Portrait
Le plus célèbre chasseur-cueilleur suisse poursuit sa quête de sens

Trappeur, archéologue expérimental et aventurier, le Vaudois Kim Pasche vit une bonne partie de l’année en solitaire dans les étendues sauvages du nord-est du Canada.

Le plus célèbre chasseur-cueilleur suisse poursuit sa quête de sens

Pour rencontrer Kim Pasche, il y a deux options: décoller pour Vancouver puis pour Whitehorse, embarquer dans un hydravion, se faire déposer sur un lac perdu en pleine nature, traverser bois et plaines pour atteindre la cabane en rondins qu’il y a construite. Ou alors il faut guetter l’un de ses séjours dans son pays natal. Nous avons choisi la seconde.

Pull ocre, sac en bandoulière, longue tresse sur l’épaule, Kim Pasche débarque sur la terrasse lausannoise où nous nous sommes donné rendez-vous. S’assied, commande un café, promène son regard sur le décor qui nous entoure. Ce monde de goudron et d’arbres en pots a été le sien. Aujourd’hui, il le voit avec le détachement amusé de celui qui sait s’en extraire. «Je suis content qu’on ait pu trouver un moment pour se voir, dit-il par-dessus sa tasse. Je repars demain.»

Vingt ans après son premier séjour dans le Grand Nord canadien, Kim Pasche est devenu une personnalité à l’échelle du monde francophone. Rompu à l’exercice de l’interview, il plante son regard bleu glacier dans le vôtre et vous emporte avec lui dans les bois de sa Broye natale où, à 6 ans, il rêve de découvrir des Indiens. Dans la cabane de ce grand-père écolo avant l’heure, chez qui il dévore des récits de trappeurs. Dans le delta vierge d’une rivière du Yukon où il apprend à fabriquer des pointes de flèches en silex et à tanner la peau d’un caribou.

Vivre comme autrefois
Au cœur des vastes espaces du Nord, le Vaudois dispose d’une concession sur un territoire de la taille de la Suisse romande. Il y passe chaque année plusieurs mois en autonomie totale, vivant l’existence d’un chasseur-cueilleur. «Mon but était de mieux comprendre notre passé, résume-t-il en roulant distraitement une cigarette. C’est pour cela que j’ai choisi le Canada, dont l’environnement se rapproche de celui des Préalpes suisses au mésolithique.»

Quand certains étudient la préhistoire dans les bibliothèques et sur les champs de fouille, le Vaudois préfère ce qu’il appelle l’archéologie expérimentale: pour apprendre à connaître nos ancêtres, il se met à leur place. «Notre histoire moderne est si marquée par les guerres et les épidémies qu’on a l’impression que la fuite en avant est la seule perspective. Or l’homme a su vivre en harmonie avec la nature. Je ne dis pas que c’était facile à la préhistoire, mais nos ancêtres ont su construire des relations durables avec leur environnement.»

Raconter le sauvage
Parfois, Kim Pasche s’arrête, regarde autour de lui. «On veut toujours aller plus vite. Mais la nature t’apprend à observer avant d’agir. À te demander ce qui est en jeu, ici et maintenant. Dans la forêt, si tu n’es pas attentif, tu te blesses.» On préfère ne pas penser aux conséquences d’un accident lorsque l’on se trouve à 400 kilomètres de la civilisation. Quand on cohabite avec les grizzlys, le risque fait partie du jeu, mais Kim Pasche n’est pas du genre à s’épancher sur le sujet: «Le froid, les ours, l’adversité, on se cache derrière ces dangers un peu archétypaux. Mais au fond, c’est de nous qu’on a peur. Lorsque tu te retrouves seul, tu te retrouves face à ta propre médiocrité. Pour tenir le coup, il faut de la discipline.»

Admiratif d’un Mike Horn dont il dévore chaque ouvrage, Kim Pasche ne suit pas les mêmes objectifs: «Les miens sont d’ordre philosophique. Le réveil de notre identité sauvage passe par le terrain.» Pour lui, la crise climatique devrait nous pousser à percevoir autrement le monde qui nous entoure. «On parle beaucoup d’écologie, mais on la cantonne à sa vision politique ou scientifique. Je veux explorer sa dimension pratique, revaloriser les savoirs ancestraux, qui apportent des réponses concrètes aux questions actuelles.» Et l’aventurier de citer les peuples nomades qui sont capables d’anticiper les
déplacements des immenses troupeaux de caribous mieux que les scientifiques qui les étudient à grand renfort d’émetteurs GPS.

Rattrapé par la civilisation
Kim rallume son mégot éteint. Il a presque 40 ans et le calme de celui qui ne doit rien à personne. Installé dans la Drôme française, au pied du Vercors, où il vit le reste de l’année avec sa compagne et leurs deux filles de 4 et 7 ans, il gère sa petite entreprise contre vents et marées, au gré des projets qui fonctionnent ou qui capotent. Organise des stages en pleine nature, écrit des livres, intervient dans des classes. S’amuse de son titre ronflant de directeur de publication d’un nouveau magazine, La tribu du vivant. Prépare une émission pour la RTS dont le tournage se déroulera dans le Yukon cet été.

Après avoir ardemment souhaité ces longues phases d’exploration où il s’approprie pouce par pouce un territoire inconnu, Kim se surprend aujourd’hui à envisager des voyages plus brefs, pour limiter son propre impact sur le paysage. «Je n’y suis rien d’autre qu’un visiteur. Mon monde, c’est celui-ci. Ce que je comprends là-bas, je veux le ramener pour le partager.» Et puis même dans le Yukon, le panorama change, tandis que le sauvage recule sous les coups de boutoir de l’industrie minière. «On a beau être à deux heures d’avion de la première ville, on entend la rumeur de la civilisation.» Peut-être a-t-on, plus que jamais, besoin de faire un pas en arrière.

+ D’infos www.gens-des-bois.org

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Son univers

Un livre Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier. «Une retrouvaille entre l’homme moderne et le monde sauvage.»

Un groupe Gojira. «Ce groupe de metal français fait de l’écologie par la musique.»

Un plat Un curry vert. «Bien épicé, surtout!»

Un lieu Les Gastlosen. «On y a trouvé les dernières traces des peuples du mésolithique en Suisse.»