Le photographe qui voit la montagne en noir et blanc

Thomas Crauwels a quitté la Belgique pour la Suisse, où il s’est fait une place parmi les plus grands noms de la photographie de montagne. Il vient tout juste de publier son premier livre et s’expose à Genève.
2 décembre 2021 Clément Grandjean
Alexandre Deschaumes

Il y a des sculpteurs qui travaillent le bronze, le marbre, la terre ou le bois. Thomas Crauwels, lui, sculpte les montagnes. Dans ses mains, pas de burin ni de marteau: pour tous outils, il manie  la roche, la lumière, la neige et les nuages. Exposé jusqu’en janvier au Musée d’histoire naturelle de Genève, Thomas Crauwels, 38 ans, est de ces photographes de paysage qui savent donner un relief à une image, faire naître mille récits d’un jeu de contrastes, donner l’impression de toucher du doigt la texture soyeuse de la poudreuse fraîche ou la lame de rasoir d’une arête de granit. Pour y parvenir, pas de secret: les montagnes se méritent, et il faut être prêt à arpenter inlassablement leurs contreforts si l’on espère y glaner quelques clichés.

Dire que rien ne prédestinait Thomas Crauwels à la photographie de haute montagne tiendrait de la litote: il grandit dans la région de Waterloo, plus célèbre pour ses mornes plaines que pour ses massifs rocheux, et démarre sa vie professionnelle dans l’informatique. Durant 25 ans, son expérience de la neige se limite à une crachée épisodique durant les hivers les plus froids. «Quand je voyais cette fine couche blanche recouvrir la campagne, je ne résistais pas, se souvient-il. Je fonçais dehors pour faire ma trace dans la neige fraîche!»

Au-dessus de 3000 mètres, quand il fait mauvais temps, le paysage est déjà plus ou moins monochrome. Et de manière générale, c’est un langage qui me permet de restituer des instants riches en émotion.

Braver les tempêtes

Quelques années plus tard, Thomas Crauwels est devenu un photographe de montagne reconnu, dont les tirages en grand format s’arrachent à des prix atteignant plusieurs milliers de francs. Surtout, il a découvert une autre neige que celle de sa Belgique natale, celle qui, en une nuit, peut changer du tout au tout le visage d’une vallée ou d’un sommet. «Je recherche précisément ces ambiances, explique-t-il. Ces instants fugaces où les nuages s’ouvrent soudain pour laisser apparaître une montagne poudrée de neige fraîche, où un 4000 des Alpes prend des airs de sommets himalayens… Là, j’oublie les heures de marche en solitaire, la fatigue, la nuit glaciale, en bivouac ou dans un refuge dont les volets claquent sous les assauts de la tempête, et je me dis que le jeu en valait la chandelle.»

Si le Valaisan d’adoption sait savourer les moments où il presse le déclencheur de son appareil photo, c’est parce que chacun d’entre eux est précédé d’au moins autant d’échecs. «Chaque fois que je redescends bredouille vers la vallée, je ne pense qu’à ma prochaine expédition, confie-t-il. Je me sens comme un joueur compulsif au casino, à la différence que moi, je gagne à tous les coups: j’aime être en montagne, que les conditions soient réunies pour faire une photo ou non.»

Thomas Crauwels aime raconter que c’est une rencontre qui, il y a dix ans, l’a poussé à abandonner progressivement son poste d’informaticien dans une banque genevoise pour se lancer dans la photographie: une rencontre avec le mythique Cervin, pyramide hypnotique dont il ne pourra jamais se lasser. «Je débarquais à Zermatt sans savoir vraiment à quoi m’attendre, et je suis resté en arrêt devant ce géant, souffle-t-il. Il a quelque chose qui m’attire irrésistiblement.» L’envie de partager sa vision des Alpes coïncide avec l’essor des boîtiers numériques et des réseaux sociaux. Il n’en faut pas plus pour que ses clichés fassent, très vite, le tour du monde.

Couleurs superflues

Quand certains se tournent vers le noir et blanc par coquetterie ou par souci de se démarquer sur un marché de la photo proche de la saturation, le Suisse d’adoption y voit une évidence esthétique: «Au-dessus de 3000 mètres, quand il fait mauvais temps, le paysage est déjà plus ou moins monochrome. Et de manière générale, c’est un langage qui me permet de restituer des instants riches en émotion.»

Dans ces reproductions en taille XXL, Dent Blanche, Weisshorn et autres Obergabelhorn se montrent sous leur face la plus sauvage, dans des ambiances souvent sombres et des contrastes tranchants. «Je crois que je projette un peu de moi-même dans mes clichés, confie le photographe. Sans doute mes premières photos reflètent-elles un certain mal-être, une tension provoquée par une vie citadine qui ne me convenait pas.» Aujourd’hui, les images de Thomas Crauwels sont plus claires, plus nuancées, le noir et le blanc laissant la place à des gris plus doux. L’homme aussi est apaisé, tout juste fiancé et installé dans les Préalpes valaisannes. Depuis quelques semaines, il enchaîne les accrochages et les séances de dédicace de son premier livre, baptisé «Above», fraîchement auto-édité. En grand format, bien sûr. «L’idée était de rendre mon travail plus accessible, dit-il. Les retours sont enthousiasmants!»

Fatalement, à force de tourner autour des pics les plus spectaculaires des Alpes, l’envie d’y poser le pied se fait sentir. La rencontre entre celui qui photographie les faces nord et celui qui les skie, le guide chamoniard et spécialiste de pente raide Vivian Bruchez, scelle le début d’une nouvelle aventure: Thomas Crauwels se lance, pour le plaisir, à l’assaut de quelques 4000 valaisans. «J’y découvre une tout autre image de la montagne. Je ne fais pas ça pour l’ego, mais pour donner plus de profondeur à ma connaissance de ce milieu. Cela me permet de garder l’inspiration.»

+ d’infos
www.thomascrauwels.ch

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