Du bureau aux brebis, il n'y avait qu'un pas et elle l'a franchi
En parcourant le dernier tronçon de la route qui mène au Mont-Pèlerin, le tintement des cloches des brebis nous indique notre destination: les animaux de Lea Megali pâturent sur un terrain attenant à la ferme, protégés si besoin par les arbres du verger.
Le point de vue tient toutes ses promesses et la sensation d’isolement nous gagne, malgré la proximité de la ville en contrebas. Mais la Bergerie de la Riviera ne comporte pas que ce terrain: «J’ai choisi de nommer mon entreprise ainsi car les brebis profitent de plusieurs espaces situés sur différentes communes de la région», explique la dynamique trentenaire.
Pâturage avec vue
D’ailleurs, Lea Megali aime raconter sur le ton de la plaisanterie que c’est probablement parce que les brebis disposent toujours d’une belle vue sur le lac et les montagnes que la viande est aussi bonne. Si, à la belle saison, la jeune femme doit parfois composer avec de longs trajets, l’hiver, des agriculteurs installés à quelques encablures de là mettent à disposition des bêtes leur étable. Du lundi au jeudi, Lea Megali travaille à 80% au Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut.
Flexible, cet emploi lui permet de s’occuper de ses trente-cinq protégées et de leurs petits le soir et les fins de semaines. Elle peut aussi s’appuyer sur l’aide qu’apporte son collègue Alexandre Doria, sur le domaine depuis le début. Mais ses deux activités professionnelles sont en réalité complémentaires car elles sont toutes deux liées à l’agriculture: biologiste de formation, Lea Megali occupe le poste de cheffe de projet «agriculture et biodiversité». «J’ai commencé au Parc en tant que stagiaire, raconte la Vaudoise. Alors que le stage arrivait à son terme, un poste de chargé de projet généraliste a été créé, et je l’ai obtenu.»
L’envie d’être crédible
Après quelques années, l’un de ses collègues partait à la retraite. Elle s’est intéressée à son poste davantage orienté vers l’agriculture, et il a été convenu qu’après une période de transmission, elle le reprendrait. Curieuse et entreprenante, Lea Megali voulait aussi œuvrer sur le terrain.
«Pour connaître ce milieu, je voulais participer aux tâches agricoles, des soins aux animaux au maniement du fumier. J’ai pu trouver des stages sur des alpages et il m’est même arrivé de traire avant de me rendre au bureau.» Peu à peu, cette soif de découverte et l’envie d’être crédible dans son métier ont évolué: entre 2021 et 2022, la biologiste a suivi le cours de formation continue pour l’obtention des paiements directs (OPD) à Grange-Verney.
Favoriser les artisans locaux
À la suite de cette formation, Lea Megali et Alexandre Doria commencent un projet d’élevage de brebis à Corsier. «Je ne viens pas d’une famille agricole et n’ai pas de terrain, raconte-t-elle. J’envisageais donc plutôt l’élevage de petits ruminants, mais pas pour la production laitière, qui n’est pas compatible avec mon travail au Parc.» Les brebis allaitantes se sont donc imposées à elle.
Je parviens même à vendre la laine pour couvrir la terre des potagers. Un vigneron en prend aussi pour les pieds de ses ceps.
Pour l’agricultrice, favoriser les artisans locaux dans le cadre de son activité est une priorité: «J’amène les brebis à l’abattoir de Clarens, c’est à dix minutes de bétaillère. En matière de bien-être animal, le temps de trajet me paraît satisfaisant.» Puis, c’est à la boucherie de Savoy, à Attalens, que la découpe et la transformation ont lieu. Grâce au bouche-à-oreille, Lea Magali écoule l’intégralité de sa production en vente directe. «Je parviens même à vendre la laine, s’enthousiasme l’agricultrice. Je n’en tire pas de bénéfice mais je suis ravie de proposer une laine non transformée pour couvrir la terre des potagers. Un vigneron en prend aussi pour couvrir les pieds de ses ceps.»
Des espèces rares
Plus jeune, Lea Megali voulait être vétérinaire. Mais après la maturité, elle a raté la sélection: «Ma grande sœur, étudiante en biologie, m’a recommandé de m’orienter dans la même filière qu’elle afin de valider quelques crédits universitaires qui auraient été valorisés dans le cursus de vétérinaire l’année suivante. Finalement, j’ai poursuivi en biologie jusqu’à la fin du Master.» Pourtant, les parents des deux sœurs n’étaient pas forcément tournés vers la nature: «Notre père est plus intéressé par le fait d’avoir un gazon digne d’un terrain de golf que par la biodiversité. On s’amuse à dire que nos parcours sont une réaction à son attitude!»
Dans tous les cas, Lea Megali ne se voyait pas démarrer un projet agricole sans animaux. Si son compagnon, sa mère, sa sœur et ses amis la soutiennent, son père, lui, reste à distance de ce projet: «Pour lui, il est difficile de concevoir que je m’oriente vers l’agriculture après un parcours universitaire. Les personnes de ma génération comprennent plus facilement mon choix.» Les engagements de la trentenaire sont aussi en lien avec ce domaine: en équipe, Lea Megali a participé à la création en 2023 du franc paysan, une monnaie locale visant à soutenir l’économie et les producteurs de la région.
Pragmatique, elle veille à ne pas faire trop croître son troupeau pour l’instant. Mais trois chèvres et un bouc «Capra Grigia» ProSpecieRara rejoindront prochainement la ferme: «C’est surtout pour continuer à préserver l’espèce», avance-t-elle. Mais derrière ses propos nuancés, c’est une farouche envie de continuer à explorer le monde de l’agriculture qui transparaît.
Son univers
Une saison
«Le printemps. J’aime voir les agneaux gambader pour la première fois dans les prés!»
Un végétal
«La courgette. Avec celles de mon potager, je fais des bocaux de courgettes aigres-douces.»
Un objet
«Un tâteur. J’en ai toujours un dans la voiture pour tester le courant des fils de parc.»
Un lieu
«La dent de Combette (VD). La vue sur le pays d’Enhaut y est magnifique.»
