«La plateforme digiFLUX va accroître la crédibilité de l'agriculture»

Après une levée de boucliers, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) repousse le lancement de son application de contrôle de l’utilisation des produits phytosanitaires. Le point avec son sous-directeur Bernard Belk.
25 avril 2024 Clément Grandjean
© Clément Grandjean

Revenons-en aux fondamentaux: quelle est la genèse de digiFLUX?
Cette plateforme a été développée sur mandat du Parlement: en 2019, il a lancé une initiative que l’on peut voir comme un contre-projet inofficiel aux initiatives sur les pesticides et l’eau potable. Elle comprenait quatre jalons, dont l’un était la création d’un système informatique qui deviendra digiFLUX. Les articles de loi relatifs sont passés devant le Conseil des États puis le Conseil national, et ont été adoptés de manière unanime. Ensuite, le Conseil fédéral a transmis le mandat à l’OFAG.

Que devra-t-on y saisir?
On parle d’une obligation d’annonce pour les produits phytosanitaires et les fertilisants, ce qui consiste à digitaliser un système existant: les agriculteurs doivent déjà inscrire ces produits dans leur cahier des champs. Lorsqu’ils les achètent, ce ne sera pas à eux de saisir ces données, mais au commerçant, ce qui allègera leur tâche.

Concrètement, pour un agriculteur, ça change quoi?
Celui qui ne travaille pas encore en ligne devra apprendre à mettre ses données sur digiFLUX. Pour les autres, l’évolution passera inaperçue: la plateforme est une passerelle entre différents systèmes. J’ai été agriculteur, et je sais que remplir un carnet des champs est laborieux: vous devez y inscrire chaque fois le numéro de la parcelle, le nom du produit utilisé, son numéro d’homologation… Dans digiFLUX, l’agriculteur pourra sélectionner ses parcelles puis choisir les produits dans un menu déroulant.

Bio express

Sous-directeur de l’OFAG, Bernard Belk est à la tête de l’unité de direction Paiements directs et développement rural. Ingénieur agronome, il a travaillé comme agriculteur en Suisse et en Nouvelle-Zélande, a dirigé le programme de développement de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Cap-Vert et exercé des fonctions dirigeantes dans le secteur agroalimentaire en Suisse et au Brésil.

Aujourd’hui, on n’a aucune idée de ce qui est épandu dans les champs?
Il n’existe pas de base légale pour cela. Nous avons des données sur les produits phytosanitaires qui entrent en Suisse, mais on ne peut pas savoir en détail où chacun part ensuite. C’est ce que demande le Parlement: voir le flux des intrants – produits phytosanitaires, biocides et éléments fertilisants. Ces données sont déjà saisies à divers niveaux, il s’agit désormais de numériser cela. Je trouve que le Parlement a été clairvoyant: quand on aura mis en place ce système, la Suisse fera figure de pionnière. On s’enorgueillit de notre statut exemplaire en matière de bien-être animal, par exemple, mais cette digitalisation va aussi augmenter la crédibilité de notre agriculture grâce à plus de transparence. L’autre aspect intéressant, c’est que cette approche ne concerne pas uniquement les paysans. On a tendance à mettre le monde agricole au pilori. Là, le message est clair: tout le monde est concerné. Horticulteurs, golfs ou communes devront s’y plier.

Malgré ces arguments, l’OFAG annonce avoir constaté «une certaine insatisfaction». Qui est insatisfait?
Certains milieux agricoles, qui craignent une complexification du processus et une utilisation des données hors du cadre de la plateforme. Ce sont des craintes justifiées, et nous voulons garantir la sécurité des données. Au-delà de ces points, ce sont principalement les maraîchers, à cause des cycles de rotation rapides que comporte leur activité, qui émettent des réserves. On doit les entendre. Cela dit, quand vous mettez en place un système à l’échelle nationale, vous ne pouvez pas aller en parler avec chaque agriculteur.

Cela montre que la communication est un enjeu central. Qui êtes-vous allés voir, et qui avez-vous oublié?
Le projet repose sur une structure bien organisée, avec des groupes de travail représentant la branche. Actuellement, on met sur pied de nombreuses séances pour répondre aux questions des faîtières, des cantons ou des chambres d’agriculture. Nous avons aussi créé un site réunissant toutes les informations.

Avec la révolte paysanne, le timing n’est sans doute pas idéal pour proposer un tel changement…
L’OFAG a une position délicate, entre le Parlement et le monde agricole. Et ces discussions arrivent dans un contexte très émotionnel qui a compliqué les échanges. Jusqu’en début d’année, on travaillait avec notre équipe et les groupes d’experts, puis les mouvements paysans ont commencé et digiFLUX s’est trouvé mêlé à tout cela.

Dans la foulée, l’OFAG a annoncé repousser la mise en œuvre du programme. Quel est le nouvel agenda?
Nous proposerons une phase d’introduction de trois à quatre ans pour permettre aux exploitantes et exploitants de s’adapter en vue de la mise en œuvre d’un système simplifié, qui n’impliquera qu’une déclaration des stocks, à partir de 2027. D’ici là, nous poursuivons le développement afin que ce système satisfasse la volonté du législateur après la phase d’introduction.

La complexité des procédures est au cœur de la révolte paysanne. Peut-on les simplifier?
La simplification administrative constitue l’un des points centraux de la PA 2030. Nous sommes en train d’en discuter avec l’ensemble de la branche, et attendons leurs propositions. Plusieurs exemples montrent que la numérisation amène une simplification. Prenez le système incitatif pour la durée de vie des bovins, entré en vigueur en 2024: comme cette mesure repose sur les données de la BDTA, en un clic, vous déclenchez le paiement d’une subvention.

On peut imaginer qu’il y a des leçons à tirer des débats qui entourent le lancement de cette plateforme, notamment dans la perspective de défendre la PA2030…
Oui, c’est un projet qui nous a beaucoup appris. Malgré nos efforts, le contenu peut être perçu de manière très différente d’une personne à l’autre. La communication doit toucher des publics variés autour d’une thématique hautement émotionnelle. C’est un défi. Et nous devons entendre le mécontentement des paysans pour le relever.

Hoduflu avait aussi divisé

La numérisation de l’agriculture fait débat, et ce n’est pas nouveau: il y a dix ans, le lancement de l’application consacrée à la gestion en ligne des flux d’engrais de ferme HODUFLU avait, elle aussi, suscité de vives réactions. Avant d’entrer dans les mœurs, au point que les organisations qui s’élèvent contre le système digiFLUX, Union suisse des paysans en tête, proposent de lui préférer une refonte de HODUFLU. Les deux plateformes se fondront en une, puisque l’OFAG promet que digiFLUX permettra aux exploitants de calculer leur bilan de fumure en quelques clics de souris.

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