Reportage
Sous son air de colosse des champs, le chou s’avère fragile et exigeant

Dans l’Emmental, la récolte des cabus – dont les têtes pèsent facilement plusieurs kilos – bat son plein chez Simon Bernhard. L’agriculteur bernois destine sa production à la fabrication de choucroute.

Sous son air de colosse des champs, le chou s’avère fragile et exigeant

Un fond de vallon frais et humide, où la brume automnale peine à se dissiper et les rayons du soleil à percer. Ce paysage matinal sert de décor à l’un des derniers chantiers agricoles de la saison: la récolte de choux blancs, destinés à la fabrication de choucroute. L’Emmental n’est pas la région de prédilection pour cette culture, traditionnellement implantée dans le plaine fertile du Gürbetal, sur les bords de l’Aar. Mais Simon Bernhard, agriculteur de 29 ans, n’en est pas moins un fervent défenseur de cette production. Sur son domaine d’Alchenstorf (BE), le chou occupe une place centrale, tant agronomique, qu’économique, mais aussi affective. «Cette culture s’avère pleine de défis, mais elle est aussi source de satisfaction!»

En cette mi-octobre, le jeune homme – aidé par ses parents, son grand-père et deux amis du village – s’active: les têtes pommées doivent être ramassées avant la fin du mois. Après quoi, les terres lourdes seront impraticables pour la récolte mécanique, obligeant Simon et les siens à cueillir les imposants légumes feuillus à la main. «Cette année, on a démarré fin août, soit deux semaines plus tôt que d’habitude», raconte le Bernois en vidant précautionneusement les pallox dans la remorque située en bout de champ. Dès le lendemain, il mènera sa cargaison jusqu’à Oberbipp (BE), à 40 minutes de route, où est installée la choucrouterie familiale Schöni (lire l’encadré), avec qui il travaille sous contrat depuis une dizaine d’années. «Le chou ne représente que 10% des surfaces de notre exploitation, mais il est au cœur de nos préoccupations pendant toute la saison.»

De l’eau… mais pas trop
C’est que ces colosses d’environ 3 à 5 kilos la tête demandent passablement d’attention et de soin! La mise en place des plantons – une série de précoces et une série de tardifs – au printemps, tout d’abord, est un moment particulièrement stratégique. «Ils ne supportent pas le manque d’eau, il faut donc prévoir de les irriguer, mais ils sont extrêmement sensibles au surplus d’humidité… et peuvent pourrir! Il s’agit donc de trouver le bon équilibre et surtout d’accepter de prendre des risques en permanence!» Même problématique avec la fertilisation: «Les choux sont très gourmands en azote et en potasse, on ne peut donc pas négliger des apports minéraux conséquents pour obtenir des têtes qui correspondent aux attentes de notre acheteur en matière de poids.» Quant aux feuilles lisses qui s’enchevêtrent en rosettes toujours plus importantes au fil des semaines, elles sont prisées des insectes phytophages et des champignons. «Comme n’importe quelle crucifère, cette plante est particulièrement sensible aux pucerons et thrips, qui peuvent faire des ravages.»

La rotation et la disposition des parcelles est l’une des clés agronomiques du succès de la culture. «On compte cinq ans avant de revenir avec des choux sur le même champ. Et on évite la proximité des colzas ou même des couverts végétaux comprenant des brassicacées telles que la moutarde.» Et le jeune homme, qui craint par-dessus tout l’hernie du chou, de reconnaître la difficulté de se passer d’intrants de synthèse pour garantir la récolte. «Au jardin, on installe un filet sur le carré et l’affaire est réglée! Mais évidemment, sur plus de deux hectares, c’est impossible», observe-t-il, regrettant que la marge de manœuvre concernant les matières actives soit chaque année plus restreinte.

Une marge brute intéressante
Si l’état sanitaire des choux doit être irréprochable, c’est qu’il conditionne directement l’élaboration de la choucroute. Dès lors, sur la plateforme attelée au tracteur, où sont acheminés via un tapis convoyeur les têtes fraîchement récoltées par des becs cueilleurs, pas moins de quatre personnes se consacrent à un triage sévère. «On ne fait pas de quartier, confirme Christine, la mère de Simon. Si le calibre n’est pas atteint, ou si l’odeur est douteuse, on préfère renoncer.» Les cabus abîmés sont rejetés à même le sol, ils seront pulvérisés par un broyeur d’ici l’arrivée de l’hiver.

«Dans la région, l’agriculture est essentiellement tournée vers l’élevage; et nos terres lourdes et parfois tourbeuses ne sont pas franchement idéales pour la patate, explique Andreas, le père de Simon. Quand Schöni a annoncé rechercher de nouveaux producteurs, il y a une dizaine d’années, nous nous sommes lancés sans hésiter.» Les Bernhard, comme une vingtaine d’autres agriculteurs essentiellement bernois, s’engagent auprès de la choucrouterie à livrer une quantité donnée en échange d’un prix garanti. «En général, nous parvenons à des rendements d’une centaine de tonnes à l’hectare. Et la marge brute dégagée est équivalente à la pomme de terre. Cependant, pour y arriver, on y consacre une centaine d’heures, entre la mise en place, le désherbage manuel et la récolte particulièrement lente et fastidieuse – 0,2 à 0,3 hectares par jour. La demande et le prix sont toutefois au rendez-vous, et la fierté d’en produire également!»

 

Texte(s): Claire Berbain
Photo(s): Claire Berbain

En chiffres

  • 20 hectares de surface, dont 2,5 en choux blancs, le reste en maïs, orge, blé et courges.
  • Une porcherie de 1000 places d’engraissement.
  • Un atelier de naissage de 40 places pour truies-mères.
  • 250 tonnes de choux livrées par saison chez Schöni à Oberbipp (BE).

Schöni sublime la choucroute

Difficile de passer à côté des choucroutes Schöni empaquetées sous vide et distribuées aux quatre coins du pays, tout commerces confondus. Elles s’imposent en effet dans le paysage alimentaire suisse depuis les années 1950, tant via le réseau de distributeurs que dans le secteur de la gastronomie. «Nous comptons sur 25 producteurs pour nous livrer 4000 à 4500 tonnes de choux par an», précise Markus Walther, responsable de l’approvisionnement de l’entreprise. Après une explosion de la demande en 2019 et 2020, en raison notamment de la crise du Covid, Schöni a connu une période plus compliquée, faute de matière première. «En 2021, les conditions météo ont sérieusement amoindri les récoltes, nous forçant à importer des choux. Cette année s’annonce clémente, la production et les consommateurs – toujours plus attirés par les aliments lacto-fermentés – sont au rendez-vous!» La société familiale, qui compte une soixantaine de salariés, a élargi au fil des ans sa gamme, proposant également betteraves rouges et choux rouges râpés, compotes de rave et de pomme, en paquets pasteurisés et conditionnés, et destinés à une conservation plus longue.

+ d’infos www.schoenifood.ch