Point fort
Le théâtre d’improvisation, outil de sensibilisation face au réchauffement

Dans Helvetia 2050, la troupe Impro Impact imagine le futur du pays en se basant sur la science et les idées du public. En Romandie, plusieurs spectacles utilisent la fiction comme moteur de solutions.

Le théâtre d’improvisation, outil de sensibilisation face au réchauffement

Nous sommes en 2050. Deux agriculteurs prennent l’apéro en discutant des récoltes. Ils semblent inquiets. À la télévision, un présentateur fait état d’un énième rapport environnemental alarmant. En raison du déclin massif des insectes, les sols ne sont plus assez aérés pour absorber les fortes pluies qui s’intensifient. Résultat: les champs sont trempés et les pommes de terre pourrissent. Résignés, les paysans décident de vendre leurs parcelles pour s’installer en ville. Mais sans qualification, ils peinent à joindre les deux bouts. Le premier enchaîne les petits boulots. L’autre souffre d’une dépression, loin de la nature et de sa ferme.

Tel est l’un des scénarios dramatiques imaginés par les comédiens d’Impro Impact dans Helvetia 2050. Depuis deux ans, cette troupe genevoise mêle improvisation théâtrale et sensibilisation, en mettant en scène un futur dystopique basé sur des projections scientifiques réalistes, en fonction des suggestions du public. «Malgré les nombreuses informations qui circulent à ce sujet, la population peine à concevoir concrètement les conséquences que peut avoir le réchauffement climatique sur nos sociétés. Ce spectacle fait le pont entre présent et futur, pour inciter à agir», exposent Damian Veiga et Lygia Pavitt, deux des cofondateurs du projet.

 

Sobriété et résilience

Heureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. Après un premier récit improvisé avec les personnages, lieux et thèmes choisis par le public – entre eau, climat, biodiversité, énergie, ville et territoire –, la salle est divisée en petits groupes pour réfléchir à des solutions pouvant être mises en œuvre dès maintenant afin d’éviter ce drame. Celles-ci peuvent être de l’ordre de la mitigation ou de l’adaptation. «La première désigne des mesures permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, telles que diminuer la consommation de viande ou les trajets en avion. Pour la deuxième, il s’agit d’initiatives résilientes pour anticiper les changements à venir, comme la végétalisation des villes dans le but de créer des îlots de fraîcheur à la place des îlots de chaleur. Ces deux pistes sont fréquemment évoquées dans les plans climat», explique Damian Veiga, ex-étudiant en sciences de l’environnement.

Le public vote alors pour sa proposition préférée, puis les comédiens rejouent la même scène avec une issue plus souhaitable. «Par exemple, le Conseil fédéral décide d’appliquer un plan de sobriété national, qui réduit de façon significative la surconsommation et les déplacements superflus, diminuant ainsi drastiquement les intempéries extrêmes futures auxquelles les deux protagonistes agriculteurs sont confrontés. L’idée est de provoquer un stimulus de peur pour sortir du déni et donner de l’espoir aux spectateurs, conformément au modèle de psychologie sociale de Witte», détaille Lygia Pavitt, ancienne étudiante dans ce domaine. Pour évaluer la portée de leur concept, la troupe a fait appel à Lisa Moussaoui, chargée de cours en psychologie appliquée à l’Université de Genève, qui a mis au point un questionnaire à remplir avant et après la représentation. «On remarque que les gens en ressortent avec une plus forte perception du risque et du rôle qu’ils ont à jouer, ainsi qu’un sentiment d’espoir. Mêler fiction et réalité est très prometteur et nous allons continuer à étudier les effets du spectacle dans ce domaine.»

 

Encourager la créativité

Toujours à Genève, une pièce similaire a été proposée au début du mois d’avril pour les enfants, par la climatologue et glaciologue neuchâteloise Célia Sapart, au théâtre Am Stram Gram. Tiré d’un livre du même nom, Sol au pôle Nord raconte l’histoire d’un rayon de soleil piégé sur Terre à cause des gaz à effet de serre. À la fin du récit, elle invite chacun à suggérer des solutions pour l’aider à rentrer chez lui, en empêchant le réchauffement de se produire. «Le jeune public est très réceptif. Parfois, leurs idées sont un peu folles, comme construire un aspirateur à gaz, mais c’est ce qui est réjouissant! Il faut encourager les enfants à rêver le monde de demain, ce qui est possible grâce à la grande créativité des arts de la scène.» À terme, l’auteure s’inspirera de ces idées pour écrire et publier la suite de l’histoire.

L’Yverdonnois Yvan Richardet a, lui aussi, écrit plusieurs pièces en lien avec la crise climatique et l’écoanxiété, comme L’émeute, où il a tenu à conserver certains passages improvisés pour rebondir sur l’actualité. «Je considère qu’un théâtre déconnecté de la réalité n’a pas de sens et qu’il faut être au plus près des préoccupations du public», affirme-t-il. Selon lui, l’improvisation est une posture que chacun d’entre nous, au-delà des comédiens, devrait adopter. «Il s’agit d’écouter autrui et de collaborer avec ses pairs afin de coconstruire un récit positif pour le futur de notre société.»

+ d’infos Helvetia 2050, du 27 avril au 1er mai au Théâtre des Grottes (GE). Réservations en ligne ici www.impro-impact.ch

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Loïc Herin

Sus au «littering»

En plus d’organiser des représentations dans des établissements scolaires, des festivals ou pour des communes, Impro Impact sensibilise à la problématique des déchets sauvages en organisant des «Trash Quiz» au bord du lac. Le concept: un jeu télévisé pour les passants avec des questions décalées et informatives sur ce phénomène, en collaboration avec l’Association de sauvegarde du Léman. La troupe s’engage aussi contre le sexisme en montant des spectacles dans les écoles primaires ainsi qu’à la faculté de médecine de Genève, inspirés de témoignages réels.

Questions à Jean Liermier, coprésident de la Fédération romande des arts de la scène (FRAS)

De nombreuses pièces traitent-elles du réchauffement climatique?

Oui, c’est de plus en plus fréquent. Par exemple, depuis 2018, le Théâtre de l’Orangerie, à Genève, thématise ses saisons sur des questions environnementales et se revendique comme «permaculturel». Toutefois, aborder la destruction de la nature n’est pas nouveau, puisque Tchekhov ou Ibsen écrivaient déjà sur la déforestation et la pollution de l’eau au XIXe siècle.

Quel peut être l’impact du théâtre dans cette crise?

Le fait de réunir spectateurs et comédiens en chair et en os a un pouvoir tout particulier, qui est plus puissant que celui du cinéma. Le théâtre a une faculté d’aiguiser les consciences, en passant par le rire, l’émotion ou la révolte et en stimulant l’identification aux personnages.

En parallèle, ce milieu fonctionne aussi de manière de plus en plus écologique…

Pour des raisons économiques, il y a toujours eu un recyclage des décors et des costumes. Plus récemment, d’autres initiatives ont émergé, comme la création de troupes mobiles avec peu de matériel ou de spectacles en plein air, qui favorisent la lumière naturelle et la connexion avec l’environnement direct. La période de coronavirus n’y est pas pour rien!