.

En matière de connaissances, où se situe la Suisse par rapport à ses voisins?
Nous nous trouvons au niveau européen, comme l’Allemagne ou l’Autriche. La pression chez nous est moins forte que dans le sud de la France par exemple. Pour notre étude, nous nous basons sur des données suisses, mais aussi du sud de l’Europe. Nous constatons qu’il manque encore beaucoup d’informations dans notre pays, par exemple sur la rétention de l’eau des sols, le stress hydrique et les effets des mesures agronomiques pour s’adapter au changement climatique. Les informations sur l’irrigation sont aussi peu disponibles et pas centralisées. De plus, la perte de rendement et de qualité due à la sécheresse et à la chaleur n’est pas quantifiée.

Bio express

Dès l’enfance, Christoph Carlen s’intéresse à l’agriculture et à l’étude des plantes. Bien ancré en Valais, il y revient pour fonder une famille après ses études d’ingénieur agronome et son doctorat à l’ETH de Zurich. Il travaille d’abord au Service cantonal de l’agriculture avant de rejoindre Agroscope à Conthey en 1999. Depuis 2017, il est responsable du domaine stratégique de recherche «Systèmes de production plantes».

Pour une agriculture résiliente au climat, vous posez comme base les bonnes pratiques agricoles. En quoi consistent-elles?
Il s’agit notamment d’optimiser la teneur en humus des sols pour la rétention en eau, choisir des cultures adaptées aux conditions locales, diversifier la rotation des cultures, végétaliser les sols de façon permanente ou éviter le compactage et l’érosion.

Vous présentez ensuite divers piliers: la sélection végétale, le choix des variétés et le choix des cultures alternatives…
À moyen terme, la sélection de variétés plus tolérantes à la sécheresse et à la chaleur est importante pour augmenter la résilience des grandes cultures à ces stress abiotiques (ndlr: liés à leur environnement). Comme outil précieux, les essais nationaux de variétés analysent aussi les effets de la météo sur le rendement et la qualité des grandes cultures. Ils donnent déjà des informations spécifiques sur la réaction des cultures à ces stress météorologiques. Cependant, on manque encore de méthodes pour mieux définir leur tolérance à ces stress. Ces informations peuvent aussi aider à optimiser des mélanges de variétés, mieux adaptés aux conditions plus sèches. Une autre piste est de planter des cultures plus tolérantes aux conditions estivales, à l’image du sorgho, du quinoa, de l’amarante, du pois ou du pois chiche. Nous sommes conscients qu’il existe encore beaucoup de défis pour ces cultures alternatives concernant la plantation, la transformation et la demande des consommateurs.

Quels nouveaux procédés dans les stratégies de gestion agricole seraient les plus intéressants?
Nous estimons que les systèmes agroécologiques, comme l’agroforesterie, des systèmes mixtes ou des mélanges de variétés, représentent aussi une solution. Des essais sont en cours chez Agroscope et dans des exploitations afin d’optimiser ces systèmes de production.

La question de l’irrigation prend également une place importante dans le rapport. Comment voyez-vous son évolution?
Aujourd’hui, l’irrigation concerne seulement 5 à 7% de la surface agricole utile, y compris les prairies. Elle touche surtout les cultures à forte valeur ajoutée comme l’arboriculture, le maraîchage, la viticulture ou les pommes de terre. Au contraire, les grandes cultures sont très peu irriguées, ce qui s’explique par le manque de disponibilité d’eau, le manque d’infrastructures et la rentabilité de l’irrigation. D’ici à 2035, la demande en eau des cultures devrait augmenter de 20 à 40 millimètres et la part des terres ouvertes agricoles ayant besoin d’irrigation devrait atteindre 70% pour des rendements optimaux. L’irrigation doit être pensée comme une mesure supplémentaire aux autres moyens, dans des régions définies et pour des cultures spécifiques. Ce ne sera une option que dans les zones abritant des lacs ou des nappes phréatiques. L’usage de l’eau doit faire l’objet d’un débat de société plus large, sachant qu’actuellement 20% sont utilisés pour l’irrigation contre 25% pour l’eau potable et 55% pour l’industrie.

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